C’est quoi une société ? Un ensemble structurel dont on connaît finalement peu les rapports de force, parce que trop imbriqués, trop touffus, illisibles. Or il est évident qu’ils sous-tendent quasiment la totalité des relations économiques et sociales. Certains ont essayé de donner des grilles de lecture à ce rapport de force, Marx par exemple, avec sa "lutte des classes", mais aussi avant lui la plupart des pensées basées sur le déterminisme théocratique.
Nous sommes confrontés tous les jours à des usages archaïques sans justification qui se perdent dans la nuit des temps et que l’on maintient parce que "tout le monde fait comme cela". Les lois viennent parfois corriger ces aberrations d’un autre âge, les révolutions aussi, qu’elles soient humaines ou technologiques, donc humaines elles aussi. Elles bousculent les choses un temps mais souvent ces usages reviennent, par un effet de balancier, sur leur position initiale, comme un culbuto souriant et inaltérable.
Alors pensez ce que peut-être l’Égypte contée par Sonallah Ibrahim, entre Afrique et Asie, avec son histoire millénaire, ses pyramides contemplatives, et sa mosaïque de religions, d’intérêts, de factions... Cette Égypte s’est donnée un nouveau Raïs suite à l’assassinat de l’ancien, un scénario éprouvé depuis longtemps au pays des Pharaons. Par un processus kafkaïen, Saïd se retrouve dans un piège. Il sait -trop bien sans doute- qu’il se condamne en exigeant de rencontrer le Comité, car les vrais puissants ne se nomment pas, ne se découvrent pas, à moins d’intégrer la caste.
Sans verser dans les affres du complotisme, Le Comité est une magnifique fable sur le pouvoir, mettant en évidence son absurdité mais aussi ses faiblesses, sa capacité de broyer l’individu avec un cynisme consommé, par devoir plus que par sadisme finalement. On distingue un à un les éléments de sa cohorte de petits chefs, de complicités tacites, de faux-semblants et de justifications oiseuses.
Le roman de Sonallah Ibrahim est tout en allusions, en images suivant une vieille habitude dictée par une censure omniprésente. Cet aspect métaphorique, forcément poétique, est très bien retranscrit par le graphisme fluide et elliptique de Thomas Azuélos, le dessinateur du remarquable Fantôme arménien (sc. Guillaume Perrier & Laure Marchand, Éd. Futuropolis) que l’on suit avec intérêt depuis un bout de temps déjà.
Cela donne un roman graphique qui tranche avec la production actuelle pas seulement parce que son thème est en résonnance avec l’actualité de l’ "Orient compliqué", mais aussi parce qu’il est, par son sujet, de toute éternité.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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