Né en 1955 à Alger, Jacques Ferrandez quitte l’année suivante son lieu de naissance pour Nice où sa famille s’est installée à la suite des « événements » d’Algérie. Ce déchirement fondateur sera à l’origine de la part la plus conséquente de son œuvre. Ses Carnets d’Orient (Casterman) d’abord qui content la terrible et fabuleuse histoire de la présence française en Algérie ; la trilogie des adaptations de son compatriote Albert Camus : L’Hôte , L’Étranger et Le Premier Homme, un écrivain qui vécut à quelques mètres de la maison de son enfance à Alger.
Mais avec Le Chant du monde (Gallimard BD) adapté du chef d’œuvre de Jean Giono, c’est vers l’autre versant de la Méditerranée que Ferrandez se tourne cette fois : vers la Provence de sa jeunesse et surtout son arrière-pays méconnu qui s’étend jusqu’aux Alpes.
Le Chant du monde n’est pas une œuvre anodine, y compris dans l’histoire de la bande dessinée. Le texte de Giono a séduit plus d’un lecteur par sa langue particulière, poétique et inventive, à nulle autre pareille pour évoquer cette Provence rugueuse, minérale et organique d’avant la machine.
Giono, le traducteur de Moby Dick, avait su y retrouver le souffle de l’épopée, inspirée comme pour son prédécesseur Ulysses de James Joyce par l’œuvre d’Homère. Ce « paradis perdu » à la Fenimore Cooper impressionna jusqu’à Claude Auclair qui eut la naïveté de s’en inspirer d’un peu trop près pour Simon du Fleuve (1973), une des premières séries d’ « Après la Bombe » de la bande dessinée. Même le Jeremiah de Hermann lui rend un écho lointain.
Pour adapter cette œuvre avec l’accord de Gallimard et des ayants droits de Giono, Ferrandez s’est pour ainsi dire assis dans le fauteuil de l’écrivain, parcourant les paysages où il a vécu, visitant sa maison à Manosque. Il s’est surtout inspiré du scénario de film inédit que Giono avait écrit en 1942 pour adapter son œuvre à l’écran, suivant, sans s’y soumettre absolument, les choix de coupe faits par l’écrivain. Il s’est aussi nourri de son écriture très descriptive où la nature est un acteur majeur, le verbe image.
L’aquarelle de Ferrandez est méthodique et appliquée. Les grands paysages dans lesquels s’insèrent l’intrigue opposent leur sérénité inébranlable à des personnages parfaitement caractérisés : le Matelot, Antonio, le Besson, Maudru, Toussaint le guérisseur, Clara l’aveugle accouchée... et à une intrigue simple de chasse à l’homme. En 140 planches, le résultat impressionne.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Le cinéaste Michel Viotte a accompagné Jacques Ferrandez tout au long de l’élaboration de cet ouvrage. [On eut en voie un extrait ICI-https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/emissions/qui-sommes-nous-2/premiere-france-3-manosque-decouvrez-comment-roman-giono-chant-du-monde-ete-adapte-bd-1718439.html]