Lors de la Foire du Livre de Francfort en octobre, j’ai retrouvé mon ami le scénariste italien et historien de la BD Alfredo Castelli en compagnie de Matteo Stefanelli, l’animateur de la revue internationale d’étude de la bande dessinée Signs. L’un et l’autre étaient présents pour célébrer le Centenaire de la BD italienne qui s’achève en ce mois de décembre 2009. De celle-ci, nous connaissons bien évidemment Hugo Pratt, Guido Crepax, Guido Buzzelli, Sergio Toppi, Vittorio Giardino, Jacovitti, Lorenzo Mattotti, éventuellement Micheluzzi ou Magnus, voire Dino Attanasio… On sait qu’elle ne pèse pas pour rien dans le développement de la BD mondiale.
Quand il parle de la BD italienne, Castelli passionne. Il sait tout. Et comme il connaît sur le bout des doigts la BD américaine et française, il peut facilement contextualiser ses analyses avec un sens de la formule très étonnant. Il fait dire que cette personnalité fascinante qui réside la plupart du temps en France, à Nice, a commencé comme auteur de BD dans les années 1960, alors que la bande dessinée italienne est en pleine expansion.
Il a notamment contribué à la reconnaissance du statut de créateur de bande dessinée en Italie qui régit aujourd’hui les règles de la profession. Son succès le plus notoire en France, Martin Mystère, a été créé il y 38 ans pour l’éditeur italien Bonelli, le plus important de la péninsule. Un dessin animé en a été tiré en France par Marathon Productions alors que la publication de ses albums en France par Glénat n’a connu qu’un succès limité. Mais depuis peu, les éditions Clair de Lune ont pris le relais.
Cent ans ?
La BD italienne n’a que cent ans ? « Nous disons qu’elle est née il y a cent ans, précise Castelli, mais il est possible que ce soit plus ancien que cela, lorsque l’Italie achevait sa révolution pour s’unifier. Dans tous les états d’Italie, il y avait alors des journaux satiriques, sur le modèle des journaux français, qui ridiculisaient le pouvoir de l’État. Les premières bandes dessinées italiennes ont sans doute paru dans ces feuilles dans les années 1840. Mais, conventionnellement, les historiens de la bande dessinée préfèrent retenir la date de 1908, année de la fondation du Corriere dei Piccoli, premier hebdomadaire historique destiné à la jeunesse. Ce magazine a créé l’école de la bande dessinée italienne, une école qui se perpétue jusqu’à aujourd’hui. »
L’école Bonelli
Difficile, quand on cherche à catégoriser la BD italienne, de lui coller une étiquette. Le point commun entre Rubino et Crepax, Pratt et Mattotti n’est pas aisé à établir. Seule la production Bonelli (Tex, Dylan Dog, Martin Mystère..) donne l’impression d’une « école » : « Les Italiens n’ont pas exporté des formats caractéristiques comme les comics, la BD franco-belge ou les mangas. Mais on a exporté beaucoup d’artistes. La bande dessinée allemande ou la bande dessinée anglaise ont été, certes espagnole et argentine, mais surtout italienne. La bande dessinée argentine est d’ailleurs née notamment grâce à des auteurs italiens. Bonelli est le principal producteur de bandes dessinées en Italie. Il a inventé une façon de publier la BD qui marche très bien en Italie, sans beaucoup de licensing ni de merchandising, et s’exporte peu. »
Crise d’identité
« Récemment, poursuit Castelli, nous avons créé une nouvelle façon de diffuser la bande dessinée, en accompagnant les quotidiens de bandes dessinées, une formule, inventée par Panini, qui a été copiée aussi bien en Espagne et au Portugal, qu’en France, en Belgique, ou en Hollande. La bande dessinée italienne est dans la même situation que la bande dessinée ailleurs dans le monde, à l’exception peut-être de la France. Elle est dans un état dubitatif car elle a du affronter l’émergence de médias nouveaux comme la télévision, les jeux vidéo, les CD et les DVD, l’Internet, etc. Elle vit quelque chose comme une crise d’identité. Je m’explique : la bande dessinée s’est longtemps positionnée comme un substitutif d’autres médias. En Italie, après la guerre, par exemple, la bande dessinée était un substitutif du cinéma parce qu’elle était moins chère à consommer. Plus tard, elle proposa des « Soap Opera » alors qu’ils n’existaient pas encore à la télévision…. Aujourd’hui, la bande dessinée n’existe plus que par elle-même, et non plus parce qu’elle est un pis-aller pour autre chose. Elle tend à aller vers une forme spécifique au médium, et à lui seul. J’espère que cela continuera encore sous cette forme. winspark-it.com »
Les mangas, aussi
En Italie comme ici, les mangas ont pris une place éminente. Castelli est un petit peu le responsable de cette « invasion » parce qu’il a été le premier à publier des mangas en Europe. S’il avait su… : « J’ai toujours une opinion assez pessimiste sur le rôle des mangas. Peut-être ont-il pris le public de notre bande dessinée traditionnelle. Or, les mangas ne sont pas propédeutiques à la bande dessinée européenne : ils n’apprennent pas au jeune à lire nos BD, au contraire. C’est peut-être un peu différent en France car les BD et les mangas sont vendus dans les mêmes points de vente. Mais cette proximité est unique au monde. En Italie, comme en Allemagne, les lecteurs de mangas et de bande dessinée ne se recoupent quasiment pas. On les trouve dans les boutiques de DVD, de musique, mais pas dans les librairies. Là est le danger. D’un autre côté, on peut se dire que tant que ces lecteurs lisent des bandes dessinées, quelles que soient leurs formes, c’est finalement une bonne chose. »
Mais en Italie comme en France, les mangas n’ont jusqu’à présent pas réussi à étouffer la production nationale. Même si, pour la création italienne, le principal débouché est aujourd’hui… la France.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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