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Le Festival d’Angoulême 2014 ciblé par les activistes politiques (1/2)

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 5 février 2014                      Lien  
Rançon du succès ou nouveau symptôme de ces temps énervés?, le 41e FIBD a fait l'objet de deux mobilisations politiques d'envergure : un appel au boycott contre l'un de ses sponsors, la société israélienne SodaStream, et une action très organisée des négationnistes japonais contre un exposition sur les "femmes de réconfort" coréennes victimes de l'armée japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale. Enquêtes.

Au festival d’Angoulême (dont la 41e édition vient de s’achever dimanche), notre journaliste Laurent Melikian s’arrête sur un stand japonais. Il y découvre des tracts et des publications en français protestant contre une exposition qui se tient à Angoulême à ce moment-là sur les Femmes de réconfort, ces Coréennes qui servaient d’esclaves sexuelles aux soldats pendant l’occupation japonaise de la Corée. Un matériel négationniste.

Un coup de fil à Nicolas Finet, le responsable Asie du festival et un constat d’huissier plus tard, nos Japonais sont expulsés manu militari. Cela n’empêche pas, dans une action concertée, de multiplier les interventions sur le Net, sur FaceBook ou YouTube, y compris sur ActuaBD.com, pour tenter de faire passer leur message. Nous reviendrons plus longuement sur cette affaire dans la deuxième partie de notre enquête dans quelques jours.

Mais revenons d’abord sur l’une des actions les plus médiatiques du FIBD 2014 : la mobilisation d’activistes pro-palestiniens pour le boycott d’une société israélienne, sponsor du 41e Festival : Sodastream, "boisson officielle de l’événement".

Cette multinationale israélienne spécialisée dans la fabrication d’appareils de gazéification de boissons pour les particuliers, dont la principale usine se trouve à Maalé Adoumim, en Cisjordanie, soutient une jeune dessinatrice, Lucille Gomez (Tea for Two au Lombard, Les Fables de Belle Lurette chez Drugstore,...) qui a créé une série de personnages pour animer la marque. Les festivaliers pouvaient en outre boire gratuitement des sodas aromatisés pendant tout la durée du festival.

Le 30 janvier, dans une "lettre ouverte" à Franck Bondoux, le directeur du FIBD, le collectif Angoulême : Drop Sodastream écrit :

"Nous, dessinatrices et dessinateurs, illustrateurs et auteurs de tous les pays, sommes surpris, déçus et en colère de découvrir que SodaStream est un sponsor officiel du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême.
Comme vous le savez sûrement, SodaStream est la cible d’un appel international au boycott, pour sa contribution à la colonisation de terres palestiniennes, avec son usine dans la colonie illégal de Ma’ale Adumim, son exploitation de travailleurs palestiniens, et son vol de ressources palestiniennes, en violation du droit +international et des droits humains.
Angoulême a joué un rôle important dans la prise en compte de la bande dessinée comme une forme d’art depuis 40 ans. Il serait triste que SodaStream profite de ce festival pour essayer d’effacer ses crimes.
Nous vous demandons de couper tous les liens entre le Festival et cette entreprise honteuse.
"

Le Festival d'Angoulême 2014 ciblé par les activistes politiques (1/2)
SodaStream au 41e Festival de la BD d’Angoulême

La lettre est signée de noms connus de nos lecteurs : des Grands Prix d’Angoulême comme Tardi, Schuiten, Muñoz, Baru... mais aussi Siné, Maximilien Le Roy, Edmond Baudoin, Jean Solé, Igort, Jean-Luc et Philippe Coudray, Jeanne Puchol, Eric Maltaite, Philippe Squarzoni,... les Américains Jo Sacco, Ben Katchor ou Sarah Glidden...

