On dit que le génie naît lorsque le talent brut rencontre une personnalité singulière. Indéniablement, Tohaku Hasegawa était doué de ces deux qualités. Mais le génie de ce peintre qui a marqué l’histoire de l’art japonais ne s’est dévoilé que sur le tard, après des décennies d’un travail acharné sans véritable reconnaissance. Guidé par la quête sans fin du brasier qui saura enfin l’embraser, il croise la route d’Eitoku, le plus grand peintre de son époque qui refuse de le prendre comme élève puis qui, impressionné par son talent, tentera de saboter sa carrière. Il fera également la rencontre de Rikyu, vieux maître du thé qui a élevé la cérémonie du thé au rang d’art, et qui le premier, discerne l’étincelle dans les yeux d’Hasegawa, avant de lui offrir sa première opportunité.
Le Mandala de Feu fait le pari audacieux de nous raconter la vie mouvementée d’un peintre en ne se concentrant que peu sur ses œuvres. En effet, bien qu’ils soient au cœur du récit, les travaux d’Hasegawa sont très peu représentés dans le manga, et l’auteur préfère se focaliser sur le cheminement philosophique et artistique qui a conduit le peintre au sommet de son art en revenant sur les temps forts de sa vie, de sa découverte des maîtres, au perfectionnement de son style unique. On recommande donc de découvrir l’album avec un moteur de recherche à portée de main, et de fréquemment aller sur Google Image pour découvrir les œuvres "en vrai", ou au moins de reproductions numériques. À cette fin, le volume nous réserve, en guise de préface, un index des œuvres reprises par l’auteur, de leur nom d’origine jusqu’aux lieux où elles sont aujourd’hui conservées.
Cette démarche, assez complémentaire à la lecture, si on souhaite tirer toute l’essence de l’ouvrage, est en soi un argument suffisant pour justifier l’intérêt du titre : on découvre un art dont on est assez peu familier en Europe avec ses codes, ses géants, ses écoles, et le Le Mandala de feu peut ainsi servir de vraie porte d’entrée à l’art pictural japonais.
Bien évidemment, un récit sur la vie d’un peintre se doit d’être porté par un trait irréprochable, et l’autrice Chie Shimomoto nous livre en la matière une partition impeccable. Sans parler de la fameuse planche du "peintre subjugué par le Bouddha", qui a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux lors de la campagne de promotion du manga, le livre nous réserve une galerie de magnifiques doubles pages pleines de poésie et de beauté rendant hommage à la vigueur des œuvres du maître, dont on dit qu’elles ont le pouvoir de véritablement transporter quiconque les observe.
En plus de ces moments de bravoure, Shimomoto propose un trait dynamique assez "shonen" dans ses codes, très précis et maîtrisé, et une narration rythmée qui sait retenir notre attention sans se perdre en circonvolutions. La recherche historique qui accompagne le développement de l’œuvre est en outre remarquable : une grande minutie est accordée dans la reproduction des architectures, costumes, outils de l’époque pour coller le plus fidèlement possible à la période.
Enfin, l’ouvrage est très soigné dans sa conception, depuis sa couverture percutante et explosive jusqu’à la qualité du papier. Le format, légèrement plus grand que la moyenne, permet en outre d’apprécier toute la puissance des planches.
Avec une entrée en matière aussi diverse et réussie, Mangetsu a parfaitement réussi son irruption dans les librairies. D’emblée, la maison d’édition a choisi d’adopter la direction de la diversité et de la profusion en ratissant auprès d’un très large public, avec des œuvres d’exception touchant à tous les registres. Ainsi, Le Mandala de Feu s’adresse aussi bien aux néophytes de l’art nippon qu’aux amateurs de mangas historiques et aux fans de mangas enflammés et bouillonnants de passion. Un véritable sans faute !
(par Jaime Bonkowski de Passos)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
"Le Mandala de Feu" - par Chie Shimomoto - Mangetsu - 02/06/2021 - 224 pages - 12.90€
Participez à la discussion