Au début des années 1960, James (« Jim ») Warren, éditeur indépendant américain, à la tête de Warren Publishing, décide de surfer sur des créneaux déjà explorés dix ans plus tôt par William (« Bill ») M. Gaines d’EC Comics, lui-même fils d’un pionnier de la création des comic books. Outre le journal satirique Help !, confié à Harvey Kurtzman, créateur auparavant de Mad pour Gaines, Jim Warren lance des publications de bandes dessinées dédiées à l’horreur ou au fantastique du style de Creepy (1964) ou Eerie (1965). Présentés comme des magazines, de format supérieur, censés être destinés à des adultes, leur nuance de forme permet de contourner les restrictions imposées par la Comics Code Authority (CCA). À l’affût d’autres possibilités éditoriales pour se distinguer, il s’embarque dans l’aventure risquée d’une revue en noir et blanc mettant en scène de courts récits de guerre au ton divergent par rapport à la montée de l’implication américaine dans le conflit au Viêt Nam : Blazing Combat.
L’Amérique des Bérets verts de John Wayne en prend pour son grade
Harvey Kurtzman s’était essayé au genre (Frontline Combat). Mais, finalement, c’est le talentueux scénariste Archie Goodwin (1937-1998), fan d’EC Comics et alors en début de carrière, qui va apporter là encore une contribution éditoriale majeure. S’efforçant de respecter au mieux leur reconstitution documentaire, il rédige presque toutes les histoires, impliquant des soldats, en priorité américains, mais pas uniquement, lors des guerres connues par les États-Unis depuis leur création. Il collabore pour leur illustration avec une équipe de dessinateurs d’une exceptionnelle qualité. Elle compte dans ses rangs Gene Colan, Frank Frazetta et ses remarquables couvertures, Joe Orlando, John Severin, Al Williamson, Wallace Wood, Alex Toth, etc.
Blazing Combat vaut d’abord pour ces récits de guerre en eux-mêmes, réalisés au moyen de différentes techniques de noir et blanc, par des maîtres du genre. Alex Toth, par exemple, y satisfait ainsi sa passion pour l’aviation, héritée de Noel Sickles. Gene Colan, notamment, s’y montre déjà impressionnant de maîtrise. Toutefois, à l’image des quatre histoires réalisées par Archie Goodwin et Joe Orlando portant directement sur la guerre du Viêt Nam, l’Amérique du film Les Bérets verts (1968) de John Wayne et Ray Kellogg, y justifiant son intervention, en prend pour son grade. Comme dans le caractéristique « Paysage ! », où le scénariste se met à la place d’un paysan vietnamien qui voit sa famille et sa terre dévastées par les belligérants de ce conflit, quel que soit leur camp…
Un combat perdu d’avance
Deux textes d’entretiens, signés Michael Catron, l’un des fondateurs de Fantagraphics Books, accompagnent les bandes dessinées présentées, en fait la totalité de celles éditées dans les quatre numéros de l’éphémère Blazing Combat (1965-1966). Ils éclairent sur les raisons pour lesquelles sa parution dut s’interrompre, faute de rentabilité.
L’hostilité du complexe militaro-industriel états-unien en guerre ne se fit pas attendre. Mais Jim Warren fut contrarié plus encore par l’autocensure de ses propres distributeurs. Voire les protestations d’une influente association d’anciens combattants américains : celle-ci était courroucée par les opinions libérales, contestataires ou antimilitaristes qui étaient exposées dans Blazing Combat, par rapport au patriotisme monobloc plus conventionnel cher à la devise United we stand.
(par Florian Rubis)
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Blazing Combat - Par Archie Goodwin & un collectif de dessinateurs - Akileos
En médaillon : couverture de l’ouvrage Blazing Combat © 2009 Fantagraphics Books & 2010 Akileos.
Blazing Combat - Par Archie Goodwin & un collectif de dessinateurs – Akileos – 208 pages, 27 euros
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