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La collecton "Wanted" (1/2) : Paquet livre la version authentique des Dalton !

Par Charles-Louis Detournay le 11 août 2016                      Lien  
Coïncidence ou stratégie ? EP Editions (du Groupe Paquet) profite de l'anniversaire des 70 ans de Lucky Luke pour revenir en détails sur le destin authentique des Dalton. Voilà qui méritait un retour en arrière : comment Morris avait-il imaginé cette bande de gangsters ?

La collecton "Wanted" (1/2) : Paquet livre la version authentique des Dalton !Les Dalton ! Grâce à l’image donnée par Morris & Goscinny, ce sont sans doute la famille de malfrats américains la plus connue du grand public, loin devant les Clanton, les James, les Younger et autres Barker. Qui pouvait effectivement imaginer que ce gang finalement plus stupide que doué, allait prolonger ses exploits dans de multiples aventures de papier, tout cela parce que l’un d’entre eux allait miraculeusement échapper à la mort ?

Les Dalton de Morris : aux origines du mythe... et des interprétations diverses

Avant que Goscinny ne fasse apparaître anecdotiquement les cousins factices Joe, Jack, William & Averell dans Lucky Luke contre Joss Jamon, puis plus en détails dans Les Cousins Dalton, rappelons que Morris avait déjà dédié seul Hors-la-loi, le sixième tome de sa série, aux figures historiques qu’étaient les authentiques Bob, Grat, Bill et Emmett Dalton. Mais qui étaient réellement ces quatre frères et comment Morris eut-il vent de leur sanglante carrière ?

L’affiche du film de George Marshall
Seuls trois Dalton aurait fait parti du gang, selon Emmett Dalton. Pourquoi Morris inclut Bill ?
L’autobiographie d’Emmett Dalton

Le créateur de Lucky Luke s’inspira du film de George Marshall Quand les Dalton arrivent (1940), qui adaptait lui-même assez librement la propre biographie d’Emmett Dalton, Le Gang des Dalton, notre vraie histoire. Le scénariste du film prit déjà de nombreuses licences avec la réalité : il inclut ainsi l’aîné Ben Dalton au sein du gang, alors que cet universitaire mourut de sa belle mort à 84 ans. Le film présentait également l’exécution du fameux Emmett Dalton, ce qui aurait rendu impossible la rédaction de la biographie qui avait donné naissance au film ! Au diable ces incohérences pour le réalisateur George Marshall, tant que demeurait l’esprit romantique de ces gentils ranchers qui étaient acculés à se battre contre les expropriateurs terriens. Une vision bien éloignée de la vérité...

Morris a-t-il volontairement ou involontairement confondu d’un côté Bill Power descendu avec les autres Dalton à Coffeyville, et de l’autre Bill Dalton pourchassé alors il travaillait paisiblement à sa ferme deux ans plus tard ?

Comment dès lors blâmer Morris qui malgré des recherches assidues, s’éloigna également de la vérité historique en présentant un gang formé par les quatre frères Bob, Bill, Grat & Emmett ? En effet, même si Bill Dalton fut également un bandit, il ne participa jamais au gang formé (entre autres) par ses trois frères. Mais comme il fut tué "par erreur" par des marshalls adjoints dans sa ferme d’Oklahoma, et qu’un autre Bill (Powers) attaqua et périt à Coffeyville avec les Dalton, Morris prit d’autant facilement la licence, que Marshall avait forgé la légende des quatre frères Dalton avant lui ... Il eut cependant l’idée de génie d’en concevoir la hauteur en escalier, Goscinny affinant plus tard les psychologies des personnages.

La vision des quatre frères dans le film de George Marshall a marqué l’imaginaire de Morris !

Si cet album (pour la jeunesse) intitulé Hors-la-loi reste logiquement assez éloigné des faits réels, Morris s’était bien renseigné sur le parcours des bandits et a recollé à l’Histoire en fin de parcours des gangsters en plaçant l’affrontement final de son récit dans Coffeyville, la ville où la famille Dalton s’implanta pendant quelques années avant que les événements ne ne dérapèrent. En effet, le 5 octobre 1892, le gang Dalton attaqua les deux banques simultanément, histoire de marquer définitivement les esprits avant de prendre leur retraite, possiblement en Amérique du Sud. Mais leur parcours s’arrêta là, après une terrible bataille rangée à laquelle seul Emmett Dalton survécut, malgré ses vingt-trois blessures par balle recensées.

Même sur les affiches de recherche, que trois frères Dalton, et pas de Bill ?!

Bien sûr, Morris prit d’autres libertés avec la vérité historique, notamment dans son développement de la stratégie des bandits qui, en réalité, se déployèrent en deux groupes pour attaquer les deux banques. Mais il maintint les anecdotes qui cadraient avec l’atmosphère plus humoristique de son récit : tel cet employé de banque qui retarda les bandits en prétextant que le coffre ne pouvait s’ouvrir qu’à une certaine heure affichée par la pendule !

