La rentrée de Joann Sfar est consacrée au Grand Siècle, celui des Lumières, de Rousseau, de Voltaire, de Diderot qui éclaira le monde de sa pensée humaniste, matrice d’un « esprit » français qui se caractérise par son espièglerie compassée, un pétillement charmant et joli, souvent trempé d’hypocrisie.
Ce siècle-là est ambigu, il n’envisage pas, comme peut le faire un lecteur contemporain, la chute brutale de l’ancien régime, cette rupture radicale impulsée par le Révolution française. Ses esprits les plus fins n’ont alors que la philosophie à opposer à l’obscurantisme. Le fait est que leurs arguties ont changé les esprits au-delà de ce qu’ils imaginaient.
Voltaire est à l’évidence le modèle du héros de cette nouvelle histoire de Joann Sfar. Il est le prototype de ces grands esprits marqués de contradictions : ce défenseur de la liberté de pensée n’a eu de cesse de fréquenter les grands de ce monde en courtisan averti et avide de privilèges. Le comte de Ferney écrit un traité sur la tolérance tout en spéculant, si l’on en croit certains auteurs, sur la traite négrière. Les préjugés racistes de l’auteur de Candide sont évidents pour qui le lit. Les « nègres » ont droit aux opinions les plus absurdes et ne sont rien moins que des animaux curieux. Quant aux Juifs, il regrette qu’ils ne soient pas anthropophages pour qu’on puisse les détester sans réserve.
Que cela séduise ou irrite, Sfar a le tempo rapide. Son trait tient du croquis à la Quentin Blake et, plus cela va, plus il donne l’impression de la décontraction. Sa façon de raconter des histoires est au diapason : récits gigognes, dialogues enjoués et badins, digressions multiples… Sfar nous conte son histoire sans temps mort, comme le ferait un enfant qui ne reprend pas son souffle. Cela nuit au récit quelquefois lequel n’évite pas une certaine forme de cabotinage voire de pédantisme.
Mais c’est toujours éclairant, car par cette naïveté par trop feinte, Sfar fait vaciller certaines icônes bien établies et remet de la complexité dans quelques idées simples. Une démarche toujours salutaire.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Participez à la discussion