La série Alef-Thau se décomposait en deux cycles : dans le premier de six tomes, un enfant-tronc grandit et traverse des épreuves rituelles pour gagner ses membres manquants. In fine, il conquiert la femme qu’il aime, et repeuple son monde. Le second cycle est un diptyque dans lequel le héros et sa belle se rebellent contre leur monde d’illusions et tente de gagner la réalité. Malgré le décès prématuré du dessinateur Arno, c’est Covial qui termine le conte, dans lequel Alef-Thau se réveille dans le corps d’Arno, le dessinateur d’Alef-Thau ! Une fable belle et surprenante qui donne une idée de l’immersion d’un auteur dans son travail.
L’année dernière, un troisième cycle fut entamé aux Humanos, le Monde d’Alef-Thau : mortellement touché dans un accident de la circulation, le dessinateur Arno se replonge dans le monde qu’il a créé, reprenant les traits de son héros à nouveau démembré et énucléé. Retrouvant une bonne part des personnages qu’il avait quitté à la fin du premier cycle, il se relance dans la quête de son ’identité’ globale tentant d’atteindre à Kon-Sien-Ziah, le temple de la Lumière, pour combattre le dieu de l’Ombre, In-Kon-Sian. Sous ces noms à peine déguisés, il s’agit bien entendu de la lutte de l’esprit contre le coma, et cette fable est idéalement enrichie par les interventions des proches du dessinateur, qui se relayent à son chevet.
À cause des soucis financiers qu’ils traînent depuis de longs mois maintenant, les Humanos ont du se séparer d’une partie de leur catalogue. Après que Bilal soit passé chez Casterman, c’est donc maintenant Delcourt qui rachète Alef-Thau, demandant sans doute de terminer ce troisième cycle dans le second tome aujourd’hui disponible. Une fois de plus, Jodorowsky joue sur les rituels (combattre sa peur, utiliser ses ennemis pour en faire des amis, s’abandonner à la bonté pour annihiler l’angoisse) et les symboles (l’eau, l’air, la terre et le feu) pour baliser le chemin d’Arno/Alef-Thau. Une porte de sortie est d’ailleurs idéalement placée en fin de volume pour un éventuel quatrième cycle.
En définitive, si ce diptyque ne se révèle pas incontournable, il rafraichit idéalement la série mythique d’Alef-Thau, tout en apportant une intéressante vision des soins prodigués aux malades plongés dans le coma. Sur cette lancée, Delcourt va en profiter pour rééediter en 2010 les huit premiers tomes d’Alef-Thau, une belle occasion de rattraper leur retard pour ceux qui ne connaîtraient cette très belle série qui révéla le talent d’Arno au milieu des années 1980.
(par Charles-Louis Detournay)
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