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"Le Mari de mon frère" et "Ikumen After" : deux mangas pour tous !

Par Aurélien Pigeat Guillaume Boutet le 28 octobre 2016                      Lien  
Alors que défilent à nouveau en France des bataillons de personnes réclamant des repères pour leurs enfants, on se dit que s'ils en réclament tant, et de manière si véhémente, c'est qu'ils doivent en manquer cruellement. Sur des sujets qu'ils esquissent autant qu'ils esquivent bien entendu. Du coup, focus sur deux titres qui en fournissent, justement, des repères, sur l'homosexualité, et en profitent pour délivrer une véritable leçon de savoir-vivre... ensemble !
"Le Mari de mon frère" et "Ikumen After" : deux mangas pour tous !

La France serait un pays ouvert, tolérant. Et les avancées sociétales réelles pour les communautés homosexuelles, comme en témoignerait la récente loi sur le mariage pour tous. Tout va très bien alors ? Difficile de le concevoir au vu des réactions que cette loi a pu susciter et de la manière dont ses opposants s’invitent encore aujourd’hui dans le débat public, avec un argumentaire et des postures qui frisent souvent ouvertement l’homophobie.

Difficile encore si, de l’autre côté, on admet que sur la question de la famille, de son modèle, la loi s’est en fin de compte montrée très timide, pour ne pas dire timorée. Ça coince manifestement dans une société qui, passée les discours, dans la pratique et l’expression, expose au grand jour les limites de sa tolérance.

À l’inverse, le Japon serait un pays réactionnaire, conservateur, et clairement homophobe. Peut-être, à vrai dire on n’en sait trop rien et l’on accueille là un cliché que la production manga permet toutefois rapidement de relativiser ou du moins mettre en perspective. Car la représentation de l’homosexualité dans le manga s’opère selon deux perspective distinctes, chacune assez codifiée, et toutes deux, au fondement de leurs démarches, militantes et cherchant à briser des tabous sociaux.

L’une de ces deux perspectives, Ikumen After publié chez Taifu Comics, se retrouve dans le genre du yaoi, auquel nous avions consacré un long article en 2013 : des amours homosexuelles masculines à destination d’un public féminin en quête d’émancipation.

L’autre de ces perspectives est celle du bara, des amours homosexuelles masculines à destination du public gay. Et l’auteur phare de ce courant, Gengoroh Tagame, que nous vous présentions dans l’article précité, décide justement de faire œuvre de pédagogie à travers un superbe série : Le Mari de mon frère, disponible chez Akata.

L’arrivée de Mike, et un Yaichi pour le moins agressif !
© Gengoroh Tagame 2014

Une leçon de savoir-vivre ensemble

Le manga s’ouvre sur le quotidien de Yaichi, jeune homme élevant seul sa fille, Kana, en élémentaire. Mais leur mode de vie bien réglé va se trouver bouleversé par l’irruption de Mike Flanagan. Un barbu canadien venu au Japon pour découvrir le pays de son défunt mari, frère jumeau de Yaichi !

Méfiance et préjugés seront les premiers réflexes de Yaichi face à cet intrus qui lui est, à tout point de vue, étranger. Mais les interventions et questionnements de Kana, dont l’innocence relève là davantage d’un bon sens naturel, amèneront notre héros à revoir son jugement et à interroger son propre comportement. Et nos trois personnages d’apprendre à vivre ensemble pour quelques temps.

Le temps des présentations
© Gengoroh Tagame 2014

Se manifestent là les évidentes qualités du Mari de mon frère. Il y a tout d’abord un talent, qu’on observe de manière privilégiée dans le manga - ne pensons qu’à Yotsuba & ! - pour peindre les enfants et leur faire endosser un rôle actif dans le discours tenu par le titre. C’est ici Kana qui démêle les sentiments contradictoires de son père et permet à la raison de se faire entendre. C’est tendre, mignon et surtout d’une véritable justesse.

Tout cela se met donc au service d’une intention didactique pertinente et même, serait-on tenté de dire, nécessaire. Il s’agit là de battre en brèche idées reçues et réflexes haineux concernant l’homosexualité. Leçon de tolérance, Le Mari de mon frère tente de nous sensibiliser au respect des différences et à l’acceptation des choix de vie qu’elles impliquent. Clairement militant, et soutenu par des développements informatifs entre les chapitres, ce titre s’engage à travers le récit d’une histoire touchante.

Le mariage homosexuel, source de discordes ! Habile mise en scène de Gengoroh Tagame concernant les réactions sur ce sujet
© Gengoroh Tagame 2014

C’est, qu’enfin, Le Mari de mon frère propose un premier trio de personnages très attachants. Entre la candide et craquante Kana, le confondant Mike et le mal à l’aise Yaichi, la dynamique s’avère excellente. Et derrière la situation tragique qui les réunit, et le combat militant, c’est un autre discours qui peut se faire entendre, en sourdine : celui de la parentalité dans les couples homosexuels.

