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Le Morne au diable – Par Georges Beuville, d’après Eugène Sue – La Crypte tonique

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 6 avril 2019                      Lien  
C’est un joli petit album à la fabrication soignée qui rend justice au grand illustrateur Georges Beuville (1902-1982) et à sa collaboration au Journal Tintin (édition belge), qui fut brève, en dépit de la sincère admiration que lui portaient quelques-uns des plus grands noms de l’Ecole belge.

C’est une petite merveille de dessin virtuose et relâché dont la justesse et l’apparente facilité faisaient se morfondre d’envie les ébénistes du dessin de l’École de Bruxelles : Jacobs, Franquin et même Hergé. Un style de dessin qui a fait des émules, issu de l’École de Paris des années 1930 (Raoul Dufy, Chas Laborde, André Dignimont, Jean-Emile Laboureur,…) et auquel on pourrait affilier aujourd’hui des contemporains comme Blutch ou Sfar. Chez Georges Beuville, chaque case est un petit tableau parfaitement composé avec ses personnages éminemment typés et expressifs jetés d’un trait de plume virevoltant, parfaitement juste jusque dans l’abstraction.

Le Morne au diable – Par Georges Beuville, d'après Eugène Sue – La Crypte tonique
Planche originale de Georges Beuville

Le travail éditorial de Philippe Capart est une fois de plus remarquable. L’éditeur-libraire de la Crypte tonique nous avait déjà épatés en faisant le sauvetage du premier Corentin de Paul Cuvelier en livrant au public un album de grand format reproduit à partir des originaux. Le travail est identique ici : à partir d’archives familiales et de dessins dispersés à Bruxelles dans les années 1970, Capart réussit à reproduire une bonne partie de l’album à partir des planches originales de l’artiste. Et quand celles-ci sont manquantes, un travail de restitution à partir des imprimés récupère la
qualité initiale du trait. Le résultat est enthousiasmant.

Une contextualisation historique un peu bancale.

L’ouvrage est accompagné d’un petit opuscule tentant de contextualiser cette publication déjà surannée dans les pages de l’hebdomadaire des 7 à 77 ans. Car, si l’on dépasse les interprétations péremptoires et quelque peu erronées de l’éditeur sur le contexte éditorial, en dépit d’un appareil de notes qui se veut étayé, force est de constater que cette production marque surtout un changement d’époque pour le Journal Tintin.

Le rédacteur en chef, André Fernez se rend compte de la difficulté de renouveler le contenu d’un journal dont le directeur artistique -Hergé- manœuvre pour qu’il soit racheté par Casterman et dont la présence, mais aussi celle d’Edgar P. Jacobs, s’amenuise d’année en année. Son éditeur Raymond Leblanc exhortera Jacques Martin à créer une série concurrente à Blake & Mortimer (la série Guy Lefranc) et n’hésitera pas à introduire de nouvelles signatures venues de Mickey (édition belge), de Spirou, de Petits Belges et d’Heroïc Albums  : Raymond Macherot, Jean Graton, Liliane & fred Funcken, Raymond Reding, François Craenhals, Tibet… mais surtout André Franquin, Albert Uderzo et René Goscinny…) de même que des talents venus de Flandre (Willy Vandersteen, Bob De Moor, William Vance…) Rien à voir avec l’École de Bruxelles, en dépit des consignes répétées…

Certains dessins confinent à l’abstraction

Par conséquent, la génération des artistes « old school » comme le Belge Jacques Laudy et les Français Étienne Le Rallic et Georges Beuville dont la technique de reproduction nécessitait une coûteuse sélection alors que le reste du journal commençait à être conçu systématiquement pour la méthode -aujourd’hui disparue- des « bleus de coloriage », cette école-là fera long feu. Il en est de même que le système de narration (le texte d’Eugène Sue défile sous les cases comme dans les Bécassine d’avant-guerre) en totale opposition avec les développements narratifs les plus modernes inspirés par la bande dessinée américaine contemporaine. Sic Transit Gloria Mundi.

Il reste ce bijou précieux, une référence dans l’histoire de la bande dessinée franco-belge.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Code EAN :

L’ouvrage est tiré en offset à 900 exemplaires et peut être obtenu contre 40€ + frais d’envoi
La Crypte tonique
16 galerie Bortier
1000 Bruxelles
Tel : +32 2 514 14 92
info@lacryptetonique.com
Le site de l’éditeur

 
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6 Messages :
  • "Car, si l’on dépasse les interprétations péremptoires et quelque peu erronées de l’éditeur sur le contexte éditorial, en dépit d’un appareil de notes qui se veut étayé…".

