« Entre Sushis et Moules-Frites » titre le bilan de GfK sur le marché de la bande dessinée en 2006. Un titre pas très heureux, mais qui illustre une réalité du marché de la BD en France depuis près de trois ans maintenant : l’installation durable des mangas dans le paysage éditorial français. GFK constate que si « la BD franco-belge domine toujours les ventes », les mangas, en tassement cette année, comme nous l’avions déjà constaté dans notre analyse du rapport de Gilles Ratier/ACBD, constituent « un peu plus d’une bande dessinée sur trois achetée en France » (34,5% des ventes en 2006), selon le chef de groupe du marché du livre chez GFK, Céline Fédou [1]. Soit, pas beaucoup mieux que l’année dernière (30%).
Les chiffres en question
Sur ce point, donc, l’étude de GfK ne nous apprend pas grand-chose. Penchons-nous, en revanche sur les chiffres et pointons-en d’entrée les contradictions. L’étude constate un recul du marché, malgré une production en forte hausse, comme le signalait le rapport Ratier : -4,2% en chiffre d’affaires entre 2005 et 2006 et -5,4% en volume. Néanmoins, quand on compare cette étude GfK avec celle qu’ils ont produite l’année dernière, qui annonçait « un peu plus de 40 millions d’unités vendues » en 2005 contre « 40,5 millions de bandes dessinées [vendues en France cette année], tous genres confondus », nous nous demandons où GfK peut décèler un recul dans les ventes en volume puisque nous constatons, quant à nous, une progression ! Le chiffre d’affaires, quant à lui, passe, selon l’institut d’études marketing, de 398 M€ en 2005 à 383 M€ en 2006. Si l’on fait la règle de trois, il ne tombe pas non plus à l’équerre avec les pourcentages annoncés (-5,4%). En outre, comme l’a très bien signalé Fabrice Piault, le transfert de la consommation sur les mangas, des BD moins chères que la BD classique, a pour effet de baisser automatiquement le chiffre d’affaires. Rien d’alarmant donc, alors que nous sommes dans une année « sans Astérix ». Preuve est faite qu’il faut se méfier de ces chiffres. Souvenons-nous que l’année dernière, l’hebdomadaire Livres-Hebdo appuyé sur une étude Ipsos corrigée par le Syndicat National de l’Edition, constatait quant à lui une progression du marché, alors que GfK, déjà, affichait un recul ! Entre Sushis et Moules-frites, il nous semble bien que les instituts d’études pédalent dans la choucroute !
Une rotation des ventes supérieure à celle de la littérature
Comme le marketing politique nous le rappelle à chaque élection, les sondages ne sont pas une science exacte. Mais ce genre d’étude de marché est plus précis qu’un sondage quand même, puisque la base d’analyse est constituée de ventes réelles « sorties de caisse » assises sur un panel représentatif de librairies. On peut donc tirer un certain nombre d’enseignements qualitatifs de ce travail. On a souvent reproché au rapport Ratier son ton un peu triomphaliste. La BD tient pourtant son rang, comme le constate GfK. En effet, elle affiche en 2006 une rotation de vente [2] supérieure à la moyenne du livre en France : « 1600 contre 850 pour la littérature générale, par exemple ». Seul le livre scolaire fait mieux, et encore, sans doute seulement pendant la période de la rentrée des classes. Autre fait marquant : si les ventes de nouveautés portent aux nues les scores de la BD franco-belge (franco-belgo-suisse, puisque Titeuf est numéro un !) avec seulement 8 titres de mangas (du seul Naruto, en fait) dans les 20 premières ventes de l’année, dans le Top 20 des séries, en revanche, les bandes dessinées japonaises occupent les premières places devant Titeuf, Tintin et Astérix.
Les mangas : une saisonnalité atypique
L’analyse de ces faits ne permet que d’établir des évidences : Naruto, numéro un dans la catégorie des séries, aligne six nouveautés dans l’année, alors que le dernier Titeuf a attendu deux ans et Lucky Luke, une année pour produire un nouveau titre. Par ailleurs, GfK constate que les mangas sont nettement en recul dans la période des fêtes de fin d’année, se laissant dépasser par les BD franco-belges : « s’ils représentaient en 2006 plus de 34,5% des ventes, en décembre, ce poids n’est que de 22,3% ». Ce qui est perçu par GfK comme une curiosité est en fait un des points forts de la BD franco-belge : la « fonction cadeau » dans la consommation de la bande dessinée. Grâce à sa forme valorisante (couleur, format ample, cartonnage…), si décriée par une certaine catégorie d’éditeurs, la BD est un des produits le plus consommés dans cette période. La bande dessinée franco-belge, en particulier classique, rattrape donc à Noël le retard qu’elle a accumulé tout au long de l’année.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Lire l’interview de Céline Fédou (GfK) en réponse à cet article
LE COMMUNIQUE DE GFK
En médaillon : Titeuf par Zep (c) Glénat.
[1] Quand elle affirme péremptoirement que la France est le deuxième marché du manga dans le monde après le Japon, nous sommes certains qu’elle se trompe : La Chine, les Etats-Unis, d’autres pays d’Asie du Sud-est et peut-être l’Allemagne doivent être devant l’hexagone.
[2] Le nombre de volumes vendus au m² dans une période de temps donnée.
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