Le Lion de Judah : Livre 1 – L’Afrique coloniale, ses ombres, ses mystères, ses dérives

John Wallace, un colon, est arrêté pour un double meurtre. Arrêté, et condamné, envoyé dans une prison pour des travaux forcés qu’il supporte grâce à une volonté farouche, une force de caractère et une puissance physique importantes, grâce auxquelles il parvient à s’enfuir. Commence alors un livre qui mêle bien des thématiques. La fuite, bien sûr, et son corollaire, la chasse… Une intrigue policière, également : est-il vraiment coupable ? Et qui est cette étrange femme d’ébène qui le recherche inlassablement ? Il y a de la magie, qui fait que le thriller devient, progressivement, « fantastique ». Il y a des tas de personnages, aussi, dont les destins se mêlent, se séparent, se retrouvent.

Ce qui est le plus intéressant dans ce livre, au-delà des intrigues mélangées, c’est le souffle de l’aventure qui en rythme le récit. Une aventure à l’ancienne, qui pourrait être manichéenne, mais qui ne l’est pas, grâce, entre autres, aux références littéraires dont Stephen Desberg émaille son scénario.

Ce souffle de l’aventure, c’est aussi celui du dessin de Hugues Labiano. Son graphisme réaliste lorgne souvent du côté de la caricature, ou, en tout cas, de la démesure des visages. Il aime les physionomies qui attirent le regard, il aime les personnages dont on ressent la fatigue, la douleur, dont on devine, presque jusqu’à l’odeur, la sueur… Expressif, expressionniste même, le dessin de Labiano réussit la prouesse d’être à la fois celui du mouvement, celui des visages, et celui des paysages et des décors.

Il faut également souligner le travail extraordinaire du coloriste, Jérôme Maffre. Avec une lumière lourde, avec des rouges profonds, avec un sens du contraste de séquence à séquence, mais aussi au creux même des planches, cette couleur est vraiment un des moteurs essentiels de la lisibilité et de l’intérêt de cette BD.

Ce livre de personnages, de portraits humains, de sensualité presque animale d’un continent, cet album, pour se révéler agréable à lire, réussi, se devait aussi de profiter d’une vraie complicité entre le dessinateur et le scénariste.

Cette complicité, on la ressent, véritablement, on le devine, au travers d’un découpage qui joue avec les mots comme avec les perspectives, au travers de dialogues dans lesquels on sent la liberté que Labiano a eue, la liberté aussi qu’il a totalement accordée à Desberg. C’est une belle osmose qui fait de ce livre un album ayant, d’une certaine manière, deux metteurs en scène !

Stephen Desberg est ce qu’on peut appeler un vieux routier de la bande dessinée. Il serait fastidieux d’énumérer tous les scénarios qu’on lui doit, toutes les séries qu’il a créées, ou continuées. Et dans ce Lion de Judah, on ne peut qu’avoir l’impression qu’il s’écarte des sentiers battus, des habitudes qui souvent sont celles des scénaristes de séries à succès. Cela se voit, par exemple, par l’utilisation qu’il fait d’une voix off, dont le rythme au fil des pages se fait lancinant, comme est lancinant le temps qui passe. Et ce qui sous-tend son scénario, c’est une aspiration que tout véritable auteur possède, celle d’une liberté d’imagination, d’expression, envers et contre tout…

Ce premier volume est un livre de présentation, c’est vrai, mais on ne s’y ennuie pas, que du contraire. Il y a du mouvement, il y a de l’aventure, il y a des personnages dont les desseins s’entrechoquent. Et ne laissant que des questions, on ne peut qu’avoir envie de vite en découvrir la suite !