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La nouveauté encombrante des vieilles choses

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 28 novembre 2014                      Lien  
Depuis quelques années, la réédition des grands classiques sous une forme nouvelle, éventuellement luxueuse et commentée, semble devenue un standard du catalogue des éditeurs. Non sans poser quelques problèmes...
La nouveauté encombrante des vieilles choses
L’édition commentée de "La Mauvaise Tête" de Franquin - Ed. Dupuis / Niffle

C’est une bonne chose : depuis une dizaine d’années, nos grands classiques font l’objet de rééditions luxueuses, soignées et quelquefois abondamment commentées. Le mouvement trouve son origine dans la politique éditoriale menée autour de Tintin dès les années 1990. Déjà doté d’un corpus critique exceptionnel, Tintin a connu en quelques années des publications de fac-similés qui rendaient justice à l’auteur : traits et couleurs refaits d’après les originaux, avec un résultat parfois meilleur que l’original, sans compter les nombreux ouvrages d’accompagnement reproduisant un grand nombre de documents préparatoires, pourvus d’un appareil critique d’une grande qualité.

On pense à la récente édition commentée des 7 Boules de cristal, par exemple. La volonté de Nick Rodwell de positionner l’œuvre d’Hergé en "haut de gamme", qualifiée en son temps d’ "élitiste", risquant de couper Tintin de son public d’origine, la jeunesse, a peut-être même servi d’antidote contre la déferlante de l’adaptation cinématographique de Spielberg qui aurait pu abâtardir l’image du reporter à la houppe. Il n’en a rien été.

Le mythique "Franquin / Gillain - Comment devient-on créateur de bandes dessinées - Par Philippe Vandooren - Ed. Dupuis / Niffle

Parallèlement, ce mouvement a suscité des émules : les intégrales Dupuis se signalent par un véritable sauvetage d’un patrimoine extraordinaire, doublé d’un approfondissement de la culture générale sur la bande dessinée. Les objets, en outre, sont d’une qualité inouïe, dignes des éditions littéraires de la Pléiade : Les intégrales des Schtroumpfs, de Buck Danny, de la Patrouille des Castors, de Billy The Cat, de Sophie, toutes nouveautés idéales pour cette fin d’année... sont un véritable trésor pour l’amateur.

Rendons-nous compte de notre chance : voici quarante ans, nous devions nous contenter de fanzines mal imprimés et de maigres interviews d’auteurs pourtant réputés. Aujourd’hui, la plupart de nos grands auteurs contemporains font l’objet d’artbooks, de biographies ou de monographies abondantes ; l’histoire des maisons d’édition est désormais mieux connue (on pense aux récents travaux des Pissavy-Yvernault sur Spirou, par exemple). La bande dessinée est désormais abondamment commentée et fait même l’objet d’un Salon spécialisé, le SoBD (ce week-end à Paris).

Starter Vol. 4 - 60 Chroniques insolites - Par Jidéhem - Dupuis

Parallèlement, le développement de l’Internet avec des sites comme ActuaBD, BDZoom ou BDGest, ou des encyclopédies en ligne souvent très bien faites, comme Wikipedia, ont augmenté la conscience historique des lecteurs de BD, bien mieux renseignés et bien plus cultivés que naguère, tant en termes d’interprétation de l’œuvre qu’en connaissance du contexte éditorial de sa publication.

Cette fin d’année apporte son lot de nouveautés dans ce rayon, en particulier chez Dupuis. Sans revenir sur les intégrales qui arrivent en flux régulier, Franquin est une fois de plus mis à l’honneur avec une édition de Spirou : La Mauvaise Tête (1954) commentée où sans doute l’aventure la plus singulière du groom se trouve analysée demi-planche par demi-planche par Hugues Dayez ; Spirou :La Quick Super (1958) paraît en grand format avec un facsimilé des planches originales, commentées par José-Louis Bocquet et Serge Honorez, tandis qu’une multitude de documents rares voire inédits accompagnent ce travail de contextualisation ; enfin, la réédition, considérablement améliorée de Franquin / Gillain - Comment on devient créateur de bandes dessinées de Philippe Vandooren, bréviaire des amateurs de BD des années 1980 qui y ont découvert les auteurs qui se cachaient derrière leurs bandes dessinées favorites.

