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La lignée des Iznogoud

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 28 octobre 2015                      Lien  
Le 30e album d'Iznogoud, "De père en fils", vient de sortir en librairie. Après Astérix, Corto Maltese, Achille Talon, Ric Hochet, Bob Morane... la création de René Goscinny et Jean Tabary fait partie, elle aussi, des séries "immortelles", reprises par une nouvelle génération d'auteurs. À cette différence près : son exploitation reste "en famille".

"De père en fils", si le titre s’applique à cet album, il est aussi adapté à la situation éditoriale de l’horrible grand vizir dont le dessin est désormais assuré par le fils de Jean Tabary, Nicolas Tabary.

C’est le 3e album qu’il dessine de la série, dont il a pris, à partir de 2004, la succession de son père disparu en 2011. "Je suis graphiste, je dessine depuis toujours, nous raconte Nicolas Tabary, âgé de 49 ans. Je suis né dans l’univers de mon père et de sa création. J’ai toujours vu son travail. J’ai fait du graphisme, du dessin, de la bande dessinée de communication sur Angoulême et j’ai travaillé avec mon père sur la mise en couleurs de ses albums. Cela a même été mes débuts dans le monde du travail. Je suis revenu un peu plus tard pour travailler avec lui."

Mais, jusqu’ici, il ne dessinait pas Iznogoud :"Je n’ai jamais travaillé sur ses dessins, lui seul dessinait. On a tenté à faire en sorte que ce soit moi qui encre ses planches, mais l’essai a tourné court : je n’allais pas assez vite par rapport aux délais de livraison, parce que je travaillais en parallèle pour mon compte !"

Pourtant, en 1989, ils lancent ensemble le magazine Corinne et Jeannot et Nicolas Tabary entame seul, à partir de 2003, des strips d’Iznogoud sur des sujets d’actualité, comme l’avaient fait René Goscinny et Alain Buhler et son père dans Le Journal du Dimanche en 1974. "C’est là que je me suis fait la main sur le personnage, confie Nicolas Tabary. Il me conseillait ponctuellement et je corrigeais dans la planche suivante. J’avais déjà bien les personnages en tête car j’ai beaucoup travaillé sur les documents éditoriaux de la maison d’édition de mon père. Même mes dessins pour la communication étaient influencés par son trait. Le jour où j’ai publié le premier album, les gens se sont rendus compte que mon dessin était très proche de celui de mon père. Je considère Iznogoud comme un don que m’a fait mon père, que j’estimais en tant qu’homme et en tant qu’artiste."

La lignée des Iznogoud
Jean tabary et son fils Nicolas, au temps où il assurait les couleurs de la série.
Photo DR (c) Imav
Le tome 2 de la formidable intégrale Iznogoud (Ed. Imav)

Le premier album, ce sont son frère et sa sœur qui font le scénario. Pas évident quand il faut succéder au grand Jean Tabary et à l’immense René Goscinny ; "Ils ont voulu tellement bien faire qu’ils en avaient mis trop : il a fallu que je fasse rentrer tout cela dans l’album. C’était dur, dur, d’autant que je n’ai pas ouvert les albums de mon père pour le dessiner. Je me l’interdisais."

Autodidactes l’un et l’autre, Tabary père et fils, se sont forgés un style particulier, unique, reconnaissable entre tous, qui a immédiatement séduit Goscinny. Avec le créateur d’Astérix et du Petit Nicolas, l’osmose est parfaite : le dessin nerveux de Tabary colle parfaitement au personnage exalté du Grand Vizir. Quand René Goscinny décide de quitter Dargaud pour fonder sa propre maison d’édition, Jean Tabary en accepte le principe. Mais le grand homme meurt subitement en novembre 1977. Comme Albert Uderzo, Jean Tabary, pour respecter la volonté de René Goscinny, fonde son label autour de son personnage. Comme Uderzo, il écrit seul ses scénarios. "Il n’a pas cherché à faire du Goscinny, analyse Nicolas Tabary, il a fait ce qu’il savait faire. Il a conservé les éléments d’origine en apportant un développement dans la façon de raconter des gags avec une folie qui lui était propre et des personnages secondaires qu’il aimait beaucoup mettre en valeur. C’étaient des histoires de fous mais qui retombaient toujours sur leurs pattes." On en a un exemple dans le second volume de L’intégrale Iznogoud (Ed. IMAV) qui vient de sortir et dont les scénarios sont écrits par le dessinateur. Signalons au passage une excellente introduction historique de la série qui raconte notamment les péripéties de ses adaptations au cinéma.

Au moment de cette première reprise, toute la famille s’investit dans la petite entreprise : l’épouse du dessinateur et, plus tard, à des moments différents, ses trois enfants. "J’ai travaillé avec mon père quasiment jusqu’au bout, quand il a commencé à avoir des problèmes de santé" dit son fils Nicolas.