Interrogé par Le Monde, Franck Bondoux se défend : « Concernant SodaStream, je ne vois pas en quoi cette entreprise est honteuse. Elle est implantée dans une colonie ancienne, en zone C, qui est née des accords d’Oslo entre Israël et l’OLP. Rien n’interdit à une entreprise de s’installer là dans l’attente d’un accord entre les deux parties, quand bien même celui-ci tarde particulièrement. SodaStream crée plutôt des passerelles. Elle emploie 500 travailleurs palestiniens qui travaillent dans de bonnes conditions. Cette entreprise n’a jamais été condamnée en France. Parler de “crime” à son encontre, comme le font ces auteurs, est une prise de position partisane. La rejeter reviendrait à la condamner : ce serait une injustice à l’envers. »

Mais comment nos dessinateurs ont-ils été mobilisés pour cette cause ? Selon Le Monde, c’est Joe Sacco qui a envoyé cette lettre ouverte au FIBD qui aurait très vite emporté l’adhésion de poids lourds comme Tardi : « Si j’avais su au départ que le festival était financé par cette marque, jamais je n’aurais donné mon accord pour que mes planches soient accrochées à Angoulême. Je me serais abstenu » dit Tardi au Monde.

Informés par le dessinateur italien Gianluca Costantini, nous avons interrogé quelques-uns des dessinateurs de la pétition :

Jean-Luc Coudray : "J’ai reçu un courrier de Dror de Siné Hebdo, qui m’a informé que le festival d’Angoulême était sponsorisé par Sodastream, implanté dans les territoires palestiniens colonisés par Israël. Mon propos était de critiquer le soutien implicite qui engage l’ensemble des dessinateurs du salon, malgré eux, à la politique d’expansion d’Israël, par la force, dans des territoires étrangers, avec les exactions que l’on connaît. Il ne s’agit pas d’une réaction antisémite, ce que je ne suis évidemment pas, mais simplement de ne pas soutenir une injustice, quelle qu’elle soit. Je ne prends pas parti, sauf pour la justice. Et je souhaiterais que le festival s’engage sur des sponsors neutres également."

Ben Katchor : "Cette pétition m’a été présentée par Eithan Heitner, le dessinateur et co-éditeur de World War 3 Illustrated. L’installation d’une usine en Cisjordanie est une violation de la 4e Convention de Genève de 1949."

Aux arguments de Franck Bondoux, il oppose cette notice de Wikipedia qui stipule que "La plupart des territoires autorisés de la zone C, qui contiennent toutes des ressources en eau, en terres arables et constructibles, des sources, des carrières ou des sites à valeur touristique nécessaires au développement d’un état palestinien viable, devaient revenir, suite aux accords d’Oslo, sous le contrôle de l’état palestinien. Cela ne s’est jamais fait."

Le stand SodaStream, quant à lui, a été très apprécié du public
Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Le plus virulent est encore le dessinateur israélien Amitaï Sandy, interrogé par nos soins, qui nous dit : "Je suis considéré, ici en Israël, comme quelqu’un d’extrême-gauche. Je soutiens BDS [Boycott Disvestment Sanctions, le mouvement de boycott des entreprises israéliennes. NDLR] pour le boycott d’Israël. J’estime qu’il n’y a pas d’autre moyen de convaincre les Israéliens de lâcher l’occupation et l’oppression des Palestiniens, puisque nous n’y avons pas réussi jusqu’ici. Cela passe par des pressions internationales, y compris un appel au boycott... "

Le paradoxe, c’est que si l’on en croit un article récent du quotidien anglais The Telegraph, les employés palestiniens de SodaStream n’ont pas l’air trop mécontents de leur situation : "Il nous faudrait 1.000 SodaStreams autour de nous" disent-ils. L’un d’eux témoigne : "Ce sont les politiciens qui font tout un mic-mac entre les Juifs et les Arabes, mais le peuple ici, les Palestiniens et les Israéliens, nous travaillons ensemble, nous parlons ensemble, il n’y a pas de problèmes..." L’économie n’a-t-elle pas fini par réconcilier les Français et les Allemands après deux guerres mondiales ? Pourquoi cela ne se ferait-il pas en Terre Sainte ?

Franck Bondoux, dans sa conférence de presse de novembre dernier, voulait inviter le FIBD à s’intéresser à "la relation de la bande dessinée au monde". Avec le conflit israélo-palestinien qui s’invite dans le 9e Art sur les bords de la Charente, c’est maintenant chose faite.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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15 Messages :
  • Maale Adoumim faisait partie avant de la Ci-Jordanie. Elle fait partie maintenant de la large banlieue de Jérusalem reliée par des transports en commun à partir de la gare routière. Et que dire alors du terme "Territoires occupés" qui devient aujourd’hui "territoires disputés" ? Problème épineux de l’occupation et de l’aliénation mentale. Entre temps, comme il est dit, Sodatream fait vivre des ouvriers palestiniens qui doivent nourrir leur famille.

