Lorsqu’en décembre 2007, la fille unique de l’artiste et directrice générale des éditons Albert-René [1], un label créé par Albert Uderzo pour exploiter les droits d’Astérix et en assurer la gestion, reçoit une lettre de licenciement signée par son père, littéralement, selon la formule consacrée, « le ciel lui tombe sur la tête ». On sait évidemment peu de choses sur les raisons de cette « disgrâce ». Mais depuis, clame-t-elle aux micros des radios et des télés, « elle est en souffrance ». On veut bien la croire.
Nous avons déjà raconté que cette décision de vendre de la part d’Albert Uderzo ne nous avait pas surpris. En octobre 2007, à Francfort, la crise était déjà patente : de nombreux éditeurs étrangers d’Astérix avaient rendez-vous avec la très dévouée équipe qui animait depuis plusieurs années la gestion des droits. Mais elle n’était pas au rendez-vous cette année-là, alors qu’un stand leur était réservé. Une affaire grave les retenait à Paris. L’âge honorable d’Albert Uderzo (80 ans en 2007) était dans tous les esprits : avait-il eu un malaise ? Non pas. Il venait simplement de décider de virer sa fille.
Brusquement débarquée
Pour la profession, c’est la surprise, comme cette cession faite à Hachette aujourd’hui. Si cette affaire est de toute évidence, comme nous avons pu l’écrire, une banale affaire de transmission d’entreprise, il est rarissime en revanche qu’une relation familiale soit aussi dégradée. Les enfants de Peyo, de Jean Graton ou de Jean Tabary ont tous créé des sociétés d’éditions dans le giron de leur père de façon harmonieuse. Ils veillent sur l’héritage et le font prospérer. C’était le cas avec Sylvie Uderzo et son mari Bernard de Choisy jusqu’à l’année dernière.
Mais depuis, en dépit d’un dérisoire recours aux Prud’hommes qui mettra quelques mois se résoudre, elle a perdu pied. Propriétaire à 49,9% de la holding Syadal, qui détient 80% des parts d’Albert René, les 20% restants appartenant à Anne Goscinny, la fille du scénariste, Sylvie Uderzo s’est faite évincer avec une étonnante brutalité. Pour quelle raison ? Mystère. L’officialisation de la vente à Hachette Livre a du être vécue par elle comme une injustice, de même que pour la quinzaine de personnes qui faisaient fonctionner une société profitable et qui défendaient avec une compétence reconnue les droits et l’image d’Astérix depuis de nombreuses années.
Mais elle a décidé de ne pas se laisser faire : un recours auprès du Tribunal de commerce a été déposé pour « abus de majorité » et un pourvoi en Cassation a été lancé mettant en cause la légalité même de la cession des parts à Hachette. Des recours qui jettent une lumière un peu crue sur un abordage apparemment préparé depuis 18 mois. Créé en 1959, Astérix a connu bien des péripéties. L’année anniversaire de ses cinquante ans risque malheureusement de s’illustrer dans les prétoires.
Quid de l’avenir ?
Au-delà de cette bataille juridique, c’est l’avenir d’Astérix qui interpelle. Quel est le projet d’Hachette en ce qui concerne le petit Gaulois ? Le groupe qui possède d’autres licences comme Babar ou Bécassine n’est pas connu pour être un foudre de guerre créatif (ces licences sont quelque peu retombées ces derniers temps). Comme Uderzo clame depuis plusieurs années qu’il n’y aura plus de nouvel Astérix après lui, rien n’empêche de continuer à produire des dessins animés, des nouveaux films live, des jeux vidéo,… et d’autres livres tirés de ces dérivés. Qui va gérer ce patrimoine quand son créateur ne pourra plus en assurer le suivi ? Une fondation ? Sur quelle base et avec qui ? Est-ce que, dans les années à venir, notre sympathique Gaulois va être régenté par des hommes en gris cravatés et parlant « marketing », ce genre d’individus que René Goscinny a toujours détesté ? Sylvie Uderzo a raison d’être inquiète.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon : Sylvie Uderzo. Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD).
[1] Composé de Albert Uderzo et René Goscinny.
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