Le Livre des sorcières T. 1 & T. 2 - par Ebishi Maki - Glénat

1551, près de Clèves, dans le Saint Empire Germanique. Un jeune médecin, Jean Wier, spécialiste de l’occulte et des sorcières, est mandaté par son duc de tutelle pour se rendre dans un village reculé du duché. Là, on raconte qu’une jeune fille s’est faite attaquer par un loup-garou ! Wier est donc acquitté de trois missions : soigner la jeune victime, apaiser les craintes et les tensions qui grandissent au village alors que la peur s’installe, et retrouver le coupable, quelle que soit sa nature.

Accompagné d’un robuste chevalier chargé d’assurer sa protection, il se met donc à l’œuvre, et constate rapidement que le mal qui infecte le village est tout sauf surnaturel. La peur de l’inconnu, la haine et la violence croissent dans le cœur des villageois. Dans ce contexte, comment faire éclater la vérité et la justice ?

Seul le bûcher attend les possédées

Le hasard des planning éditoriaux veut que Le Livre des sorcières sorte à peine quelques semaines après notre dossier consacré au genre du manga de sorcière, à lire juste ici. Sans surprise, cette série en trois tomes dont on découvre les deux premiers simultanément en ce début de mars, s’inscrit dans cette tradition, et travaille le mythe de la sorcière sous un angle rare. Entre récit historique d’un personnage ayant réellement existé, Jean Wier, et appartés plus fantastiques pour alléger le récit, Ebishi Maki se livre en fait à un véritable travail documentaire à peine voilé.

Pour mettre en place sa série, elle s’est entouré d’universitaires de renom et de spécialistes de la période comme des sorcières, conférant au titre une épaisseur que certains pourraient confondre avec de la lourdeur. De fait, ces deux premiers tomes s’avèrent très denses et riches en éléments de contextualisation, tant il apparaît fondamental à l’autrice de situer aussi bien la géographie des lieux que le profil psychologique et social des personnages. Son travail est rigoureux, efficace, et nous captive sans peine.

En plus de la peinture historique, et de la biographie romancée de son personnage, elle nous raconte une véritable enquête policière, qui soulève au passage d’importantes questions sur le fonctionnement des sociétés et de la psychologie humaine. L’instinct grégaire, notre besoin de trouver des boucs émissaires, la tentation de la violence au nom du "bien"... Elle interroge sans jamais se montrer manichéenne les fondements de la croyance religieuse, de la superstition, et de la domination des forts sur les faibles à l’époque médiévale.

Une large partie de la série est consacrée au passé de Wier et à sa formation de médecin auprès du Mage Agrippa, figure essentielle de l’occulte et de la médecine au Moyen-Âge. On s’y confronte aux préjugés, aux épidémies, et aux méthodes médicales de l’époque.

Ainsi, elle synthétise une réflexion poussée sur le mystique et le sacré dans la société médiévale, tout en nous proposant une vraie intrigue prenante, riche de rebondissements et garnie de personnages attachants.

Le dessin est le seul petit point faible qu’on pourrait reprocher à la série. Assez soigné, il reste assez "timide" et l’autrice s’aventure rarement dans des morceaux de bravoure ou des planches plus audacieuses, préférant narrer son histoire avec simplicité et efficacité. Ce n’est donc pas pour son trait (tout à fait convenable au demeurant) qu’on retient Le Livre des sorcières, et en dépit de cette faiblesse, cette trilogie dont le troisième et dernier tome sortira en avril mérite indéniablement d’être lue.

Amateurs de sorcières, de Moyen-Âge, d’enquête ou simplement de bon manga, Le Livre des sorcières saura assurément vous combler. Le travail historique et de recherche de l’autrice est remarquable, ainsi que sa capacité à retranscrire avec exactitude le contexte de l’histoire. Les couvertures, également, sont très belles, et le format un peu plus grand que le poche habituel rend la lecture d’autant plus agréable.