Dans son huitième entretien avec Robert Mallet, l’écrivain Paul Léautaud faisait part de sa détestation des prix littéraires : « … Un écrivain qui reçoit un prix, à mes yeux, est déshonoré, DÉSHONORÉ ». Comme son interlocuteur lui faisait remarquer qu’il y allait un peu fort, qu’un écrivain pouvait être éventuellement déshonoré parce qu’il quémandait un prix, pas parce qu’il en recevait un, Léautaud l’interrompt et répète, en martelant le sol de sa canne (c’était une émission radio) : « Déshonoré ! […] C’est à vomir, c’est à vomir ! » [1]
Léautaud aurait certainement soutenu avec la même véhémence Aurélia Aurita, l’auteure du délicieux petit livre Fraise et Chocolat (Impressions Nouvelles) [2]. Dans un mot qu’elle écrit sur son site, toute contente d’avoir réchappé à la « mascarade des prix » d’Angoulême, elle raconte sa mésaventure avec les organisateurs du prix « Jeune Talent de la BD », un concours organisé par le mensuel spécialisé en bandes dessinées dBD, la chaîne de librairies Virgin et Le Figaro Magazine. Se retrouvant sélectionnée avec cinq autres auteurs pour cette distinction dotée d’une gratification de 3000€, elle écrit à Frédéric Bosser, l’organisateur du prix, pour qu’on la retire de la liste des nominés : « Je comprends que cette distinction parte d’une bonne intention, mais je suis au regret de vous demander de bien vouloir retirer mon livre de la sélection. Ma requête n’a à voir ni avec le contenu de la sélection, ni avec la composition du jury. Ce n’est pas un refus sur la forme, mais sur le fond, le principe même des prix. Je n’admets tout simplement pas qu’un livre puisse être jugé par une autorité, et que des œuvres par essence uniques et singulières soient comparées et soumises à une hiérarchie. Merci de bien vouloir me tenir informée de la manière dont vous allez procéder à cette désélection. Par exemple, vous pourriez nommer rapidement un autre livre à la place du mien ? »
Au lieu de retirer purement et simplement l’ouvrage de la liste, ce qui n’est en soi pas honteux, les organisateurs décident de le mettre automatiquement à la dernière place, afin qu’il n’obtienne pas le prix : « Un mail pour vous donner notre position, nous avons tous été déçus par votre position même si nous la comprenons donc il a été décidé de ne pas vous retirer de la sélection mais de vous attribuer automatiquement la 6eme place. (...) » Aurélia Aurita s’en offusque, considère cette décision comme une brimade : « Médusée, raconte-t-elle, je prends tout de même la précaution de demander si cette réponse est sérieuse ou si c’est une plaisanterie. On me répond que c’est de l’"humour sérieux"... » On ne sait pas si cet humour est « sérieux », mais il est en tout cas cavalier. Comme ce n’est pas une affaire d’état et qu’il n’y a pas mort d’homme (ou de femme), Aurélia Aurita a fait savoir ce qu’elle en pensait notamment sous la forme de deux planches de bande dessinée que nous vous invitons à lire sur son site.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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