Le Bain de 8 heures - Par Nina Blanchot - Ed. Tsarines

Au premier coup d’œil, on voit que l’on est face à album qui va prendre des libertés avec les codes du médium, et nous faire entrevoir une nouvelle façon d’éditer de la bande dessinée. Par exemple, le dessin de la couverture va de la première à la quatrième de couverture, en passant par le dos, une pratique assez rare dans le monde de l’édition. On a aussi des phylactères et de l’écriture manuscrite sur cette même couverture. On est donc face à une bande dessinée qui se démarquera à coup sûr les tables de librairies.

Le gaufrier de l’album est d’une approche moderne, on a parfois plusieurs cases qui décortiquent l’action, parfois aucune. Certaines pages se répondent en utilisant la jonction comme un miroir, d’autres se lisent en tournant l’album. C’est donc un livre très ludique, ce qui va bien avec le thème de la bande dessinée qui traite de la façon de rendre la littérature accessible, et quoi de mieux que le jeu pour y arriver.

Le dessin est dans la même veine, il prend beaucoup de liberté avec l’anatomie, les perspectives, les couleurs. On a aussi une utilisation de plusieurs techniques graphiques. On sent que l’autrice a voulu explorer les possibilités d’un médium qu’elle pousse dans ses retranchements, sans pour autant perdre le lecteur. On est donc face à un album à la jonction entre l’édition artisanale, le livre d’art et la bande dessinée.

Cette forme travaillée est au service d’un propos passionnant sur l’éducation. Dans cet album, Nina Blanchot nous parle de son métier de professeur de français. Un thème cher aux écrivains depuis La Bruyère, qui était précepteur du duc de Bourbon, jusqu’à François Bégaudeau, qui nous raconte son quotidien de professeur de Français dans le très beau Entre les murs.

L’originalité du propos de l’autrice semble être d’essayer de concilier un regard critique sur le système éducatif, avec son enthousiasme d’exercer ce métier séculaire et nécessaire. Elle nous partage donc des anecdotes souvent amusantes, et très bien mises en scène, grâce à la fluidité de sa narration. Elle nous fait aussi part de ses angoisses et des cauchemars qu’elles engendrent.

Des cauchemars qui donnent lieu à de très belles pages, où le dessin quitte la représentation naturaliste pour basculer dans la métaphore. Enfin, elle nous offre aussi des exemples très concrets des cours qu’elle donne. Certaines pages sont donc des analyses littéraires extrêmement pertinentes, ce qui est très rare en bande dessinée où l’on est plutôt habitué à une vulgarisation parfois racoleuse. Cette façon d’aborder la littérature pourrait peut-être même ouvrir une nouvelle approche des études littéraires par l’usage de la bande dessinée. Mention spéciale à l’analyse de la scène du balcon dans Cyrano qui est bluffante d’intelligence.

Une belle réussite qui n’augure que du bon pour le futur de la toute jeune maison d’édition Tsarines et pour Nina Blanchot.