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Le Musée Hergé célèbre les 100 ans de Raymond Leblanc

Par Charles-Louis Detournay le 9 juin 2015                      Lien  
Si Moulinsart est actuellement dans la tourmente, ses démêlés judiciaires ne doivent pas occulter d'autres heureuses initiatives, comme une belle exposition consacrée au "Journal Tintin" et plus spécifiquement à son fondateur emblématique, Raymond Leblanc. C'est également l'occasion de s'intéresser à la création de "Presse en stock", un forum mais surtout une base de données qui veut rassembler toutes les utilisations de l'œuvre d'Hergé.

Bien que de caractères assez différents, Hergé et Raymond Leblanc partageaient bien des choses, dont l’amour de la bande dessinée, ainsi que leur date d’anniversaire : le 22 mai. Malgré quelques dissensions entre Moulinsart et les Editions du Lombard après la mort d’Hergé, l’exposition temporaire qui s’est ouverte ce 22 mai 2015 fait donc table rase de ses écueils pour se concentrer sur une progression unique en bande dessinée.

Une exposition consacrée à Raymond Leblanc

Le Musée Hergé célèbre les 100 ans de Raymond LeblancL’éditeur du Lombard aurait cent ans ce 22 mai dernier. Vu le charisme de l’homme et l’importance de son travail dans le milieu de la bande dessinée, il aurait été triste de ne pas lui consacrer un événement à la hauteur de son talent de visionnaire. C’est donc le Musée Hergé qui s’est proposé pour réaliser et accueillir cet hommage à un grand monsieur de la bande dessinée.

Dès l’entrée, une photo d’Hergé et Raymond Leblanc rappelle le lien qui unissait les deux hommes. Et un peu plus loin, une autre photo apportée par sa fille Natacha Leblanc prouve l’engagement militaire du futur éditeur du Lombard pendant la Seconde Guerre Mondiale. Une position qui lui permit d’ailleurs de demander le fameux certificat de civisme permettant à Hergé de reprendre le travail fin 1946.

Entre ses deux témoignages photographiques, trône la couverture du premier numéro du Journal Tintin, impérial ! Il est encadré par des exemplaires de l’époque, ouverts aux différentes pages, et dans les deux langues du pays, afin de prouver quelle richesse proposait déjà ce numéro historique.

Le bureau reconstitué de Raymond Leblanc

Après cette introduction, un grand panneau rappelle quel homme était Raymond Leblanc, quel fut son parcours, ses idées et ses concrétisations. Si des vitrines présentent bien entendu des numéros du journal, on va surtout y retrouver les témoignages des idées novatrices de Leblanc : tout le merchandising autour des points Tintin (figurines, jeux, publicités, etc.), les rassemblements de jeunes, le magasin Rue du Lombard, la création du journal Line avec un dessin agrandie de Tintin prônant les droits des femmes, etc. Télévision et écran de projection permettent également de (re)découvrir un reportage consacrée à l’éditeur, ainsi qu’un film réalisé par sa société Belvision : Tintin et le Temple du Soleil.

Si les enfants pourront regarder le rythme, le mouvement et les couleurs de ce film, les parents pénétreront certainement dans l’espace central, une reconstitution du bureau de Raymond Leblanc. Même s’il n’a pas les dimensions de l’original ("Une fois la porte fermée, il fallait marcher un long moment pendant que M Leblanc vous attendait au fond, toujours assis à son bureau", témoigne Viviane Vandeninden), il flotte dans cette pièce un parfum de magie et de nostalgie d’une époque révolue.

Sur l’authentique bureau de l’éditeur-businessman, on retrouve des copies de documents "historiques" : le dessin réalisé par Hergé en son honneur et dont l’original fut vendu 180.000 € lors de la récente vente Artcurial, une lettre d’Hergé qui témoigne de moments plus houleux, une photo avec les premiers collaborateurs, ainsi qu’une superbe maquette représentant l’immeuble du Lombard. Toute une époque, que nous décrit Paulette Smets, qui fut employée chez Belvision dès 1963 :

Paullette Smets

"Raymond Leblanc était un entrepreneur, qui se mettait en danger car il avait constamment de nouvelles idées. Quand il se lançait, tout le monde trouvait qu’il était un peu fou, car il expérimentait des projets novateurs. En réel manager, il s’inspirait beaucoup des américains, par ses voyages ou ses livres. Par exemple, à ses cadres, il avait offert pour un ouvrage pour se tenir en bonne santé, afin qu’ils le lisent et le pratiquent. Lui qui était toujours en forme et en alerte, il voulait que les directeurs le soient encore. C’était un manager dans l’esprit américain."

