« A l’origine, la question pouvait se formuler ainsi : si Astérix était créé aujourd’hui, il disposerait bien des nouveaux procédés de colorisation et de photogravure liés à la numérisation complète de la chaîne de fabrication. » C’est d’autant plus vrai que les éditions originales comportent de nombreux défauts : films réalisés pour une impression à grand tirage pour le journal Pilote et qui n’avaient pas forcément été refaits pour l’album, couleurs faites « mécaniquement » pour réduire les frais de photogravure, films usés car ayant servis aux ventes de droits étrangers et quelquefois revenus en mauvais état, sans compter le vieillissement normal des supports d’impression. Résultat, quand vous prenez un vieil Astérix, vous êtes parfois confronté à une édition aux couleurs criardes, mal lettrée, mal imprimée, à la maquette vieillie. Comment le nouveau lecteur pouvait-il être convaincu par ce classique à côté des créations nouvelles qui apparaissent en librairie ?
Blake et Mortimer et Tintin, en précurseurs
C’est une anecdote peu connue : dans les années 1970, un jeune photograveur s’occupait au Lombard de la réfection des films à destination de l’export. Les films du journal Tintin étaient loués aux éditeurs étrangers. Par souci d’économie, l’éditeur de l’avenue Paul-Henri Spaak les nettoyait, les restaurait, transformait le film d’origine destiné à l’impression en héliogravure en film offset et les réutilisait à cet usage, sous l‘œil vigilant de la directrice du service étranger, la redoutable Mademoiselle Rousie. Dans un deuxième temps, on procédait à des duplicata, de première génération ou de seconde génération quand le négatif avait disparu. Le résultat, c’est qu’au bout de deux décennies, la qualité des films étaient devenue exécrable. Le nom du grouillot qui, depuis des années, s’attelait à cette tâche ingrate ? Philippe Biermé. Au début des années 1970, il constate que les films de Blake & Mortimer étaient dans un état des plus déplorables. En contrebande de ses patrons, dit-on, il se rapproche de Jacobs pour obtenir de lui de re-clicher les films à partir des originaux. Dans un deuxième temps, Philippe Biermé refera les couleurs de la série sous la direction du maître. Cette marque d’attention pour son travail touche profondément Jacobs qui, pour remercier le jeune coloriste, en fera son héritier...
Plus tard, c’est au tour de la Fondation Hergé de réutiliser les originaux pour créer une collection fac simile qui reprend avec minutie et qualité le travail original. La collection Chronologie d’une œuvre de Philippe Goddin prolonge et éclaire ce travail patrimonial.
Aux Etats-Unis, le travail de réfection et de compilation opéré par D.C. Comics ou Marvel a fait l’objet d’une édition en librairie qui pèse de plus en plus lourd dans le chiffre d’affaire de ces éditeurs.
Le travail d’Hercule de Doubleclix
Ce processus de modernisation et de restauration se devait d’être fait pour Astérix mais il est apparu très vite comme un travail de titan : quelque 1450 planches devaient être nettoyées, re-lettrées, ré-encrées et re-colorisées. En outre, l’ambition des éditeurs était de proposer une version plus grande que le format classique de plus de 20%. Ce sont les studios 2HB qui ont fait cette réalisation, un chantier qui ressemble à la liste d’Astérix et Cléopâtre : 1450 planches, 11600 vignettes, 7 ordinateurs, 217 nuits blanches, 15 logiciels, 1275 appels téléphoniques, 577 e-mails, 27117 feuiles d’imprimante, 17 pots d’encre de chine, etc. Tirés à 20.000 exemplaires en langue française et édités en coédition en version allemande, les quatre premiers albums "refondés", Astérix le Gaulois, La Serpe d’Or, Astérix et Latraviata et La Rentrée Gauloise seront mis en vente le 6 décembre et la série fera l‘objet d‘une production de 8 à 10 titres par an, jusqu’en 2009, juste à temps pour célébrer les 50 ans du petit Gaulois. Une fois constituée, la collection dessinera une frise sur le dos des albums.
D’autres classiques devraient s’en inspirer
On rêve que ce même type de travail de « remise à niveau » soit fait pour d’autres grands classiques de la BD. Ainsi, nombre de Lucky Luke de chez Dupuis ont encore les affreuses couleurs « mécaniques » faites pas les chromistes de l’imprimerie pour les versions imprimées dans les années 1950 en typo et transformées ensuite en offset. Les premiers Buck Danny sont également dans ce cas. Quelques albums de Gaston Lagaffe sont empâtés à cause d’une qualité déficiente des films. C’est vrai aussi pour certains albums de Peyo. Il serait bon de prendre Hergé et Uderzo en exemple pour que ce travail de réhabilitation soit fait avant que les nouvelles générations regardent leurs parents d’un air attendri en se demandant : « Comment ont-ils pu aimer cela ? »
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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