Début 2020, alors que l’Europe pensait encore que le coronavirus resterait une affaire chinoise, le Collectif Autrices Auteurs en Action connaissait le point d’orgue de sa mobilisation. Une tribune réagissant au Rapport Racine, signée par 1400 auteurs et publiée dans Libération à la veille de la 47e édition du FIBD, une manifestation d’une ampleur inédite en plein Festival d’Angoulême, une prise de parole engagée, lors de la remise des Fauves, de Gwen de Bonneval et Fabien Vehlmann, lauréats 2020 du Prix Goscinny, et accompagnée de la montée sur la scène du Théâtre d’Angoulême d’une centaine d’auteurs en signe de protestation... Les coups d’éclat ont montré l’exaspération grandissante et la prise de conscience commune d’une profession d’habitude éclatée.
Cette mobilisation devait se prolonger tout au long de l’Année de la BD décrétée par le Ministère de la Culture. La pandémie y a évidemment mis un coup de frein, mais après quelques mois de sommeil, la concertation a repris. Et pour cause : malgré le Rapport Racine, articulé autour de quelques propositions claires, et les promesses de Frank Riester, depuis remplacé par Roselyne Bachelot à la tête du ministère, la situation des auteurs n’a guère évolué. Elle s’est même dégradée, si l’on en croit leurs témoignages, du fait de la disparition d’une grande partie de leurs revenus en 2020. Le report de nombreuses parutions et l’annulation de la quasi-totalité des salons, festivals, rencontres et actions pédagogiques a amputé des ressources déjà peu élevées pour la majorité des autrices et auteurs, malgré « une année record » pour les ventes globales.
Si les pouvoirs publics ont partiellement paré au plus urgent, il semble qu’aucune réflexion plus large sur le statut, le revenu et la sécurité sociale des auteurs n’a été engagée. Du moins, aucune décision n’a été annoncée. Certes, les crises sanitaire et économique ne forment pas un contexte favorable à ce type de réforme. En apparence en tous cas, car la période pourrait être l’occasion d’une remise à plat d’un système construit de bric et de broc, qui tient du maquis administratif pour beaucoup d’auteurs. Après tout, la Sécurité sociale a été fondée en 1945, qui n’est pas à proprement parler une année économiquement faste...
Cet immobilisme explique la nouvelle tribune du Collectif AAA, signée par presque 800 auteurs. Arrivée un an après la première, elle appelle à un boycott du versant public du Festival d’Angoulême, qui doit se tenir du 24 au 27 juin 2021. Adressée directement à la Ministre de la Culture, elle enjoint également la direction du Festival d’intervenir pour faire bouger les lignes. Si Franck Bondoux, à la tête de 9emeArt+, société organisatrice du FIBD dont le résultat d’exploitation a triplé entre 2008 et 2018, ne comprend pas - ou feint de ne pas comprendre - cette implication, le symbole que constitue le festival, sa dimension internationale et ses liens avec les pouvoirs publics locaux comme nationaux en font un médiateur possible.
Dans ce contexte, la proposition d’une charte de « bonnes pratiques » n’est pas une surprise. Elle est la poursuite d’une démarche née avant même la mobilisation de janvier 2020, consistant à s’adresser à tous les interlocuteurs des autrices et auteurs : État et collectivités territoriales, éditeurs, et organisateurs de festivals et autres salons amenés à inviter des auteurs de bande dessinée. De plus, elle anticipe la reprise des événements culturels, qui devrait arriver dès que la situation sanitaire et les décisions gouvernementales le permettront. Elle est aussi la concrétisation d’un engagement pris en mars 2020, à quelques jours du premier confinement.
L’objectif ? Offrir « ni un contrat ni un cadre contraignant » - le Collectif AAA n’en a pas le pouvoir - « mais un cadre éthique ». Il s’agit d’améliorer l’accueil des autrices et auteurs, tant pour les conditions de séjour que pour les revenus, en établissant « une relation de confiance » avec les organisateurs de festivals. Cinq grands domaines sont abordés dans cette « chAAArte » : « invitation des auteurices ; conditions d’accueil ; infrastructures et conditions d’hébergement ; respect des engagements ; défraiement et indemnisation ». Le collectif invite surtout au dialogue entre les auteurs et les différents acteurs participant aux festivals (organisateurs, collectivités, éditeurs, libraires...), dialogue pouvant s’appuyer sur la charte.
