Quand Jacques Martin dessine la première histoire d’Alix, Alix l’intrépide, en 1948 dans Tintin, il n’impressionne guère : le début de l’histoire est inspiré de Ben Hur, la documentation est quasiment inexistante et les anatomies sont plus que maladroites.
Quand on compare ces pages à l’excellence d’Hergé, à la formidable rigueur de Jacobs, au charmant classicisme de Cuvelier, aux plaisantes turqueries de Laudy, et à la farce aux accents fantastiques du Fantôme espagnol de Willy Vandersteen, on se demande si ce débutant n’aura jamais un avenir… Devant les réserves d’Hergé, Raymond Leblanc oppose les propres absences du grand homme, alors en dépression : heureusement qu’il y avait Alix et Bob & Bobette pour remplir le journal !
Page après page, et relativement rapidement cependant, Jacques Martin va s’imposer. Ses scénarios vont s’avérer de plus en plus originaux, construits et passionnants et sa documentation impressionnante. Quant à ses anatomies, elles collent au canon jacobsien, au point que Jacobs en prendra bientôt ombrage… Dans un deuxième temps, au moment de La Griffe noire, Jacques Martin trouve son style original, sans doute influencé par l’ingrisme de Paul Cuvelier : cela reste maladroit, et même quelque peu naïf, mais c’est largement compensé par un travail minutieusement détaillé sur les décors par un dessinateur qui a une formation d’ingénieur. Le « système Martin » est né.
Un créateur prolifique
Il crée une nouvelle série, Lefranc (1952), qui l’impose comme un classique capable de changer de registre, du récit historique à l’aventure contemporaine, à l’égal de Jacobs. Hergé, sceptique à ses débuts, le complimente pour Le Sphinx d’or, puis l’engage dans son studio pour un bail de 19 ans…
Quand il quitte le Studio Hergé en 1973, la puissance de travail de Jacques Martin se porte sur la création de nouvelles séries et le passage de relais à de nombreux disciples (Pleyers, Chaillet…). Son travail s’en ressent, les récits perdent en densité et le dessin, de plus en plus confié à des assistants, se relâche également. La qualité dépend souvent de celle de l’assistant. Il y a les bons (Chaillet, Simon…) et les moins bons, les hauts et les bas, les scénarios subtils et les autres, indigents.
« Quel avenir pour Alix ? » écrivait Charles-Louis Detournay dans nos pages saluant l’arrivée de Marc Jailloux, un assistant de Gilles Chaillet –le meilleur assistant de Martin et l’auteur de Vasco- sur la série. Dans ce dernier album, il renoue avec le classicisme des bonnes années Martin. Avec l’aide de Mathieu Bréda, il bâtit un épisode solide mettant en scène un Marse, un de ces peuples de la péninsule italienne qui résistait à Rome, tandis que tout l’album se situe à Pompéï, une ville située au pied du Vésuve sur laquelle les historiens sont particulièrement documentés. Entre magie blanche et magie noire, les auteurs arrivent à camper des personnages et une situation crédibles, en dépit d’une certaine naïveté (ou peut-être grâce à elle…). Une connaissance parfaite de l’univers d’Alix et des appels de note appuyés sauront par ailleurs parler aux fans. En clair, une bonne reprise !
La série Alix est sur une bonne voie (romaine) désormais et fait partie des reprises parmi les plus réussies du moment. Il était temps !
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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