Interviews

Laurent Buob (Leblon-Delienne) : « Il faut décrypter l’ADN des marques »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 12 août 2007                      Lien  
L’association entre la sculpteure Marie Leblon et l’entrepreneur Eric Delienne a vraiment pris forme à partir de 1983. Ensemble, ils ont donné une dimension à la plupart des héros de notre enfance, créé des objets de décoration bien de notre époque. L’entreprise Leblon-Delienne a récemment modifié son actionnariat. Rencontre avec le nouveau timonier de la société.
Laurent Buob (Leblon-Delienne) : « Il faut décrypter l'ADN des marques »
La sculpteure Marie Leblon
Photo : DR

Lorsque Marie Leblon et Éric Delienne ont commencé leur activité en créant des figurines de bois à l’effigie de Tintin en 1983, l’industrie de la bande dessinée n’était pas vraiment prête pour ce type de produit dérivé. Cela passait pour une lubie de collectionneur, voire un douteux fétichisme. Éditeurs et auteurs regardaient ces exploitations d’un air circonspect. Mais lorsque la fusée de Tintin, création d’Aroutcheff d’après l’œuvre d’Hergé, s’est mise à décorer les appartements modernes, les observateurs ont senti qu’il y avait là un phénomène.

Vingt ans plus tard, Leblon-Delienne fait partie des marques de référence qui ont réussi à s’imposer auprès des collectionneurs comme du grand public, non seulement en terme de valeur d’investissement (certaines pièces s’arrachent aujourd’hui pour des fortunes dans les ventes publiques à Drouot) mais aussi en raison des qualités décoratives de ces objets. Astérix, Blake & Mortimer, Lucky Luke, même Lanfeust ont été « panthéonisés » dans leur collection. Naguère dubitatifs, les auteurs et les éditeurs cherchent maintenant « à en être » tant il est vrai que, même de nos jours, être ainsi « statufié » constitue encore un symbole de réussite.

Astérix par Leblon-Delienne
© Leblon-Delienne

Récemment, en février 2007, Laurent Buob a pris le contrôle de l’entreprise. Les fondateurs restent en place, l’entrepreneur venant apporter sa compétence en matière de management et de distribution dans le secteur du luxe et de la décoration. Rencontre.

ActuaBD : Vous avez repris Leblon-Delienne. Qu’est-ce qui vous a motivé ?

Laurent BUOB : Deux choses : d’abord, je suis un passionné de bandes dessinées, même si aujourd’hui, j’ai un peu moins el temps d’en lire ; deuxièmement, je m’intéresse beaucoup au mobilier design depuis ces dix dernières années. Cette prise de participation est une diversification récente de mes activités. Mes deux passions sont réunies chez Leblon-Delienne.

Vous avez un parcours dans l’industrie du luxe : de LVMH à une activité dans les champagnes et les spiritueux… Pensez-vous que Tintin, par exemple, soit un produit de luxe, une marque comparable à Moët ou Vuitton ?

La différence, c’est que dans Tintin, il y a un aspect culturel qui est intéressant. Du coup, il y a une esthétique artistique qui est différente des grandes marques que vous citez. C’est ce qui m’a intéressé : c’est très complémentaire avec ce que j’ai pu vivre avant.

Laurent Buob et Éric Delienne. (Derrière eux : Fanny Rodwell, l’ayant-droit d’Hergé).
Photo : Didier Pasamonik

Là, avec l’adaptation de Tintin au cinéma par Spielberg, la marque va prendre une dimension mondiale. Cela aura un impact positif sur votre activité ?

C’est à la fois une opportunité et une menace. Il y a une différence entre des univers comme celui du troisième Spider-Man, ou encore les Superman et les Batman,… et celui d’Hergé. Ces personnages de comics procèdent à un « relooking » de leurs personnages, un peu comme dans le packaging : tous les ans vous modifiez un peu votre emballage sans que le consommateur ne s’en aperçoive vraiment et, au bout de dix ans, l’emballage a complètement changé. C’est différent avec une esthétique qui est une œuvre d’art qui s’est figée avec la mort d’Hergé et que l’on pérennise telle quelle au fur et à mesure des ans. Il va falloir bien gérer. On fait confiance aux gens de Moulinsart pour y parvenir.

Pensez-vous que des gens de la trempe de Spielberg pourraient détruire l’esprit de Tintin ?

Non, je pense qu’il y a un gros travail d’analyse qui est fait derrière pour bien comprendre l’ADN des marques, car Tintin n’est plus seulement un objet culturel, artistique, c’est devenu une marque. C’est exceptionnel, il n’y a pas d’équivalent, sauf peut-être Astérix dans un contexte plus régional.

Spirou & Fantasio par Leblon-Delienne
© Leblon-Delienne

La bande dessinée pour vous reste-t-elle encore un vecteur d’avenir pour ce type d’objets de décoration comme vous en produisez chez Leblon-Delienne ?

Oui, car la bande dessinée a vraiment évolué. Regardez ce qui se passe avec les mangas qui sont en train de révolutionner la façon dont on perçoit la bande dessinée et qui opèrent une influence assez forte sur la BD européenne.

Comment déterminez-vous votre intérêt pour une licence, en regardant le chiffre des ventes ?

Par pur feeling. Parce qu’à partir du moment où une bande dessinée est un best-seller, c’est déjà trop tard. Il faut déterminer les valeurs montantes et c’est là que c’est particulièrement difficile. C’est un travail. Nous avons ainsi sorti une collection Barbapapa il y a 5 ou 6 ans. C’était tombé complètement en désuétude et nous en avons fait une marque branchée simplement en la ressortant.

Branchée mais… profitable ?

On fait tous la course à la profitabilité mais ce n’est pas l’essentiel. Quand on est passionnés, on fait des choses qui sont bien, qui sont réussies, elles finissent par payer.

Michel Vaillant par Leblon-Delienne
© Leblon-Delienne

Est-ce que l’objet 3D n’a pas ses limites ? On l’imagine dans une chambre d’étudiant, dans l’appartement d’un jeune couple. Mais on ne va pas multiplier chez soi les vitrines avec les objets de prix ?

Il y a deux choses. Il y a des pièces qui sont des œuvres d’art et pour lesquelles on a un amour que l’on va conserver toute sa vie. Il y en a d’autres qui sont de passage. Comme nous sommes dans une génération qui est de plus en plus « jetable », on va garder une pièce deux-trois ans et puis on va la changer. Chez Leblon-Delienne, nous faisons des pièces avec beaucoup d’émotion, qui peuvent correspondre à une émotion du moment, mais qui peuvent évoluer avec le temps. Et puis ça casse parfois, ce n’est pas indestructible ! (Rires)

Il y a un autre modèle qui est celui de Pixi qui font des objets plus petits que les vôtres mais qui, en parallèle, diffusent sous la marque Plastoy des objets de grande consommation.

Nous sommes vraiment concentrés sur le collector.

Quel est le profil d’un acheteur de Leblon-Delienne ?

Il va de 7 à 77 ans ! (Rires) Il y a beaucoup de trentenaires et de quarantenaires, mais cela dépasse largement ce cadre. Cela dépend des produits et des licences.

Propos recueillis par Didier Pasamonik, le 22 mai 2007.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN :

CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Didier Pasamonik (L’Agence BD)  
A LIRE AUSSI  
Interviews  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD