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La bande dessinée, une arme politique ? (1/2)

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 27 février 2009                      Lien  
La bande dessinée a de tout temps flirté avec la politique. Mais jamais autant qu’aujourd’hui, elle n’a été l'objet d’un véritable terrain d’échange idéologique. Des publications récentes, comme « L’Affaire des affaires » de Denis Robert, un reportage de Chapatte à Gaza, ou le dernier numéro de L’Écho des Savanes » montrent que, désormais, elle est entrée dans une phase bien plus offensive.
La bande dessinée, une arme politique ? (1/2)
Tintin au Pays des Soviets par Hergé (1929). Une bande dessinée résolument politique.
(C) Casterman/Moulinsart.

L’affaire ne date pas d’hier. On se souvient que Tintin cassait du bolchevique, et que Hergé fustigeait l’impérialisme « cosmopolite » américain avec un couplet en faveur des Indiens spoliés de leur terre. Produits d’une époque et d’un journal, Le Vingtième Siècle, qu’Hergé lui-même qualifiait « d’extrême droite ».

L’après-guerre et la Loi de censure de 1949 « pour la protection de la jeunesse » vont quelque peu aseptiser le discours politique, du moins dans les apparences. Mais l’avènement de la bande dessinée pour adultes dans les années soixante avec la création de Hara Kiri qui cultivait un propos antimilitariste et libertaire vont permettre au discours politique de revenir par la grande porte. Le combat pour la reconnaissance de bande dessinée caractérisé par le retour du désenclavement de la bande dessinée du ghetto de la littérature pour la jeunesse s’était accompagné en France, l’a-t-on jamais remarqué ?, d’une politisation qui enfourche d’abord la cause de la liberté sexuelle (Barbarella, 1964) pour mieux réinvestir le discours politique.

Coeurs Vaillants, journal catholique des éditions Fleurus. Dans l’après-guerre, la plupart des grands "illustrés" français relèvent d’une "officine" idéologique
DR

Cela s’était passé différemment aux États-Unis. Pour contourner le comics code et la censure qui avaient matraqué les comics d’horreur, EC Comics lança Mad Magazine en 1952. Le brûlot d’Harvey Kurtzman ne se voulait pas un magazine de bande dessinée, ce qui l’aurait soumis au code de censure, mais un magazine politique qui utilisait la bande dessinée, notamment contre la Guerre du Viêt-Nam. Dans un deuxième temps, l’Underground avec Robert Crumb en figure de proue, accompagna la libération sexuelle (et pas seulement au niveau du discours), mais elle n’était qu’une part du combat pour les Droits civiques pour la reconnaissance des minorités.

Au Japon, les forces en présence sont les mêmes. Go Nagaï, le futur créateur de Goldorak, fait passer, grâce à Harenchi Gakuen (1968), un manga d’action pour adolescents (Shônen), son tout-nouveau magazine Shônen Jump de Shûeisha le cap fabuleux du million d’exemplaires vendus par semaine. Non sans provocation : « Harenchi » signifie « scandale » et « gakuen » : « école », une association qui détonne dans le Japon conservateur de l’après-guerre. Les ligues de vertu montent au créneau pour tenter de réprimer un érotisme d’une discrétion pourtant exemplaire. La série devint un phénomène générationnel, Nagaï se voyant invité dans les shows télé, figure pour les uns, du mal absolu, pour les autres, d’une jeunesse nipponne moderne.

Barbarella de Jean-Claude Forest. La bande dessinée érotique a été l’étendard d’une certaine politisation de la bande dessinée.
(C) Jean-Claude Forest

En France, la plupart des grands illustrés pour la jeunesse appartenaient à des officines : Cœurs Vaillants ou Bayard à des institutions religieuses, Vaillant puis Pif Gadget au Parti Communiste Français. Venus de l’étranger, Mickey, Tintin et Spirou étaient tenus à la neutralité, ce qui leur réussit peut-être plus qu’à leurs concurrents idéologiques.

La moquerie du politique commença à coloniser les « illustrés » et l’on vit une grosse tête du premier ministre Raymond Barre offrir son regard bigleux aux lecteurs de Pilote. La sexualité devint un enjeu, étendard de la liberté de la presse. Hara Kiri, Charlie Hebdo, les premiers numéros de L’Écho des Savanes osèrent des choses inouïes face à une censure qui n’osait plus réprimer. Jacques Glénat, alors jeune éditeur, publia des ouvrages (par exemple Marie-Gabrielle de Saint-Eutrope de Pichard) que, Jésus-Marie-Joseph !, il n’envisagerait même plus de publier aujourd’hui. Avec Les Passagers du vent, il fit entrer la bande dessinée pour adultes dans la grande distribution. Quant à Dargaud, il alignait dans les années 1980 quelques albums gauchistes signés Christin, Bilal ou Tardi que les nouveaux propriétaires entreprirent de nettoyer du catalogue en l’achetant, oubliant au passage de censurer, à son grand étonnement, les partouzes de Gérard Lauzier.

Donald l’imposteur (Ed. A. Moreau). Dans les années 1970, la "propagande" politique dans les BD est dénoncée.
DR

La critique ne manqua pas, à la fin des années 1970 de livrer à la vindicte les auteurs « anticommunistes » et « racistes » comme Hergé qui, quelque part, profita de cette "légende noire". Donald l’Imposteur ou l’impérialisme raconté aux enfants d’Armand Mattelart et Ariel Dorfman (1976) s’employant à brocarder les valeurs bourgeoises popularisées par Walt Disney dont on ne tarda pas à découvrir que son génie servait aussi à renseigner le FBI sur l’appartenance communiste de ses collègues d’Hollywood.

La BD fut identifiée comme un excellent vecteur de communication (le mot « propagande » étant proscrit depuis Goebbels). Paul Gillon illustra une Histoire du parti socialiste en BD (1977), tandis que les amis de Monsieur Le Pen noyautaient un des principaux fanzines de ces années-là, Bédésup, ouvrant par exemple ses colonnes au romancier ADG en 1995 qui s’y vantait d’avoir été le scénariste d’une bande dessinée anti-socialiste dans Minute.

Depuis, Chirac, Ségolène, Sarkozy, Bush ou Marine Le Pen défilent dans les cases et s’y font ridiculiser plus qu’à leur tour. Évolution normale de la société : après tout, du Bébête Show aux Guignols, la télé suivait le même chemin.

Mais récemment, une chose a changé : l’affrontement dans la bande dessinée est revenu sur le terrain du combat idéologique.

(A Suivre)
La suite : Duel entre deux gauches

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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En médaillon : Mad Magazine qui, aux dernières élections présidentielles américaines, ne cachait pas ses sympathies démocrates.

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4 Messages :
  • La bande dessinée, une arme politique ? (1/4)
    2 mai 2011 19:26, par Pierre

    En voilà un exemple ;) :
    http://www.pqbd.fr/

    Répondre à ce message

  • Quant à Dargaud, il alignait dans les années 1980 quelques albums gauchistes signés Christin, Bilal ou Tardi que les nouveaux propriétaires entreprirent de nettoyer du catalogue en l’achetant, oubliant au passage de censurer, à son grand étonnement, les partouzes de Gérard Lauzier.

    C’est parce que ce n’était qu’idéologique comme censure, exit les gauchistes (quoique Bilal gauchiste, ça fait rire), mais bienvenu à Lauzier l’homme de droite et ses partouzes de petits bourgeois ventrus.

    Répondre à ce message

    • Répondu le 3 mai 2011 à  13:54 :

      Lauzier était au centre, en fait. Mais ayant travaillé dans la pub, il connaissait le monde des affaires.

      Répondre à ce message

    • Répondu le 3 mai 2011 à  16:24 :

      Il me semble qu’à la même période, il s’empressa de ceder les droits de séries trop sexys à son goût Druuna et cie par exemple.

      Répondre à ce message

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