Brodsky est un jeune « luftmensch » (un merveilleux mot yiddish qui désigne quelqu’un qui vit littéralement de « l’air du temps ») qui traverse l’Europe avec sa sœur Olga et qui, chemin faisant, croise à Vienne un journaliste dandy à la plume redoutée : Theodor Herzl, de plus en plus actif autour d’une idée qu’il n’a pas créée mais qui devient de plus en plus prégnante à mesure que monte l’antisémitisme ambiant, de l’Affaire de Damas (1840), aux pogroms sanglants de Russie consécutifs à l’assassinat du tsar Alexandre II (1881), à l’Affaire Dreyfus (1894) : le nationalisme sioniste.
Réalité lumineuse
Brodsky va enquêter sur ce personnage fantasque, un juif laïc, républicain voire anticlérical [1], parfaitement assimilé dans la société austro-hongroise, mais qui se rend compte que la symbiose judéo-européenne est une illusion dangereuse pour les Juifs eux-mêmes. Il pense aussi que la création d’un état juif annihilerait De Facto tout antisémitisme. On sait ce qu’il en est aujourd’hui…
La création de l’état d’Israël –qui fête cette année ses 70 ans- est avant tout l’émanation d’une idée comme le rappelle Theodor Herzl dans L’État juif : « Personne n’est assez fort ou assez riche pour transplanter un peuple d’un endroit à un autre. Seule une idée peut y parvenir. L’idée de l’État a cette force. Tout au long de leur longue et tragique histoire, les Juifs n’ont cessé d’entretenir ce rêve royal : "L’an prochain à Jérusalem". C’est là notre vieux proverbe. Il convient maintenant de montrer que le rêve peut devenir une réalité lumineuse. »
Expressionniste
L’écrivain Camille deToledo, dont c’est le premier roman graphique, pour lui comme pour son dessinateur, rend très bien cette « Alya » (littéralement « montée » en hébreu) d’un juif européen vers cette terre d’Israël que son promoteur ne verra jamais naître.
Il illustre le « rêve » qui, à ses débuts du moins, butte contre la réalité intangible de la politique. Le dessinateur russe Alexander Pavlenko nous restitue non seulement les images fantomatiques d’un continent entretemps disparu dans la tourmente de la Shoah, mais il fixe, comme les ions d’argent sur une antique plaque photographique, le dur halo d’une lumière crue cernée de traits noirs expressionnistes qui renforcent encore davantage sa dimension tragique.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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