Astérix chez les Philosophes

Plus anecdotique, mais non moins intéressant, la série des 60 chroniques de Starter par Jidéhem reprend les articles de la rubrique automobile de Spirou dans les années 1960 (bien que ce volume-ci, le 4e rassemble des dessins et des textes parus dans l’Auto Journal dans les années 1990). Une telle chronique dans un journal pour la jeunesse semblerait incongrue aujourd’hui, d’autant que leur contenu confinait à la technicité d’une revue spécialisée, mais sa réunion en volumes permet d’atteindre des lecteurs qui vont au-delà de la simple fascination pour les moteurs à explosion : la nostalgie des machines rares, élégantes et racées des années 1960 à 1990, longtemps de véritables dangers de la route entre-nous soit dit, dont le design était bien plus fun que les 4 x 4 qui sillonnent les routes de nos jours.

La Véritable Histoire des Héros de BD - Par Philippe Mouret - Ed. Les Papillons rouges

La saison permet aussi la publication d’ouvrages périphériques comme cette Véritable histoire des héros de BD de Philippe Mouret (Le Papillon rouge éditeur) où l’auteur nous raconte la biographie des authentiques personnalités qui peuplent nos fictions de bande dessinée, du savant Auguste Piccard qui inspira le célèbre professeur Tournesol de Tintin, aux célèbres Dalton de Lucky Luke qui, au contraire des Trois Mousquetaires, n’étaient pas quatre.

Les Amis d’Hergé N°58

La presse n’en est pas moins active, que ce soit avec ce hors-série de Philosophie Magazine, Astérix chez les philosophes, un recueil d’articles à la qualité inconstante (actuellement en kiosque) ou avec la toujours passionnante revue Les Amis d’Hergé qui, dans son numéro 58 trouve des rimes d’images de l’auteur de Tintin chez Gustave Doré, repère la source d’un tableau en fond de case du Trésor de Rackham le rouge, revient sur les relations entre Hergé et son ami Raymond De Becker, auteur du bréviaire fasciste "Pour un ordre nouveau" (1932), illustré par son ami dessinateur. Des analyses souvent bien renseignées mais parfois aveuglées par une bienveillance coupable à l’égard de la statue de commandeur du chef de file de L’École de Bruxelles.

Pour passionnantes qu’elles soient, ces publications ont au moins deux défauts : elles proposent souvent dans une forme séduisante et intéressante des œuvres qui sont déjà dans nos bibliothèques, et ceci à des prix qui sont parfois conséquents.

En outre, elles focalisent l’attention sur un âge d’or qui occulte les merveilleuses nouveautés qui arrivent ces jours-ci en librairie. La surproduction nous vient aussi du passé...

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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On trouvera "Astérix chez les philosophes" en kiosque.

On peut commander la revue "Les Amis d’Hergé" [sur leur site Internet http://www.lesamisdeherge.be]

 
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12 Messages :
  • Problème : quand on achète ces livres, c’est au détriment des bandes dessinées contemporaines et des auteurs vivants, car le budget n’est pas élastique. Cette politique éditoriale tue la bande dessinée à petit feu et précarise davantage encore les auteurs actuels qui n’ont que les maigres à-valoir pour vivre et ne touchent plus de droits d’auteurs sur les albums déjà publiés (fautes de ventes conséquentes). Je ne suis pas sûr que cette situation morbide puisse perdurer car ce n’est sain ni pour les auteurs ni pour les éditeurs, qui, eux, n’ont qu’une vision à court terme.