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  • La colonisation est un crime. Soutenir cette société, qui profite, et qui détruit avec ses consœurs tout espoir d’un état indépendant, est inacceptable. Je suis content d’avoir croisé des militants pour les Droits de l’Homme qui appelaient au boycott de ce stand, à Angoulême !

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  • Dès qu’il peut faire passer son petit discours libéral, D. Pasamonik ne se gêne pas.
    Les Français et les Allemands n’ont pas été fâchés, ce sont leurs élites bancaires et industrielles qui se sont fait concurrence à mort. L’économie n’est pas moins le mobile de la guerre qu’elle n’est celui de la paix.
    On mobilise les troupes à l’aide la propagande, mais les véritables raisons de la guerre sont toujours économiques.

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 5 février 2014 à  14:06 :

      Vous n’avez jamais peur de faire passer un discours stupide non plus :

      les véritables raisons de la guerre sont toujours économiques

      Et jamais les véritables raisons de la paix ? Allons bon.

      Vous aimez trop la guerre, sans doute. Vous avez sûrement de bonnes raisons économiques pour cela ;)

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      • Répondu par Zombi le 6 février 2014 à  10:15 :

        Ouvrez un bouquin d’histoire, M. Pasamonik : après la défaite des troupes hitlériennes face à celles de Staline, une période de guerre froide s’est ouverte, et non de paix. La guerre froide épargne peut-être momentanément les nations occidentales, mais elle fait des ravages dans le reste du monde depuis 1945 - dont plusieurs génocides.
        - L’économie est un processus concurrentiel, qui par conséquent ne peut en aucun cas fonder une paix durable. C’est votre tentative de faire croire que Soda-Stream & Co. pourraient favoriser une réconciliation entre Palestiniens et Israéliens qui est, non pas stupide, mais carrément cynique. Rien ne prouve que la guerre est une mauvaise chose en termes de profit économique.

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        • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 6 février 2014 à  10:31 :

          Ouvrez un bouquin d’histoire, M. Pasamonik : après la défaite des troupes hitlériennes face à celles de Staline, une période de guerre froide s’est ouverte, et non de paix. La guerre froide épargne peut-être momentanément les nations occidentales, mais elle fait des ravages dans le reste du monde depuis 1945 - dont plusieurs génocides.

          Propos éminemment outranciers (je vous reconnais bien là) et historiquement contestables, mais je n’entrerai pas dans ce débat qui nous éloigne du sujet.

          - L’économie est un processus concurrentiel, qui par conséquent ne peut en aucun cas fonder une paix durable.

          Je comprends bien ce point de vue qui rejoint le pessimisme d’un Schumpeter et le pragmatisme d’un Clausewitz. Mais on ne résout pas forcément les ruptures ni les inégalités par la guerre, laquelle nourrit non seulement certains industriels bien placés (ceux que vous dénoncez) et constitue le sommet de l’inhumanité. Personnellement, je suis pour les solutions ci-vi-li-sées, je comprends que cela dérange certains.

          C’est votre tentative de faire croire que Soda-Stream & Co. pourraient favoriser une réconciliation entre Palestiniens et Israéliens qui est, non pas stupide, mais carrément cynique. Rien ne prouve que la guerre est une mauvaise chose en termes de profit économique.

          Votre dernière phrase annule votre démonstration (l’argument juridique avancé dans ce forum est, sur ce point, bien plus recevable). Le cynique, c’est clairement vous, et pas pour la bonne cause, la seule qui compte : la concorde.

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          • Répondu par Zombi le 8 février 2014 à  22:27 :

            On ne s’éloigne pas du sujet : si les polémiques se multiplient, c’est un signe que la bande-dessinée joue un rôle artistique de premier plan ; l’enjeu politique de l’art est décisif.
            Contrairement à vous, je ne crois pas qu’il y a eu, qu’il y a ou qu’il y aura un jour une civilisation pacifique. Ce n’est pas du cynisme mais de la lucidité.

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  • "soutient une jeune dessinatrice, Lucille Gomez "

    Il me semble qu’il ne s’agit pas de mécénat mais d’un simple travail de commande.
    Je suis très dérangé par le terme que vous utilisez.

