Les enjeux de la revente sont bien plus importants que la simple cession des parts d’une société d’édition : Le contrat signé entre Anne Goscinny (l’ayant-droit du scénariste René Goscinny, co-créateur d’Astérix), Albert Uderzo et Hachette mentionne également la cession des droits dérivés (Parc Astérix, droits audiovisuels, …) et la poursuite des aventures du petit Gaulois par d’autres auteurs le moment venu.
En début de semaine, Olivier Delcroix du quotidien Le Figaro apportait un nouvel éclairage sur cette affaire révèlant le rôle du beau-fils d’Uderzo, Bernard Boyer de Choisy.
Jérôme Dupuis de L’express nous dévoile aujourd’hui d’autres détails importants, notamment ceux qui concernent les griefs que porte Albert Uderzo à son gendre.
Rien ne nous est épargné. Et à vrai dire, on sent que les différentes parties opposées dans ce dossier y mettent tous les arguments pour gagner ce règlement de compte médiatique, en attendant de le continuer devant les tribunaux. L’Express publie les montants facturés par la société BB2C appartenant à Bernard de Choisy à Albert-René pour ses prestations et conseils, ainsi que ses notes de frais de taxi.
L’Express nous apprend avec force détails que le contrat de vente de la maison d’édition Albert René a été signé le 12 décembre 2008 dans les bureaux du cabinet d’avocats Hastings, Janofsky & Walker à Paris. Le montant de la vente serait de « plusieurs dizaines de millions d’euros ». Ce jour-là, Albert Uderzo a cédé 40 % des parts qu’il détenait dans Albert René à Hachette. Anne Goscinny vendait au même acheteur sa participation de 20 %. Sylvie Uderzo, propriétaire à concurrence de 40% d’Albert-René, aurait tenté la veille de la signature du contrat de convaincre son père de l’empêcher de vendre. Elle n’y est pas parvenue et n’était pas présente lors de la signature du contrat. Sylvie Uderzo reste propriétaire de sa participation, minoritaire dans le capital d’Albert-René. Il est probable que cette position l’amènera à affronter Hachette, ne fut-ce que parce qu’un actionnaire minoritaire a des droits.
L’hebdomadaire, qui semble être bien informé, nous apprend aussi qu’Albert Uderzo n’a pas cherché à faire monter les enchères alors même que de nombreux concurrents avaient sorti le chéquier. Hachette, propriété du groupe Lagardère, n’était pas le seul intéressé par la manne de sesterces que représentent les aventures d’Astérix et Obélix. D’après l’Express, TF1, M6, Média-Participations (propriétaire de Dargaud, Dupuis, Lombard et Kana) et l’homme d’affaires Jean-Claude Darmon, étaient sur les rangs. Ce dernier investisseur aurait même, d’après L’Express, dit : « Combien vous donne Hachette ? J’offre plus ». L’homme était en confiance avec Hachette, et devait probablement se dire que son personnage était en bonne main chez cet éditeur. En effet, lorsqu’il a récupéré, avec Anne Goscinny, les droits d’édition des premiers albums, [1] après son procès avec Dargaud, il les avait précisément confiés à cet éditeur. Cette maison diffusait et distribuait aussi depuis quelques années les nouveautés d’Astérix éditées par Albert-René. Uderzo connaissait donc ses interlocuteurs.
Bien décidé à ne pas laisser l’avenir d’Astérix aux mains de sa fille, compte tenu des tensions familiales, Albert Uderzo a donc choisi l’option qui lui semblait la plus pérenne et la plus sécurisante pour Astérix : Celle de confier son personnage à un grand groupe d’édition, dont le chiffre d’affaires avoisinait les 2.130 millions d’euros en 2007 [2].
Albert Uderzo, dans son interview accordée à Jérôme Dupuis, confirme sa position. Dans sa tribune du journal Le Monde, justifie-t-il, Sylvie Uderzo avait déclaré mener une bataille pour faire annuler la vente des éditions Albert-René, en vue de sauvegarder le patrimoine familial. Le créateur graphique d’Astérix balaye l’argument d’un revers de main : sa fille et ses petits-enfants sont loin d’être dans le besoin. Il confie à Jérôme Dupuis de L’Express : « En tant que père, j’ai apporté à ma fille unique beaucoup d’amour et lui ai accordé plusieurs donations, dont celle des 40% des éditions Albert René qui lui ont apporté d’appréciables subsides ». Plus loin, il fait part de sa volonté de faire don de l’ensemble de ses planches et dessins à la Bibliothèque Nationale de France [3], excepté les deux premiers épisodes d’Astérix qui seront légués à ses deux petits-fils. Albert Uderzo souhaite éviter tout risque de dispersion. Il ne souhaite pas que son patrimoine tombe dans les mains de collectionneurs ou de spéculateurs.
Alors qu’il est dans la dernière période de sa vie, Albert Uderzo semble prendre les dispositions pour sa succession. La vente des éditions Albert-René et le futur legs des planches à un organisme d’état le prouve. Pour la suite des aventures d’Astérix, après son décès, il pense confier ses crayons et pinceaux à des proches, travaillant déjà avec lui. « J’ai autour de moi deux ou trois collaborateurs de grand talent, qui encrent et colorient mes dessins depuis des années. Il paraîtrait assez naturel de se tourner vers eux. Mais, vous savez, tant que je pourrai dessiner, je le ferai ! ». Le dessinateur a déjà une idée pour l’album qui suivra Le Livre d’Or d’Astérix sur lequel il travaille en ce moment.
Le Landerneau bédéphile continue quand même de s’interroger sur les raisons du revirement d’Uderzo quant à la poursuite d’Astérix. Il avait maintes fois confié qu’Astérix ne connaîtrait pas de nouvelles aventures après son décès, notamment lors du fameux lancement de son dernier album à Bruxelles. Albert Uderzo avançait alors l’argument qu’un lecteur lui avait écrit une lettre touchante disant que seuls ses créateurs pouvaient faire vivre Astérix. Le quatorze janvier dernier, sur les ondes de RTL, il s’est servi de cette même anecdote, modifiée cette fois dans un sens contraire, pour justifier son choix. Ce qui renforce l’idée que la "bataille d’Astérix" n’est hélas qu’un dramatique conflit familial autour d’une succession annoncée.
Le dernier album était parfaitement prophétique : le monde d’Astérix est envahi par les extra-terrestres et le ciel lui est tombé sur la tête !
(par Nicolas Anspach)
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Lire aussi :
« Bruxelles : La folie Astérix » (23 septembre 2005)
« Albert Uderzo vend Astérix à Hachette » (13 décembre 2008)
« La Bataille d’Astérix » (20 décembre 2008)
« Astérix poursuivra ses aventures sans Uderzo » (10 janvier 2009)
La bataille d’Astérix : Une réponse d’Albert Uderzo » (14 janvier 2009).
La bataille d’Astérix : L’affaire s’envenime (3 février 2009)
[1] Ceux signés conjointement par Goscinny et Uderzo.
[2] À titre de comparaison, le CA de Média-Participations ne représente que 302 millions d’euros pour cette même période.
[3] Le dépôt légal de la bande dessinée en France étant délégué au Centre International de la Bande Dessinée et de l’Image, il est probable que ce sera le Musée de la Bande Dessinée à Angoulême qui en sera le dépositaire.
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