C’étaient des temps pionniers pour la bande dessinée, devenue, selon Salvador Dali, "un 8e art", pour sa production adulte à peine naissante, héritière des années "Sexties", mais encore soumise à la censure ; pour la science-fiction et le polar, mauvais genres par excellence des années 1950-1960 ; pour l’écologie balbutiante "baba-cool" : Yves Frémion portait alors pattes d’eph, cheveux et barbe "jusque là" et tout ce monde fréquentait les premiers fanzines, les premières conventions. De nouvelles signatures venaient d’apparaître, sinon de muter : Jean-Claude Forest, Philippe Druillet, Jean-Claude Mézières, Marcel Gotlib, Claire Bretécher, Jacques Tardi, Moebius... La révolution de la nouvelle BD : Pilote, Hara Kiri, Charlie Mensuel, L’Écho des savanes, Métal Hurlant, Fluide Glacial... bat son plein.
Dans Tintin, Greg, alors son rédacteur en chef, fine mouche, rattrape le mouvement, transforme le journal d’Hergé en quelque chose de plus adulte. Un nouveau trait apparaît : Hermann, Dany, Cosey... et puis Auclair, faisant ses premières armes dans Pilote, et qui amène, avec Simon du Fleuve, dans l’hebdomadaire des 7 à 77 ans en 1973, une thématique nouvelle, plus politique, aux accents écologistes, d’un genre nouveau : le western d’anticipation post-apocalyptique, qui fera fureur quelques années plus tard sous la bannière de Mad Max et, dans la bande dessinée, sous celles d’Akira par Katsuhiro Otomo, du Jeremiah d’Hermann ou du Transperceneige de Lob & Rochette.
Cette veine nouvelle était déjà présente bien avant dans le roman, par exemple dans La Planète des singes de Pierre Boule (1963), mais la référence d’Auclair est plus métaphorique et plus ancienne encore. Il la puise dans Le Chant du monde de Jean Giono (1934) qu’il transpose en pensant lui rendre hommage dans La Ballade de cheveu rouge.
Dans le courrier des lecteurs que reçoit le journal, on fait remarquer que la ressemblance est troublante. Greg, interpellé, conclut un peu hâtivement au plagiat et demande au jeune auteur de s’en débrouiller avec les ayants droits. Gallimard étant une grande maison littéraire et la bande dessinée ayant une réputation de vulgarité, un mauvais accord se dégage : La Ballade de Cheveu Rouge est remisée au placard et les aventures de Simon du Fleuve commencent... Dans cette intégrale, on publie pour la première fois (officiellement, car des éditions pirates ont circulé), cette première histoire. il faut dire qu’entretemps, Gallimard est devenu un éditeur de bande dessinée...
Dans le dossier introductif, particulièrement copieux, Patrick Gaumer nous présente Claude Auclair avec sa minutie habituelle d’encyclopédiste. Il nous est présenté pour la première fois de façon complète et documentée. On peut suivre l’évolution du style de celui qui a été un des plus lumineux orfèvres du noir et blanc dans (A Suivre), avec des chefs d’œuvre comme Bran Ruz ou Le Sang du flamboyant. Des titres aujourd’hui édités par Casterman, filiale de... Gallimard dans le catalogue duquel, ironie du sort, Auclair rejoint Giono, son premier inspirateur.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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