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    • Répondu par Zébra le 5 décembre 2014 à  10:04 :

      Il me paraît plus juste de remarquer que les éditeurs et les auteurs actuellement ne parviennent pas à une production capable de rivaliser en qualité avec la production d’après-guerre. Van Hamme ne vaut pas Charlier, et Trondheim ne vaut pas Goscinny, pour prendre un exemple encore plus frappant.
      Le lecteur n’est pas là pour supporter les nouveaux auteurs. C’est comme si vous me disiez qu’il vaut mieux que je lise les romans chiants de Houellebecq plutôt que les pièces de Shakespeare, sous prétexte que le premier est encore en vie. Une telle injonction émane de la propagande industrielle et mercantile. Je ne suis pas un robot. Vous non plus je suppose.
      - Vous avez raison sur un point : ça ne peut pas durer, ne serait-ce que parce que la nouvelle génération n’a pas les mêmes goûts en matière de divertissement que l’ancienne ; elle préfère "Call of Duty" à certaines vieilles BD de propagande comme "Buck Danny". Quand les photographes ont remplacé les graveurs, il n’y a rien eu à faire contre, c’est la même chose. Ou vous rejetez la culture de masse industrielle, ou vous subissez sa loi.

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  • NOUVEAUTE des vieilles choses (j’ai compris le pléonasme) ou COMEBACK ?

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  • pas pléonasme. erreur mais oxymore.
    En se baladant dans les(bonnes) librairies, on rencontre pas mal d’ acheteurs, avec ces albums sous le bras.donc, le marché est existant.

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    • Répondu par Oncle Francois le 28 novembre 2014 à  12:48 :

      Le marché est exigeant, mais amateur de belles et fortes oeuvres, dont la renommée a pu s’établir sur plusieurs décennies. Il y a de plus l’effet Madeleine de Proust lié à la nostalgie, celle qui nous rend de même très sensibles à nos premiers émois. Dans certains cas, il s’agit d’hommages luxueux à de grands artistes qui n’en ont pas connu beaucoup de leur vivant (à part ces fameux tirages de tête limités à 1000 exemplaires, pas vraiment pour le public de masse ,Françis. Dans d’autres de réhabilitations tardives, quand les auteurs ont été boudés par les jurés qui décernent Prix et Distinctions style médaille en plastique. Dans tous les cas, voir qu’un public nombreux se presse pour acheter ces trésors me remplit de joie ! La raison finit toujours par triompher, même s’il faut parfois l’aider !

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      • Répondu le 28 novembre 2014 à  20:21 :

        Hier, (le 27-11) dans l’émission Belge "50 degrès nord" (rtbf), Laurent Verron, invité en plateau pour parler des séries de l’âge d’or encore existante, avouait que sans Boule et Bill, "il ne pourrait pas vivre du dessin", je crois que tout est dit. c’est un peu comme si au cinéma, on poursuivait les aventures de Charlot (au demeurant génial) et que ce dernier occultait toute la nouvelle création.

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  • La nouveauté encombrante des vieilles choses
    28 novembre 2014 15:19, par Pat

    Simplement pour signaler que de dernier volume des ’ chroniques de Starter’ ne reprenait pas les chroniques réalisées pour Spirou dans les années 60, mais celles que Jidéhem avait écrites fin des années 90 pour un journal automobile français (c’est du matériel inédit en album).

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 28 novembre 2014 à  18:28 :

      Vous avez raison, nous avons corrigé et apporté des précisions dans le texte. Merci.

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  • La nouveauté encombrante des vieilles choses
    28 novembre 2014 19:35, par Eric Bouchard

    la série des 60 chroniques de Starter par Jidéhem reprend les articles de la rubrique automobile de Spirou dans les années 1960 [...]. Une telle chronique dans un journal pour la jeunesse semblerait incongru [sic] aujourd’hui

    Et pourtant, Spirou inflige encore aujourd’hui à la jeunesse bien des idées gênantes, rétrogrades, voire carrément machistes issues des mentalités des années 50-60 : quand ce n’est pas l’image de la femme-objet (la couv. du no. 3998, par exemple), c’est le militarisme d’un Buck Danny (et ce n’est pas en lui accolant l’étiquette « Vintage » qu’on le rend respectable ou acceptable — grossier sophisme).

