Le Gecko - Par Courty, Godart et Josse - Akileos

Le métissage, c’est beau ! Voilà comment l’on pourrait résumer notre sentiment après la lecture de Le Gecko, album publié chez Akiléos. Pourquoi le métissage ? Parce que cette œuvre se trouve à la croisée d’influences, d’ambitions et de genres très différents.

L’histoire est assez classique, mais n’en reste pas moins dense, avec de nombreuses (fausses) pistes. Nous sommes à Chicago, dans l’entre-deux-guerres : Albert est un jeune noir, qui a fortement souffert du racisme dans son enfance, avec réprimandes injustes, vision de ses parents exploités puis assassinat de l’ensemble de sa famille, brûlée vive sous ses yeux dès les premières planches, poignantes et saisissantes. Il s’en sauve grâce à son don : le pouvoir de grimper sur toutes les surfaces comme un gecko, surnom que finit par lui attribuer la presse, car il s’en sert pour commettre de nombreux vols dans des conditions incompréhensibles pour les enquêteurs. Lorsqu’Albert est mandaté pour aller voler Linas, qui n’est pas qu’un riche collectionneur d’art primitif, mais qui est aussi un prédateur à l’odorat sur-développé qui se nourrit de chaire crue, c’est le début de ses ennuis et d’un enchainement haletant de péripéties, Albert tenant, avec l’aide d’un autre mutant possédant, lui, la capacité de se téléporter, d’échapper à Linas et à la police.

Deux des trois auteurs sont débutants, ce que l’on ne ressent pas en constatant leur grande maîtrise. Nicolas Courty, l’un des deux scénaristes, est également à la tête de la librairie Expérience, à Lyon, et l’initiateur du projet Bermuda : il s’agit de son premier album, comme cela est également le cas du dessinateur Tristan Josse, ancien élève de l’école Émile Cohl, de laquelle est également issu le second scénariste, Loïc Godart, qui a déjà œuvré sur plusieurs récits, souvent aux pinceaux, comme sur les très remarqués Bang ! et Le joueur.

Les dialogues sont percutants et finement ciselés, le scénario, malgré quelques transitions un peu rapides entre certaines scènes, est mené d’une main de (jeune) maître, avec force et conviction et nous tient en haleine de la première à la dernière planche. Ce récit ne serait probablement pas renié par les auteurs de l’univers DC Comics ou Marvel. Le dessin de Tristan Josse est tout en rondeur et en dynamisme, son découpage est nerveux et efficace, et l’ensemble est sublimé par de splendides couleurs, réalisées par le dessinateur et par Angélique Paultes.

Finalement, on est ici clairement à mi-chemin entre franco-belge et comics, entre peinture sociale d’une Amérique raciste et corrompue, d’une part, et histoire de super-héros divertissante, d’autre part. Et il faut reconnaître que les auteurs, qui nous conduisent en terrain connu avec une succession de scènes attendues (enfance traumatisante, évènements déclencheurs pour la révélation des super-pouvoirs, méchant sadique, héros baignant dans les milieux interlopes, etc), arrivent dans le même temps à nous surprendre par ce beau mariage d’influences diverses. L’ensemble constitue non seulement une vraie curiosité, mais aussi un très bon moment de lecture, rythmé par la narration vive et bercé par le dessin rond et ses couleurs chaudes. Le croisement idéal de la matière américaine et du savoir-faire français !