Nombre de préconisations paraissent de bon sens. Le Collectif AAA appelle ainsi à une information claire auprès des auteurs, à la prise en charge complète des frais engagés pour participer et à la mise en place de conditions décentes de travail, notamment pour les séances de dédicaces.
Le chapitre sur la rémunération prêtera sans doute davantage au débat. Le Collectif recommande l’application des tarifs de la « Charte des Auteurs et Illustrateurs Jeunesse ». La rémunération devrait s’appliquer à la présence des auteurs, à leurs activités et interventions - ateliers, débats, concerts dessinés... - mais aussi aux expositions. Le droit de monstration doit-il être à la charge des organisateurs ou des éditeurs ?
Le cas de l’opération montée par le FIBD et la SNCF, visant à mettre en avant les livres de la sélection officielle en les exposant dans les gares, a suscité des remous. Présentée par le FIBD comme un action de promotion, elle n’a pas entraîné de rémunération. Elle a pourtant été acceptée, contractuellement, par les auteurs et éditeurs concernés. Ce qui n’a d’ailleurs pas empêché certaines maisons éditoriales, comme les Éditions çà et là, de verser à ce titre un revenu à leurs auteurs.
À ces recommandations très concrètes et cruciales pour les conditions de travail et de vie des autrices et auteurs s’ajoutent des propositions d’ordre principalement éthique. Le Collectif appelle par exemple à une meilleure représentation des diversités, en donnant en particulier une part plus importante aux créatrices dans les programmes des festivals. La charte est d’ailleurs rédigée en écriture inclusive, symbole de la volonté d’une plus grande intégration de celles qui représentent presque un tiers de la profession.
La diversification est justement l’une des lignes directrices de la charte. Le Collectif incite les organisateurs à inventer de nouvelles formes d’interventions pour les auteurs, à inviter des créateurs autres que les dessinateurs - scénaristes, coloristes, traducteurs... - et à ne pas négliger les auteurs édités par des maisons indépendantes.
Quelques mots sont également réservés aux partenaires, et il est vrai qu’ils sont indispensables à la tenue de la plupart des festivals. Enfin, une labellisation est proposée aux structures organisatrices. Un premier label « transition chAAArte » est réservé aux festivals ayant engagé une démarche visant à satisfaire aux critères réunis dans la charte. Un second intitulé « manifestation labellisée chAAArte » permet de distinguer les manifestations remplissant les objectifs fixés dans la charte. Il serait accordé à la demande des organisateurs après un examen par le Collectif AAA et pourrait être apposé sur les documents de communication de la manifestation, permettant ainsi aux visiteurs d’être informés des engagements pris.
Quelques points ne manqueront pas de faire débat. Certains tenteront probablement de faire dévier les échanges à venir sur l’utilisation de l’écriture inclusive - si effrayante ! - ou discuteront la valeur représentative du Collectif. La question de la survie des festivals les plus fragiles, souvent organisés par des associations de bénévoles, devra être posée.
Mais la charte est évolutive. Et elle est présentée avant tout comme un outil dont les auteurs et les organisateurs peuvent s’emparer pour améliorer leur dialogue et contribuer à la prise en compte de la situation des autrices et auteurs de bande dessinée. Elle pourrait même servir de base à un texte-cadre négocié par les organisations représentatives et les pouvoirs publics. Enfin, elle montre une avancée significative dans la prise en main collective de leur condition par les auteurs eux-mêmes, ce qui pour des professions où le travail est souvent solitaire est déjà une petite victoire.
(par Frédéric HOJLO)
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Consulter le site du Collectif Autrices Auteurs en Action & la chAAArte BD et festivals.
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