Morris expliqua : « Ce qui m’avait séduit dans le film de George Marshall, "When the Daltons Rode", c’est qu’il s’agissait de quatre frères unis pour la défense de très mauvaises causes. Ils ont réellement existé, mais, bien sûr, ils n’étaient ni jumeaux, ni de taille échelonnée. Ils étaient les cousins des frères Younger qu’ils entendaient dépasser en cruauté. En fait, c’étaient de vrais imbéciles, ils préparaient minutieusement des attaques qui leur rapportaient des butins de rien du tout. Quand j’étais à New York, je me suis très bien documenté à leur sujet. Les faire mourir à la fin de "Hors-la-loi" fut une grosse gaffe de ma part. J’ai reçu beaucoup de lettres de lecteurs qui trouvaient ces personnages très amusants et souhaitaient que je les remette en scène. J’ai créé les cousins, encore plus bêtes, ayant constaté que la bêtise et la méchanceté mises ensemble donnent lieu à des gags très drôles. » [1]

La version finale de "Hors-la-loi"...

L’affrontement final de Coffeyville reste donc au cœur des mémoires et du récit de Hors-la-loi, car la majeure partie de la bande des Dalton fut véritablement décimée lors d’un véritable carnage. Notons d’ailleurs que la mort de Bob Dalton, tué d’une balle de Lucky Luke en pleine-tête dans l’album Hors-la-loi, fut censurée pour laisser la place à une conclusion moins violente, mais tout aussi explicite dans l’album : l’alignement des quatre tombes en fin de planche. Heureusement pour les puristes, la version originale de cette séquence a été restituée dans l’édition Gag de poche de l’album et l’on comprend dès lors la haine féroce que lui voue l’imaginaire mais rancunier Joe Dalton : Lucky Luke a tué son cousin Bob !

... et la version non-censurée publiée dans le Gag de poche, où Bob, les revolvers vides, reçoit la balle de Lucky Luke en pleine tête.
Le recueil de courts récits publiés en 1980 par Bédéscope.

Les Dalton, dessinés par Hermann

On a bien compris l’important décalage entre la vérité historique et la version donnée par Morris. L’auteur n’avait certainement pas imaginé le retentissement qui suivrait son interprétation d’un fait divers, jusqu’à se propager sur les ondes via le fameux "Tagada tagada, voilà les Dalton" [2], comme le chantait Joe Dassin pour son premier vrai succès en 1967. On peut donc légitimement comprendre le besoin de démêler l’authentique de la légende, sans vouloir ôter le potentiel iconique des quatre frères créés par Morris dotés de la même tête et de taille croissante.

Ce fut d’ailleurs chose faite par Hermann en 1967, lorsqu’il publia un récit de six pages intitulé sobrement Les Dalton dans le Journal Tintin (N°963), sur le scénario du journaliste belge Pierre Stephany (sous le pseudonyme de Step). Ce récit fut d’ailleurs repris en noir et blanc dans l’album éponyme publié en 1980 par Bédéscope réunissant plusieurs récits inédits d’Hermann en album.

Les Dalton, vu par Hermann & Step, en 1967.

Cette histoire courte reste dans l’esprit de l’époque, instauré en son temps par Les Histoires de L’Oncle Paul du Journal de Spirou : une biographie rapide qui dépeint quelques tranches de vie décrites à chaque fois en quelques cases. Passionnant de découvrir la vérité historique, mais une distance importante demeure entre le lecteur et ces hommes qui prennent dix ans en deux cases et dont on ne saisit pas toujours les raisons de leurs actes.

La vie des Dalton, revue et corrigée

Si une bonne part de la vérité historique fut déjà rétablie il y a près de cinquante ans, où réside alors l’intérêt de consacrer une mini-série (deux tomes) à ces hors-la-loi, si ce n’est de faire vendre une nouvelle version de cet affrontement évoqué plus de soixante années auparavant ? On peut légitimement comprendre que Paquet ait saisi, en raison de cet anniversaire à grand fracas, tout le potentiel commercial d’une série portant le nom de ces bandits universellement réputés grâce à Morris & Goscinny.

Mais l’intérêt de ce diptyque tient également dans la fin du manichéisme à propos des Dalton. Comme d’autres figures légendaires de l’Ouest, Wyatt Earp en tête ou encore Buffalo Bill, il serait trop facile de catégoriser ces figures qui ont marqué l’Histoire du Far -West. Les auteurs jouent d’ailleurs sur cette dichotomie en présentant sur la couverture de ce premier tome, l’étoile de représentants de la loi arborée par les trois frères. La réalité historique se démarque donc des crapules sans foi ni loi dépeints par la légende, pour autant que puissent en juger les auteurs grâce aux recherches qu’ils ont réalisées. Ouvrons le rideau...