Car c’est bien cela qui apparaît mis en scène symboliquement tout au long du tome 1, entre absence de la mère et mort du frère jumeau. Nous voyons là deux hommes parfaitement à même de s’occuper d’une petite fille qui ne s’offusque pas que soient assumées par des hommes des tâches "habituellement", ou culturellement, dévolues aux femmes, aux mères. Si le tome 2 change un peu la donne, cela ne modifie pas l’engagement dont a pu faire montre ce remarquable début de série. On aboutira même à un discours ouvert sur l’homoparentalité.

Yaichi, en papa poule
© Gengoroh Tagame 2014

Une romance presque banale

Du côté d’Ikumen After, la forme et le discours s’avèrent plus simples et directs. Récit complet en deux tomes, il s’agit d’une œuvre de Kazuma Kodaza, auteure largement publiée, chez Tonkam, et connue dans nos contrés des amateurs de Boy’s Love. Rappelons que si le Yaoi possède nécessairement un caractère sexuel, ce n’est pas le cas du Boy’s Love et Ikumen After appartient à ce dernier genre, tout public… tout du moins s’il est ouvert d’esprit et tolère les embrassades entre hommes.

Ce manga nous propose de suivre l’histoire de deux pères célibataires qui jonglent tant bien que mal entre leur travail et l’éducation de leurs très jeunes fils. Allant au même jardin d’enfants, les deux garçons sympathisent, amenant leurs pères à faire connaissance, surtout qu’ils se rencontrent tous les matins en conduisant en vélo tous les deux leurs garçons à l’école, ce qui leur donne l’occasion de se voir quotidiennement !

Rencontres matinales
© 2011 Kazuma Kodaka / LIBRE SHUPPAN

Nous sommes face à un récit classique du genre, avec deux figures assez bien identifiées du Boy’s Love : le seme et uke. Le premier assume son homosexualité et initie le second, encore vierge de ce type de relation et d’un tempérament moins viril que le premier.

Ainsi Asakura, jeune cadre un peu coincé, mais aussi naïf, veuf, élève son fils un peu comme une épreuve, de façon maladroite, en dépit de l’évidente affection qu’il lui porte. Kentarô, de son côté, élève, seul également, son fils que sa mère a abandonné à sa garde, peu intéressée par un tel « poids ». Bisexuel, vivant de petits boulots et bon cuisinier, Kentarô tombe immédiatement sous le charme d’Asakura, mais y a-t-il de l’espoir pour lui ?

A deux, cuisiner devient un plaisir
© 2011 Kazuma Kodaka / LIBRE SHUPPAN

Ici pas de discours militant, mais une jolie romance, bien écrite et bien dessinée, qui suit un déroulement et des étapes relativement classiques : le rapprochement par les enfants, l’entraide entre parents célibataires, les bons conseils de Kentarô et l’aide matérielle d’Asakura lorsqu’un drame vient frapper son ami. Le tout se termine par l’entrée en scène d’un rival pour Asakura qui va l’amener à franchir le pas et assumer ses sentiments…

Lesquels se développent petit à petit et jamais leur caractère « étrange » ne frappe Asakura, qui a pourtant été hétérosexuel jusqu’alors. Ainsi, si Le Mari de mon Frère se montre didactique et aborde frontalement la question du rapport de l’homosexualité à la société, Ikumen After, fait fi de la dimension polémique. La raison à cela tient au public cible, acquis à cette idée, et désireux surtout lire une romance homosexuelle, qui apparaît en fin de compte abordée ici comme n’importe quelle romance… Ce qui en soi peut être considéré comme un acte militant !

Le début d’une nouvelle vie ?
© 2011 Kazuma Kodaka / LIBRE SHUPPAN

Avec Ikumen After et Le Mari de mon frère, la production manga offre donc une représentation, aussi convaincante et pertinente que codifiée et militante, de l’homosexualité masculine. D’autant que dans les deux cas c’est même plus spécifiquement le motif de la parentalité qui se trouve investi. Salutaire en cette période où l’on entend malheureusement, à ce sujet, trop de discours ignorants, intolérants et rétrogrades. On ne saurait donc en recommander la lecture... à tous !

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(par Aurélien Pigeat)

(par Guillaume Boutet)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782369741541

Le Mari de mon frère T1. Par Gengoroh Tagame. Traduction Bruno Pham. Akata Éditions. Sortie le 8 septembre 2016 (tome 2 à paraître le 10 novembre 2016). 180 pages. 7,95 euros.

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Ikumen After T1 & T2. Par Kazuma Kodaka. Traduction Nicolas Pujol. Taifu Comics. Sortie le 15 juillet 2016 & le 8 septembre 2016. 160 pages & 178 pages. 8,99 euros.

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✏️ Gengoroh Tagame
 
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