    Sinon, le titre de l’article laissait présager que l’idée d’« encombrement par les vieilles choses » serait autrement plus développée... Les deux timides paragraphes en fin d’article font bien pâle figure en regard du ton admiratif de l’ensemble... D’ailleurs, un commentaire critique sur... les commentaires de Dayez, Bocquet ou Honorez, par exemple, aurait été bienvenu (leur pertinence n’est pas vraiment démontrée).

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    • Répondu par jeanjean le 1er décembre 2014 à  15:27 :

      "Spirou inflige encore aujourd’hui bien des idées gênantes" Euh ! Lecteur de Spirou depuis fort longtemps, et mes filles lisant Spirou ne voient pas les idées gênantes dont vous parlez... Les nombril, Tamara ??? Quand au militantisme d’un Buck Danny, laissez-moi rire doucement... Au fond, vous ne seriez pas un peu jaloux... face à ces excellentes séries ?
      Personnellement, j’ai découvert Spirou, il y a 30 ans et j’y suis resté accro... je suis très content du contenu actuel et très heureux que mes filles y soient accro aussi. J’achète aussi bien les anciennes séries dont l’excellente "tout jijé" dont on attend toujours le tome 1. Ces reprises en intégrale ont le mérite de nous faire découvrir des séries et des auteurs formidables... Il est vrai que face à Jijé, will, franquin, et bien d’autres... la production actuelle apparait bien fade (rire)... Le problème est toujours le même.. trop de sorties noie tout et nous lecteur, on a du mal à suivre les sorties de nos séries favorites... C’est comme cela que j’ai loupé la sortie du dernier album du Royaume... acheté aujourd’hui... Parmi les albums nouveaux qui paraissent... il y a beaucoup de très très bons albums... Mais, hélas, souvent, certaines nouvelles séries ne vont pas plus loin que le tome 1 (soupirs) Ma bibliothèque est pleine de t. 1.... On ne laisse pas aux jeunes auteurs le temps d’installer leur série... Et puis, parfois, le côté faible de la bd actuel, c’est le scénario... On a des dessinateurs extraordinaires mais des histoires que l’on a déjà l’impression d’avoir lu 1000 fois... ou alors l’album est lu en 15 minutes...
      Concernant la reprise d’anciennes séries, parfois les auteurs ratent (le dernier blake et mortimer n’a aucun intérêt et le scénario est d’une platitude... le scénariste s’est fait plaisir... mais il oublie le lecteur). Par contre la reprise de Buck Danny rétro est une vrai réussite.. Et je suis de ceux qui attende la reprise de Tif et Tondu (dans la veine de will et Desberg) et j’ai beaucoup apprécié "Choc". Terrible ! Comme quoi, on peut rendre hommage aux anciennes séries avec un dessin et un scénario béton...
      Autrefois, le libraire nous guidait et nous conseillait sur les nouveautés... mais le libraire n’a plus le temps de lire et devient un magasinier... Le mardi matin, je vais aider mon libraire favori à rentrer les (trop) nombreux colis de nouveautés... Il ne sait plus où les mettre...
      Heureusement, parfois, sur le web, dans des forums, on découvre telle ou telle série sortie dans une petite maison d’édition et on essaye de le commander... Mais, parfois, pas évident de trouver l’adresse où commander... C’est un peu au hasard que j’ai découvert les éditions clair de lune qui éditent des séries anciennes italiennes remarquables... J’ai découvert tout un monde avec des séries comme tex et Shanghai devil dont les scénarios sont formidables et qui mériteraient d’être mis en avant chez nos libraires...

      En tout cas, je remercie tout ces éditeurs qui nous font découvrir à travers d’intégral ou de différentes publications ces très bonnes séries et des auteurs parfois tombé dans l’oubli comme Pierre Brochard, Erik, Francis et bien d’autres...

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      • Répondu par dom le 7 décembre 2014 à  14:38 :

        J’achète aussi bien les anciennes séries dont l’excellente "tout jijé" dont on attend toujours le tome 1

        Tout jijé est complet en 18 volumes parus. Le dernier tome était double.

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  • La nouveauté encombrante des vieilles choses
    1er décembre 2014 09:48, par Gianfranco Goria

    Talked about you at www.afnews.info - as usual, btw. ;-)

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