A la fin du XIXe siècle, les banques et les compagnies de chemin de fer étendent leur mainmise aux États-Unis au détriment des petits propriétaires terriens. C’est dans ce contexte que Frank Dalton, marshal adjoint, est assassiné par des trafiquants d’alcool. Ses frères, Bob, Emmett et Grattan prennent la relève et, l’étoile sur la poitrine, tentent à leur tour de faire régner l’ordre en territoire indien. Un travail difficile et peu reconnu par les autorités. Le fait de ne pas être payé par le gouvernement, la tentation de la corruption, et le contexte de ces années difficiles les poussèrent à progressivement transgresser les lois qu’ils avaient juré de défendre. Ainsi naît le gang des Dalton. ..

Par rapport au récit de Step & Hermann, le scénariste Olivier Visonneau s’est librement inspiré de l’autobiographie d’Emmett Dalton, l’un des principaux protagonistes de cette aventure, qui devint par la suite écrivain et acteur à Hollywood. Le père des Dalton y apparaît moins patriarcal qu’ivrogne. Mais les grands événements de leur biographie demeurent : la mort du marshall adjoint Frank Dalton [3], assassiné par une bande de trafiquants d’alcool qui vendaient leurs produits Indiens et non pas comme par des voleurs de chevaux comme Step le crut.

Bob Dalton, bientôt rejoint par ses frères, va continuer le travail de défenseur des lois, mais avec sa propre vision, en fermant les yeux sur ces mêmes trafics, avant de jeter le gant, dégoûté par le manque de reconnaissance de leur travail par le gouvernement.

Si le scénariste de cette nouvelle mouture s’attache donc à reproduire une vérité historique plus fidèle, son talent ne se cantonne pas aux recherches bibliographiques. Il confère à ses personnages une réelle épaisseur, et l’on dépasse rapidement le cadre des frères ou cousins Dalton pour se passionner pour ce western au parfum authentique. Débarrassé de tout manichéisme, on se rapproche des ambiances dépeintes dans des westerns modernes tels que Wyatt Earp, Open Range, Tombstone ou encore Impitoyable. Dans l’Ouest, nul homme n’est donc finalement vraiment bon ou méchant. En fonction de son éducation et des événements qui lui tombent dessus, les as du revolver passent d’un côté ou de l’autre de l’étoile, commentant des erreurs de part et d’autre.

L’intérêt porté aux différentes psychologies des personnages est soigné par quelques petites séquences qu’on pourrait croire anecdotiques si elles ne livraient pas leur compte de petites réflexions assassines. Le talent du scénariste est donc d’imaginer ces rencontres, en les recoupant par des informations historiques, afin de mettre en évidence leurs propres ambitions et la moralité pour le moins lunatique de nos quatre gus, mi-bandits, mi-marshalls.

Jesús Alonso dont on avait déjà pu louer l’expressivité du trait dans Paquet de merde, trouve ici la bonne distance pour se couler dans les choix de son scénariste. On eut parfois préféré qu’il prenne un peu de distance afin d’élargir le champ des beaux décors qu’il est capable de nous délivrer. Mais il préfère légitimement rester proche de ses personnages, comme pour rappeler que la dimension de leur caractère est plus importante que les faits ou méfaits qu’ils pourraient accomplir.

Bien loin de profiter d’un patronyme réputé, cette série des Dalton propose donc un parfait exemple du western du troisième millénaire où, au contraire de Lucky Luke, rien désormais n’est plus noir ou blanc. Notons d’ailleurs qu’une jaquette limitée de ce premier tome est proposée gratuitement aux acheteurs du réseau de librairies spécialisées Canal BD.

La jaquette offerte par les librairies Canal BD
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A suivre : la seconde partie de ce dossier avec l’analyse de l’autre "fait d’armes" de la collection Wanted : Deux Bandits !

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782889320417

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Concernant la collection Wanted, lire également notre chronique du Révérend

[1Tiré d’une interview accordée en 1996 lors d’une rétrospective au Musée du Cinéma de Bruxelles, et reproduite dans L’Art de Morris, p 279.

[2Paroles de Jean-Michel Rivat et Frank Thomas

[3Si le quatrième de couverture de l’album d’EP Editions orthographie erronément Franck Dalton alors qu’il s’agit bien de Franklin "Frank" Dalton qui fut un des premiers Dalton à décéder d’une mort violente, on peut estimer que le qualificatif "aîné de la famille" dont il est attribué dans la même présentation n’est qu’un abus de langage. Même s’il était plus âgé que Bob, Grat et Emmett, Frank n’était que le sixième des quinze enfants de la famille Dalton, mais comme les onze autres frères et sœurs n’interviennent pas le récit, on peut comprendre que l’éditeur ait choisi ce raccourci pour faciliter la compréhension du lecteur.

 
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