Nous vous en parlions l’année dernière : François Defraye s’est associé à Philippe Charlier pour redonner vie à des scénarios de son illustre père, albums inédits ou rarissimes. Le journaliste Hervé Cannet et notre confrère Gilles Ratier écrivent les articles introduisant les contextes historique et artistique de chaque titre.
Impossible de résumer la carrière de Jean-Michel Charlier en deux mots. Il est sans nul doute le plus grand scénariste réaliste de l’âge d’or de la bande dessinée belge, mais on peut énumérer quelques-uns de ces plus grands héros : Blueberry, Buck Danny, Tanguy & Laverdure, La Patrouille des Castors, Barbe-Rouge, Marc Dacier, Tiger Joe, Surcouf, Jacques Legall et bien d’autres, sans oublier la création des Histoires vraies de l’Oncle Paul, ou encore sa contribution à Dan Cooper et à Jean Valhardi.
Un premier titre très bien accueilli
Malgré un récit plus en marge des ses scénarios les plus reconnus, le premier volume de cette collection qui lui est dédiée, Clairette dessinée par Uderzo, a été fort bien accueilli par le public. Le pari de François Defraye était sans doute risqué, mais le premier millier d’exemplaires a trouvé ses amateurs : « Nous ne comptons pas rééditer ce premier tome dans un futur proche, même si les ventes ont été assez rapides , explique l’éditeur. Mais cela nous a conforté dans notre choix de présenter des albums inédits ou rares à un public connaisseur. Nous conservons actuellement un tirage d’un millier d’albums pour chaque tome, avec cet intérêt de compléter les albums par des inédits et des angles de vue intéressants. »
Alors que nous nous attendions au retour de Michel Brazier, c’est finalement Kim Devil qui vient consolider les bases de cette collection pour bédéphiles exigeants.
Kim Devil, une "suite" de Tiger Joe ?
Une fois de plus, l’album de Sangam reprend donc toute une série d’articles présentant la biographie du dessinateur Gérald Forton qui est en charge du dessin des quatre tomes de Kim Devil, quelques passages d’une interview accordée spécialement à cet effet, ainsi que la genèse de la série contextualisée avec les événements marquants de l’époque.
Cette introduction s’avère passionnante quand Gilles Ratier met en avant les similitudes entre Kim Devil et Tiger Joe, ce dernier étant dessiné par Victor Hubinon dès 1950. Excepté le lieu de leurs aventures respectives (L’Amérique du sud et l’Afrique), il s’avère bien difficile de différencier les deux aventuriers.
D’ailleurs, trois planches ont été récemment découvertes qui tendent à prouver qu’excepté le nom du personnage, il s’agirait bien de la même série. Ces documents qui semblent d’époque ne sont pas signées, mais présentent un découpage en trois bandes peu conventionnel dans les usages de la BD de cette époque. Elles reproduisent le contenu des premières planches de Kim Devil, alors que le titre est attribué à Tiger Joe ! Reproduites dans l’album de Sangam, elles permettent au lecteur de suivre pas-à-pas les étapes de création de ces héros.
Alors que les aventures de Tiger Joe ont été rééditées à plusieurs reprises, les albums de Kim Devil n’ont bénéficié que d’une seule édition, belge et française, il y a plus de 50 ans. Gérald Forton n’ayant plus les planches originales, il a fallu repartir des albums eux-mêmes, et plus précisément des exemplaires conservés par Jean-Michel Charlier.
On peut s’étonner de la place prise par les aplats noirs qui rendent fort sombres certaines pages, ainsi que les couleurs d’époque, pas toujours uniformes et à la créativité plutôt limitée : « Nous avons voulu fournir un album le plus conforme possible à l’original, explique encore François Defraye. Le premier essai n’était pas satisfaisant, notamment à cause des bulles trop chargées de couleur. Nous avons donc demandé à un graphiste de les retravailler pour mieux faire ressortir le texte, mais la typographie est d’époque. Certaines couleurs n’ont pas non plus toujours été bien respectées par le coloriste original, mais cela donne également tout un caractère authentique à l’album. Nous avons aussi reproduit la couverture initiale en début de volume, même si elle ne correspond pas vraiment aux codes actuels. Sergio Honorez nous a aussi très gentiment retrouvé les titrailles de Spirou ! »
Les prochains albums de Kim Devil et de la collection J.M. Charlier
À raison d’un album tous les six mois, nous aurons donc la totalité des quatre aventures de Kim Devil en deux ans. Chacun des ces albums contiendra encore son lot d’inédits avec, en point d’orgue, les deux récits de quatre pages parus dans l’éphémère Risque-Tout (un périodique de Dupuis publié entre 1955 et 1956), ainsi qu’un autre récit inédit Draga, reine de Serbie, scénarisé par Charlier et illustré par Forton.
Après, comme nous l’avions évoqué l’année dernière, c’est Michel Brazier qui aura les honneurs d’une édition en album. Pour rappel, il s’agit un ancien mercenaire qui dénonce la corruption dans le milieu des diamantaires africains. Tirés de son téléfilm Les Diamants du Président, Charlier imagina une série de bande dessinée, illustré par le papa de Rahan, André Chéret. Les premières pages furent publiées dans Spirou en 1979 [1], et c’est ce premier album qui sera d’abord proposé, tiré des planches originales conservées par le dessinateur et dont on refera les couleurs. Mais ce premier tome s’interrompait en pleine aventure !
Le second album sera inédit, car jamais dessiné ! Non écrit du vivant du Charlier, son scénario reprendra les ressorts de la série télévisuelle, et sera encore et toujours dessiné par André Chéret qui a donné son accord pour cette « suite et fin ».
D’autres héros de Jean-Michel Charlier seront ensuite mis à l’honneur, tels que Guy Lebleu, dessiné par Raymond Poïvet : « Il est compliqué de lancer à si long terme un programme éditorial sans avoir écouté le public, mais si l’on peut encore trouver des albums de Marc Dacier, nous pensons fortement à rééditer les Valhardi. Si les ventes sont conséquentes, on pourra maintenir le rythme de deux albums par an, pour autant que la qualité, l’éclairage et les inédits y soient présents. »
Le tirage de mille exemplaires demeurant relativement discret par rapport à l’attente supposée des connaisseurs de Kim Devil, on ne peut que conseiller aux amateurs de ne pas trop trainer à ouvrir l’album afin de se laisser convaincre de l’intérêt de la collection.
(par Charles-Louis Detournay)
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