Le 29 octobre 2019, on célébrera les 60 ans du Journal Pilote et par là-même occasion ceux d’Astérix. Ne vous en faites pas, vous en entendrez sûrement encore parler…
C’est pourquoi il n’est pas inutile de se pencher sur l’un des acteurs centraux de cette histoire passionnante : le scénariste René Goscinny. Longtemps, on s’était arrêté en surface de la biographie des auteurs de bande dessinée, estimant sans doute, effet « contre Sainte-Beuve », qu’elle n’avait qu’une incidence mesurée sur l’œuvre.
Je me souviens lorsque, parmi les premiers, j’avais enquêté sur les origines juives de Goscinny, du regard étonné -et même désapprobateur- de certains témoins sur cette question. Depuis, notamment, la formidable biographie de Pascal Ory, Goscinny – La liberté d’en rire (2008, Ed. Perrin), la création de l’Institut Goscinny et la grande exposition au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, ces éléments de sa biographie ne sont plus occultés.
Ils sont même magnifiés dans « Le Roman des Goscinny, naissance d’un Gaulois » de Catel (Ed. Grasset) . On peut même postuler qu’elle nous offre un nouveau Goscinny. Un peu comme si, comme le suggérait naguère Benoît Peeters, Hergé a pu devenir « le Fils de Tintin », ce Goscinny-là était « le fils de sa fille », Anne, devenue comme son père une écrivaine, et pas n’importe laquelle : une romancière à la plume vive qui raconte de passionnantes histoires tristes où pèse la bienveillance d’un père (et des mères : celle du scénariste et celle d’Anne).
Empathie
Il est incroyablement lumineux ce livre à trois voix (celle d’Anne, celle de son père et celle de Catel) à la lecture simple, filée sur le ton de la conversation, qui reprend les grands moments de la vie de l’auteur, entre ses premières années où il vécut en Argentine, les années difficiles et passionnantes où il vécut à New York, jusqu’au moment où il crée avec Albert Uderzo le personnage d’Astérix, séquence qui conclut le livre.
Ce qui est lumineux, c’est que ce travail n’est pas seulement appuyé sur une documentation extraordinairement précise (les goscinnologues s’y reconnaissent…) : grâce au dessin, aux dialogues, ce qui est de l’ordre du ressenti, de l’informulé, ressort avec une incroyable subtilité d’autant plus juste que Catel s’est profondément investie dans la documentation visuelle et surtout, éclaire le propos à la lumière de son amitié avec son héroïne/narratrice. Il n’est pas un trait, pas une case ou une scène où elle ne fait pas la démonstration de son empathie, où l’on ne ressent pas l’intimité dans laquelle cette histoire nous est contée. C’est sans doute ce qui en fait un des ouvrages les plus importants de cette rentrée.
« Une chouette bande de copains »
On connaît l’expression -elle sort du Petit Nicolas- qui s’appliqua d’emblée à l’ambiance qui était celle du Journal Pilote où le héros de Sempé et Goscinny firent paraître ses aventures, dès le N°0, en 1959.
Elle est particulièrement ironique dans ce petit essai, « René Goscinny et la brasserie… des copains » par Christian Kastelnik (Ed. La Déviation) qui tente de reconstituer, minute par minute, le fameux « procès stalinien » dont aurait été victime René Goscinny le 21 mai 1968 dans l’arrière-salle d’une brasserie rue des Pyramides à Paris. Un moment-clé dans l’histoire du scénariste qui consacre une rupture entre l’ancienne et la nouvelle génération du Journal Pilote, prélude à un éloignement progressif du monde de la bande dessinée pour lui préférer le monde du cinéma qui commençait à lui ouvrir les bras.
Évidemment, la réalité est plus subtile et la moindre des qualités de ce petit livre est de montrer comment ce moment a été vécu de façon totalement différente selon les témoins présents (Giraud, Mézières, Mandryka, Godard ou Jean Chakir...), mais aussi les grands témoins absents (Tibet, Charlier ou Gotlib, par exemple).
Surtout, le lieu est celui d’un rassemblement informel d’un syndicat autonome de dessinateurs de journaux qui ont des revendications précises à formuler dans ce printemps où les Français, mais aussi d’autres peuples d’autres parties du monde…, ont la fièvre.
Procès "stalinien"
Pour Goscinny, qui arrive à cette réunion, on l’imagine, en sifflotant (sa fille vient de naître il y a quelques jours), évidemment à pied (tous les métros sont en grève), dans une brasserie qui fait l’angle de la rue Saint-Honoré et de la rue des Pyramides, « La Rotonde des Tuileries », c’est une réunion entre auteurs.
Mais très vite, celui qui, face à des chevelus excités, arbore un strict costume trois-pièces qui lui donne des airs de notaire et dont les ventes d’albums (Astérix, Lucky Luke, Iznogoud, Petit Nicolas…) lui assurent un confortable revenu, va se retrouver sur la sellette.
De fait, la grande question du moment, c’est qu’à cause des grèves, le Journal Pilote a cessé de paraître. Angoisse. Les jeunes auteurs dont la pitance journalière dépend de l’hebdomadaire d’Astérix et d’Obélix avaient toutes les raisons de s’inquiéter. Quand Pilote va-t-il reparaître ? Goscinny n’en sait rien. Comment ça, le « chef » n’en sait rien ?..
La conversation roule sur une prise de pouvoir sur le journal par les auteurs. Goscinny, qui n’en est pas à sa première réunion syndicale -on se souvient qu’il avait été viré de la World Press pour cette raison, entraînant, par solidarité, Albert Uderzo et Jean-Michel Charlier avec lui- n’est en principe pas contre. Mais il sait comment faire un journal. Il voit arriver d’un mauvais œil cette tentative d’autogestion pas vraiment réfléchie de la part de gens qui ignorent tout du métier.
Goscinny ressortit de cet épisode complètement mortifié. Une page venait de se tourner sur une certaine « bande de chouettes copains »…
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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