C’est une petite merveille de dessin virtuose et relâché dont la justesse et l’apparente facilité faisaient se morfondre d’envie les ébénistes du dessin de l’École de Bruxelles : Jacobs, Franquin et même Hergé. Un style de dessin qui a fait des émules, issu de l’École de Paris des années 1930 (Raoul Dufy, Chas Laborde, André Dignimont, Jean-Emile Laboureur,…) et auquel on pourrait affilier aujourd’hui des contemporains comme Blutch ou Sfar. Chez Georges Beuville, chaque case est un petit tableau parfaitement composé avec ses personnages éminemment typés et expressifs jetés d’un trait de plume virevoltant, parfaitement juste jusque dans l’abstraction.
Le travail éditorial de Philippe Capart est une fois de plus remarquable. L’éditeur-libraire de la Crypte tonique nous avait déjà épatés en faisant le sauvetage du premier Corentin de Paul Cuvelier en livrant au public un album de grand format reproduit à partir des originaux. Le travail est identique ici : à partir d’archives familiales et de dessins dispersés à Bruxelles dans les années 1970, Capart réussit à reproduire une bonne partie de l’album à partir des planches originales de l’artiste. Et quand celles-ci sont manquantes, un travail de restitution à partir des imprimés récupère la
qualité initiale du trait. Le résultat est enthousiasmant.
Une contextualisation historique un peu bancale.
L’ouvrage est accompagné d’un petit opuscule tentant de contextualiser cette publication déjà surannée dans les pages de l’hebdomadaire des 7 à 77 ans. Car, si l’on dépasse les interprétations péremptoires et quelque peu erronées de l’éditeur sur le contexte éditorial, en dépit d’un appareil de notes qui se veut étayé, force est de constater que cette production marque surtout un changement d’époque pour le Journal Tintin.
Le rédacteur en chef, André Fernez se rend compte de la difficulté de renouveler le contenu d’un journal dont le directeur artistique -Hergé- manœuvre pour qu’il soit racheté par Casterman et dont la présence, mais aussi celle d’Edgar P. Jacobs, s’amenuise d’année en année. Son éditeur Raymond Leblanc exhortera Jacques Martin à créer une série concurrente à Blake & Mortimer (la série Guy Lefranc) et n’hésitera pas à introduire de nouvelles signatures venues de Mickey (édition belge), de Spirou, de Petits Belges et d’Heroïc Albums : Raymond Macherot, Jean Graton, Liliane & fred Funcken, Raymond Reding, François Craenhals, Tibet… mais surtout André Franquin, Albert Uderzo et René Goscinny…) de même que des talents venus de Flandre (Willy Vandersteen, Bob De Moor, William Vance…) Rien à voir avec l’École de Bruxelles, en dépit des consignes répétées…
Par conséquent, la génération des artistes « old school » comme le Belge Jacques Laudy et les Français Étienne Le Rallic et Georges Beuville dont la technique de reproduction nécessitait une coûteuse sélection alors que le reste du journal commençait à être conçu systématiquement pour la méthode -aujourd’hui disparue- des « bleus de coloriage », cette école-là fera long feu. Il en est de même que le système de narration (le texte d’Eugène Sue défile sous les cases comme dans les Bécassine d’avant-guerre) en totale opposition avec les développements narratifs les plus modernes inspirés par la bande dessinée américaine contemporaine. Sic Transit Gloria Mundi.
Il reste ce bijou précieux, une référence dans l’histoire de la bande dessinée franco-belge.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
L’ouvrage est tiré en offset à 900 exemplaires et peut être obtenu contre 40€ + frais d’envoi
La Crypte tonique
16 galerie Bortier
1000 Bruxelles
Tel : +32 2 514 14 92
info@lacryptetonique.com
Le site de l’éditeur
Participez à la discussion