    Je ne vois pas d’inconvénients à ce qu’on dépasse ces interprétations présentées comme "péremptoires" ( qui ne sont pas signalées ) mais je ne vois pas ce que le journal de 1952-55, détaillé dans la suite de l’article, vient faire avec celui de 1948-50 ? Des notes, des détails et des éclaircissements pondérées sont les bienvenus cher Didier ! Philippe Capart.

    (La Crypte Tonique sera présente au Shopping de Woluwe-St-Pierre le 19 mai 2019 où le reste du temps au 16 de la Galerie Bortier au centre de Bruxelles (www.lacryptetonique.com)).

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 7 avril 2019 à  13:25 :

      Cher Philippe,

      Je suis un peu étonné de cet appel à la pondération de la part de quelqu’un qui, sur sa page Facebook, considère qu’ActuaBD se contente de reproduire les communiqués de presse. Apparemment, on dirait que nous sommes aussi capables d’émettre un avis critique.

      Je persiste à affirmer que ta contextualisation historique est erronée. Ton séquençage fallacieux (1948-1950) n’y changera rien, car tu oublies qu’il correspond précisément à l’arrivée du Journal Tintin sur le sol français et suisse (grâce à Georges Dargaud qui apparaît pour la première fois dans le paysage), ce qui a un impact sur la politique éditoriale.

      La façon en particulier dont tu décris l’intervention d’André Fernez -qui reste en place jusqu’en 1959- en el faisant passer pour un inculte est même proprement dégueulasse.

      Ce n’est pas en accumulant quelques références pour "faire historien" sur la base de documents que tu ne communiques pas et qui restent sous le coude que l’on constitue une vérité, surtout quand il s’agit de mettre en valeur une œuvre dans un plaidoyer pro domo d’éditeur, ce que je peux éventuellement comprendre.

      Cette chronique se destinant à évoquer cette publication et le génie incontestable de Georges Beuville, je n’allais pas faire cinquante lignes de réfutation d’un texte truffé d’approximations. Ce n’était pas le sujet.

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      • Répondu par Ph.Capart le 7 avril 2019 à  17:04 :

        Cher Didier,
        Je n’ai jamais dit qu’ACTUABD était du copier coller, lis moi convenablement. Et si tu lis convenablement mon petit opuscule, tu verra que l’arrivée de TINTIN sur le marché français fait la première page de celui-ci et explique l’arrivée de BEUVILLE et TRUBERT (et la question de Leblanc à Jacques Martin "à propos, êtes-vous de nationalité française ?" voir catalogue ALIX, expo du CNBDI). Je n’ai aucune source secrète sous le coude et toutes mes informations sont (lourdement selon toi) annotées. L’anecdote dégueulasse que tu cites vient d’Hergé qui considérait Fernez comme l’ennemi public N°1 du journal. Ce n’est pas moi, ce sont des disputes qui viennent du fond de l’histoire. Pas celle avec un grand H qui m’est, selon toi, étrangère, mais la petite. J’attends avec plaisir "tes cinquante lignes de réfutation d’un texte truffé d’approximations." Sinon tu fais le choix des armes !
        Philippe.

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        • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 7 avril 2019 à  18:38 :

          Cher Philippe,

          Je n’ai jamais dit qu’ACTUABD était du copier coller, lis moi convenablement.

          Je t’ai bien lu et oui, tu l’as écrit. Mais on ne va pas ennuyer nos lecteurs avec cette question personnelle.

          Et si tu lis convenablement mon petit opuscule, tu verra que l’arrivée de TINTIN sur le marché français fait la première page de celui-ci et explique l’arrivée de BEUVILLE et TRUBERT (et la question de Leblanc à Jacques Martin "à propos, êtes-vous de nationalité française ?" voir catalogue ALIX, expo du CNBDI).

          Bravo pour le procès d’intention. Il se fait que j’ai bien connu Jean Trubert et que je suis un des coauteurs du catalogue réalisé par le FIBD sur Jacques Martin. Ce ne sont pas les faits que je mets en cause, ce sont les interprétations.