Iznogoud T. 30 : De père en Fils - Par Nicolas Tabary et Laurent Vassilian - Ed. Imav
(c) Nicolas Tabary, Laurent Vassilian, Jean Tabary et René Goscinny et Imav

Facétie du sort, quelques temps après le décès de Jean Tabary, Anne Goscinny, qui a entre-temps créé avec Aymar du Chatenet une maison d’édition, IMAV, pour publier Le Petit Nicolas, propose aux enfants Tabary que cette structure devienne l’éditrice d’Iznogoud, les deux familles des créateurs se réunissant pour perpétuer la lignée. "Ce qui est beau dans cette histoire, remarque Nicolas,c’est qu’au départ de René Goscinny, mon père a poursuivi l’œuvre. Quand à son tour, mon père, victime d’un AVC en 2004, a dû passer la main, c’est la propre fille de René Goscinny et moi-même qui prenons Iznogoud sous notre aile."

Au moment du redémarrage, avec Iznogoud Président en 2012, Anne Goscinny se demandait qui pourrait bien reprendre le scénario. Elle pensa à Nicolas Canteloup, qui en accepta le principe, mais à la condition d’être aidé par le principal auteur de ses textes, Laurent Vassilian, par ailleurs passionné de BD. L’album sort un peu avant les élections présidentielles et remet l’aspirant calife sous les feux des projecteurs.

Laurent Vassilian
Photo DR. (c) Imav

Cette fois, Canteloup n’est pas de la partie : les tournées, sa présence sur Europe 1 et sur TF1 tous les jours l’en empêchent. Mais Laurent Vassilian continue l’aventure. "C’est un scénario, complètement achevé, que j’avais reçu sans titre, raconte Nicolas Tabary. J’en avais proposé plusieurs au cours de la réalisation de l’histoire, notamment "Le père d’Iznogoud". Laurent ne l’avait pas trouvé adapté : c’est l’histoire d’Iznogoud qui est racontée, pas celle de son père. C’est lui qui a trouvé le titre "De père en fils" en pensant à mon père et à René Goscinny." C’est pourquoi Nicolas a dédié cet album à son père Jean.

"C’est aussi le premier album où je suis vraiment à l’aise au dessin, explique-t-il. Je dessine plus grand et j’ai tout encré moi-même, alors que l’album précédent, pour sortir avant les Présidentielles, avait été encré partiellement par Alain Sirvent [1] sur tablette graphique. Nous avions cinq mois pour dessiner l’album. Nous avions enterré notre père une semaine avant que je démarre la première planche. J’ai fais mon deuil sur cet album, j’ai mouillé le papier en le dessinant. Celui-ci s’est fait un peu plus normalement, mais en deux ans, car je continue toujours mon activité de graphiste."

Iznogoud T. 30 : De père en Fils - Par Nicolas Tabary et Laurent Vassilian - Ed. Imav
(c) Nicolas Tabary, Laurent Vassilian, Jean Tabary et René Goscinny et Imav

Nicolas Tabary voit Iznogoud vivre encore de nombreuses aventures, considérant la qualité des reprises qui sont faites en ce moment :"Je n’ai pas encore lu le « Corto Maltese », mais le dessin est très beau", dit-il.

Même après lui ? "Je ne me sens pas unique, répond-il. Pour moi, ce sont les auteurs originels qui sont uniques. J’ai mis un peu de l’âme de mon père dans ces albums. Je n’ai pas fait ces albums pour prendre la place de mon père, ni parce que ce serait bon pour ma carrière. Ma fierté est de travailler derrière mon père, pour que mon père soit fier de moi. C’est une démarche très différente de ces autres reprises. Cela me permet de continuer à être avec lui. Dans les séances de signature, il y a des gens qui m’ont demandé de dessiner à côté de la dédicace de mon père. C’est émouvant. Je ne suis pas dans une situation de vedettariat. À la table à dessin, je suis seul à bosser comme un malade, dans la culpabilité souvent, parce que je suis en retard. J’avais toujours été jusqu’ici à l’ombre de mon père, c’était confortable. Aujourd’hui, je suis exposé à la lumière et le confort est moindre. Je joue le jeu, je n’ai pas le choix. J’essaie, pour mon père, pour René Goscinny et pour sa fille Anne, de leur faire honneur le mieux possible, dans un état d’esprit vraiment familial de continuité."

On espère que cela continuera longtemps.

Anne Goscinny et Jean Tabary
Photo DR - (c) Imav
Iznogoud T. 30 : De père en Fils - Par Nicolas Tabary et Laurent Vassilian - Ed. Imav
(c) Nicolas Tabary, Laurent Vassilian, Jean Tabary et René Goscinny et Imav
Documents
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(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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