De chien errant à héroïne de la propagande soviétique, le destin de Laïka méritait bien les deux cents pages que lui consacre l’auteur britannique Nick Abadzis. Avec sensibilité et émotion, Abadzis tisse un feuilleton de longue haleine, du goulag à la stratosphère. S’inscrivant dans une étrange filiation graphique avec les traits tremblants de Willem et d’Hergé (période Soviets), il réussit un graphic novel poignant et expressif.
L’excellent choix narratif de Nick Abadzis est d’avoir mis l’accent sur une galerie de personnages secondaires fort attachants. L’exercice est intéressant quand on sait comment les scientifiques russes de la Guerre Froide sont habituellement traités dans les fictions occidentales… L’auteur évite ici les clichés et s’attache à donner de l’épaisseur à ses personnages. Ainsi, on apprendra qu’avant de devenir la cheville ouvrière du programme Spoutnik, le professeur Oleg Gazenko était un survivant du goulag. De cette survie miraculeuse, il gardera une reconnaissance mystique vis-à-vis des chiens, qui l’amènera à choisir Laïka (« l’aboyeuse » dans la langue de Dostoïevski) pour ce premier vol habité. Mais si le rôle de Gazenko fut central, ils furent nombreux à veiller sur le destin de cette petite chienne. En particulier Yelena Dubrovsky, en charge des animaux à vocation expérimentale, qui développa un sentiment quasi maternel envers celle qu’elle baptisa Kudryavka (« la petite boucle » en référence à sa queue) avant que l’on la nomme définitivement Laïka.
Après le succès de Spoutnik I, Nikita Khrouchtchev demanda à ses équipes scientifiques d’accélérer leur programme spatial pour un lancement de Spoutnik II à la date de l’anniversaire de la révolution d’octobre. Pour tenir ce délai très court, Spoutnik II devint un vol à sens unique dont Laïka ne devait jamais revenir… Elle devint un symbole de propagande, sacrifiée sur l’autel de la course à l’espace et à la domination du monde que se livraient les États-Unis et l’Union Soviétique.
En racontant cet épisode de la Guerre Froide qui en privilégie la dimension humaine, Nick Abadzis signe une bande dessinée grand public magnifique, malgré son inexorable et tragique dénouement. Laïka paraîtra en français chez Dargaud en mai.
(par Morgan Di Salvia)
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