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    • Répondu le 5 février 2014 à  15:02 :

      Pour info, j’ai trouvé il y a un mois dans une bouquinerie à Jérusalem LE LIVRE DE LA BD SIONISTE de Amram Prath et Amnon Danker (en hébreu) pour ceux qui seraient intéressés. (The Zionist Comic Book)

      et pour les autres , boycotez aussi votre petit resto chinois tant qu’à faire parce que les droits de l’homme en Chine.....
      Indignation à géométrie très variable, comme d’hab mais bon ....zzzzz
      .

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      • Répondu par winnie le 6 février 2014 à  15:14 :

        heu, il est strange le commentaire du dessus. Moi j’ai j’aime bien les restos chinois, mais bon, même avec la peau jaune et les yeux bridés, la plupart de ces patrons de resto sont d’abord et avant tout des citoyens français...donc je vois pas trop le rapport avec : les " chinois ".

        A moins que son auteur envisage les gens d’un point de vue essentialiste donc raciste, et fondamentalement anti républicain ?

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  • Petit complément d’information : dans sa "lettre aux organisateurs du festival de BD d’Angoulême", François Dubuisson, professeur de droit international à l’Université libre de Bruxelles (ULB) répond point par point aux arguments fallacieux de Franck Bondoux : http://www.agencemediapalestine.fr/blog/2014/02/01/sodastream-lettre-de-francois-dubuisson-professeur-de-droit-aux-organisateurs-du-festival-de-bd-dangouleme/

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  • "Le paradoxe, c’est que si l’on en croit un article récent du quotidien anglais The Telegraph, les employés palestiniens de SodaStream n’ont pas l’air trop mécontents de leur situation : "Il nous faudrait 1.000 SodaStreams autour de nous" disent-ils. L’un d’eux témoigne : "Ce sont les politiciens qui font tout un mic-mac entre les Juifs et les Arabes, mais le peuple ici, les Palestiniens et les Israéliens, nous travaillons ensemble, nous parlons ensemble, il n’y a pas de problèmes..." L’économie n’a-t-elle pas fini par réconcilier les Français et les Allemands après deux guerres mondiales ? Pourquoi cela ne se ferait-il pas en Terre Sainte ?"

    Tu trouveras toujours des contre-exemples de ce type. Après tout, beaucoup de Palestiniens en ont assez de cette situation et se sont résignés. Ça peut se comprendre. Ce n’est pas pour autant qu’il faut accepter la loi du plus fort. Car ce n’est pour autant qu’elle est juste.

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  • la mobilisation d’activistes pro-palestiniens pour le boycott d’une société israélienne

    Amalgame binaire. Ces signataires ne sont pas « pro-palestiniens » mais anti-occupation : on peut être anti-Hitler sans être pro-Staline, on peut être contre la peine de mort sans être pour les assassins, et on peut être contre des colonies illégales sans être pro-palestinien ou anti-juif.

    De plus, la plupart ne sont guère des habitués ou des « activistes ». En fait, je ne vois guère que Sacco et Siné qu’on puisse qualifier d’« activistes pro-palestiniens » (ce qui est du reste bien leur droit).

    Enfin, opposer une page de Wikipedia et un article du Telegraph, pour un problème pareil, c’est un peu court, façon guillotine.

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  • D’Angoulême à Jérusalem
    7 février 2014 19:32, par Simon

    Pour un contexte plus global, on peut voir cette affaire évoquée hier dans un papier de L’Express. Ils y voient un point d’orgue de dix ans de boycott, puis récapitulent hier, interrogent des deux côtés du mur aujourd’hui, avant d’examiner demain ; ce n’est pas de la dépêche paraphrasée, c’est un article de fond :

    http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/pourquoi-le-boycott-commence-a-faire-peur-a-israel_1320947.html

    (De quelque bord qu’on soit, c’est un site utile à consulter car il est adossé à un groupe belge et dispose donc de plus d’indépendance pour traiter l’actualité française que la majorité de ses concurrents nationaux. D’une manière générale, il n’est pas inutile pour un citoyen de parcourir les sites d’information de ses voisins.)

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    • Répondu par gü le 17 février 2014 à  10:21 :

      et la seconde partie de l’article ?

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