          L’anecdote dégueulasse que tu cites vient d’Hergé qui considérait Fernez comme l’ennemi public N°1 du journal. Ce n’est pas moi, ce sont des disputes qui viennent du fond de l’histoire. Pas celle avec un grand H qui m’est, selon toi, étrangère, mais la petite.

          Un minimum d’esprit critique aurait permis de contextualiser l’attitude d’Hergé, qui veut prendre le pouvoir, alors que Leblanc fait alliance avec le groupe Periodica/Standaard juste à ce moment (on parle bien de 1948-1950), Van Melkebeke faisant un transfert dans ce groupe alors que le secrétaire particulier de son patron Jack/Joseph De Kezel devient directeur commercial de la maison. Ceci n’est pas expliqué dans ton texte.

          Alors que ta thèse (je renvoie les lecteurs qui ont acheté le livre à la fin de l’opuscule) se résume par cette conclusion, je te cite : "La rédaction, via son secrétaire, va dicter sa ligne aux dessinateurs et reposer paresseusement sur pilotage automatique. Au-delà de l’objectif affiché de lisibilité, cette sacro-sainte LIGNE CLAIRE ne cacherait-elle pas, plus prosaïquement, une normalisation éditoriale ?"

          En réalité, la rédaction fait ce qu’elle peut avec un Hergé (et un Jacobs) de plus en plus aux abonnés absents. Leblanc va faire en sorte que la relève arrive. Son rédacteur en chef, André Fernez, recrutera en 1956 un certain René Goscinny encore peu connu qui vient de se faire virer de la World Press pour fournir des scénarios à cette nouvelle génération. Aucune normalisation là-dedans. Elle interviendra lorsque le marché des albums se structurera quelques années plus tard. C’est d’ailleurs une des pommes de discorde entre le Lombard et Hergé/Casterman.

          Outre que la notion de Ligne Claire n’interviendra que beaucoup plus tard (1977), de même que celle d’École de Bruxelles (sans doute 1969), cette thèse est bancale. Et le pauvre Beuville n’a rien à voir avec tout cela.

          Je renvoie les lecteurs aux ouvrages de Patrick Gaumer (Histoire du Journal Tintin, Le Lombard) et de Philippe Goddin (Hergé : Lignes de vie, Moulinsart) bien documentés sur ces sujets.

          J’attends avec plaisir "tes cinquante lignes de réfutation d’un texte truffé d’approximations." Sinon tu fais le choix des armes !

          Je ne cherche pas le duel. Quant aux 50 lignes que tu attends, cela risque de durer. J’ai mes œuvres... Je t’ai peut-être vexé, mais je suis au service des lecteurs d’ActuaBD qui sont ainsi prévenus qu’un bon éditeur ne fait pas toujours un bon historien.

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          • Répondu par Ph.Capart le 8 avril 2019 à  09:54 :

            (Dans ACTUABD) "La frontière entre articles et publireportages ou communiqués étaient déjà bien fine !" voilà ce que je disais sur le mur facebook de Frédéric Hojlo. Et non du copier-coller. Et je n’ai pas parlé des comptes personnels que tu règles par articles "neutres" interposés. Tu viens avec l’engagement de Goscinny qui est en 1956 ! je parle du passage de Beuville en 1949-50. La direction du journal était encore bien à Bruxelles (ce que dont les courriers avec Beuville témoignent). André Fernez était bien dans le collimateur d’Hergé pour des raisons éditoriales et graphiques. Quand à la "ligne claire", je précise que c’est une définition tardive mais qui revient bien sur ces codes aux lignes fermées et qui met sur le côté les artistes à touches, les peintres (Laudy, Beuville, Cuvelier) pour favoriser les graphistes ou les dessinateurs à codes. Mais bon, je te laisse à ton œuvre de polémiste !

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          • Répondu le 14 avril 2019 à  10:35 :

            Mais vous, Monsieur Pasamonik, vous considérez-vous comme historien ? Vous n’avez aucune formation universitaire et vous n’êtes pas passé par l’ENS. Un historien de la bande dessinée, ça existe vraiment ou sont-ce seulement des bédéphiles, des autodidactes qui se sont auto-proclamés spécialistes et scientifiques ? Sans formation, où est la rigueur de la démarche scientifique ?

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