Déportés pour coloniser une terra incognita, cette Terra Australis découverte par James Cook mais encore simple point sur une carte du monde imprécise, à l’autre bout du monde, ils seront les premiers habitants blancs de ce qui deviendra l’Australie.
Bagnards, forçats, ils étaient le rebut de l’Angleterre, ils deviendront les premiers habitants de la nouvelle colonie-phare de la couronne. Mais la première question au crépuscule du XVIIIe siècle est de savoir si c’est un aller simple vers la mort et l’oubli ou la chance d’une vie nouvelle ?
En plus de débarrasser cette Londres miséreuse et surpeuplée de ses gibiers de potence, l’objectif est également de dépasser l’ennemi séculaire, le royaume de France, qui a envoyé La Pérouse dans un voyage scientifique autour du monde. Six cents hommes et cent quatre-vingt femmes vont tenter leur chance dans ce périple sans retour. Violeurs et assassins, miséreux et prostituées seront la cargaison humaine de ce premier voyage.
Entourés de soldats plus ou moins violents, parfois compatissants et chaperonnés par la figure paternelle du gouverneur Phillip, "Be-anna" pour les "Ab-origine" (Aborigènes). Trois ans de préparatifs, une navigation de presque un an sur les océans du globe, des morts et des naissances, un voyage homérique, ce sont les ingrédients de ce récit à l’image de ce qu’il raconte, grandiose.
Assimilant les ingrédients sociaux et historiques du peuplement d’une terre loin d’être vierge, on y prend pied à travers ces vies détruites par un système judiciaire qui consacre la domination du fort sur le faible, absurde et arbitraire.
Deux prisonniers reviennent avec récurrence dans le récit : John Hudson, neuf ans à l’orée de cette aventure, condamné à sept ans de bagne, grâce à la clémence du juge, pour avoir volé parce qu’il avait faim ; le colossal et épris de liberté Caesar, ancien esclave dans les treize colonies, récompensé de ses services chez les loyalistes par une condition de pauvre à perpétuité.
Certains se révéleront transfigurés par cette nouvelle expérience, d’autres seront tout simplement à la recherche d’une impossibilité humaine mais aucun ne pourra rester de marbre. Transformés à jamais par cette expérience tout comme Bandaiyan sera transformée par ces nouveaux arrivants.
Ce fut un travail de longue haleine, cinq ans et presque cinq-cents pages, pour conter ce voyage qui a abouti à la création d’une nouvelle colonie pour l’empire britannique. Découpé en trois livres suivant les préparatifs, le voyage et la colonisation, l’album est brillamment illustré par le lavis de Philippe Nicloux.
Ce gris qui se fait profond ou léger donne toute sa dimension au lugubre Londres et au fantastique voyage qui nous est conté. Avec ses magnifiques décors des baies et du bush australiens, ce travail graphique intense permet de plonger sans réticence dans les nombreux remous de cette aventure.
La conclusion en forme de discours visuel entre Bennelong et Phillip est une vision de l’avenir d’un continent sur lequel les Aborigènes ne seront bientôt plus qu’une sous-race parquée et chassée, et qui, de nos jours encore, font partie d’un monde vassalisé et privé de ses traditions par un impérialisme tout-puissant.
(par Vincent GAUTHIER)
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