"Le meilleur exemple est certainement Belvision, son chouchou !, continue Mme Smets. En Europe, personne n’était parvenu à monter des longs métrages, mais lui y est arrivé à force de ténacité. Entre deux films, en plein chômage technique, il tenait à garder toutes ses employées, et il les payait à ne rien faire. Et il se démenait alors pour ramener de nouveaux projets ; il s’impliquait dans tout ce qu’il entreprenait . Raymond Leblanc faisait confiance à ses employés, mais sa capacité de travailler très rapidement lui permettait de tout superviser. Sans être un artiste, il avait l’œil pour distinguer ce qui allait plaire au public. Il a d’ailleurs été le premier à placer des personnages de bande dessinée pour réaliser de la publicité ! Il avait énormément de force, et il adorait parler avec des jeunes pour tirer des projets. Comme la boîte à idées qu’il avait placé au Lombard : il rétribuait mensuellement la personne qui avait eu la meilleure proposition, qu’on la mette en pratique ou pas. il ne voulait pas rester dans la routine et désirait constamment apporter des nouveautés !"

Raymond Leblanc, sur le toit du Lombard, sous l’enseigne lumineuse qu’il a imaginée

Deux ouvrages pour se restituer l’ambiance de l’époque

Si vous n’avez l’occasion d’aller visiter cette exposition avant le 31 juillet, la lecture des "mémoires" de Raymond Leblanc vous permettra de découvrir des détails intéressants ou édifiants concernant la personnalité de l’éditeur et les quarante années qu’il passa à créer et diriger le Lombard. Jacques Pessis, l’auteur du livre, nous explique dans quelles conditions il fut réalisé :

Jacques Pessis

"En 2005, Raymond Leblanc cherchait un rédacteur pour écrire ses mémoires, et m’a contacté. J’ai donc eu l’occasion d’avoir un entretien privé avec lui tous les mardis pendant des semaines. De ses 89 ans, j’ai compris comment il travaillait et il avait réussi tout son parcours : son élégance vestimentaire, sa prestance, le raffinement du verbe, énormément de travail et une intelligence prodigieuse . Il me racontait sa vie comme s’il la revivait, sans aucune note devant lui. A chaque fois que je lui renvoyais les pages réalisées, j’étais étonné de voir avec quelles vitesse et précision il apportait ses corrections. Je n’étais finalement que le metteur en scène de ses propres mémoires, telles qu’il les a voulues."

Impossible de ne pas évoquer les moments forts des rivalités avec les autres magazines, tels que Spirou ou Pilote. Selon Jacques Pessis, lorsque Franquin est passé au Lombard, Charles Dupuis a dit à Raymond Leblanc : "Je préfère qu’il soit chez vous qu’ailleurs !" Et lorsque Goscinny vient lui proposer de reprendre l’équipe de Pilote et l’intégrer au Journal Tintin, Leblanc refuse poliment, incapable de trahir Georges Dargaud. "Raymond Leblanc avait une vision humaine, explique Pessis. C’était un honnête homme. Il voulait juste proposer un divertissement de qualité après les années difficiles."

Le Merchandising sous l’implusion de Raymond Leblanc
La nouvelle édition "augmentée"

"A chaque fois que j’ai vu Raymond Leblanc, continue Pessis, Il me parlait d’Hergé : il avait une admiration et un respect exceptionnels envers lui. Mais Leblanc était aussi et surtout un précurseur : il avait inventé le marketing avant la lettre ; les albums cartonnés alors que personne n’y croyait ; les points Tintin avec le merchandising qui les accompagnait ; le Tintin qui tournait sur le toit du Lombard, etc. Puis après avoir travaillé avec Hergé pendant quarante ans, cette exposition au Musée Hergé célèbre les retrouvailles de deux personnages éternels. Selon moi, sans ces deux grands hommes, la bande dessinée n’aurait pas existé. Leblanc était un génie de l’ombre : il n’y avait pas son nom en première page du journal, mais il l’a géré comme personne n’aurait pu le faire, en vrai manager qui s’est toujours adapté à l’air du temps."

Pour prolonger l’immersion dans cette époque, Dargaud vient de publier une nouvelle édition des Aventures d’Hergé, réalisé par Bocquet, Fromental & Stanislas. Nous vous avions déjà fait l’article de cette biographie en bande dessinée. Cette nouvelle version comprend une vingtaine de pages complémentaires proposant en noir et blanc les différentes couvertures, des pages de gardes, des dessins pour des boîtes de figurines, des ex-libris, des affiches et différentes illustrations.

La rencontre entre Hergé et Raymond Leblanc, selon Fromental, Bocquet & Stanislas (Dargaud).

"Presse en stock" : une nouvelle base de donnée

Terminons ce tour d’horizon, avec la création d’un nouvel outil pour les passionnés d’Hergé, et créé par des chercheurs universitaires belges et français. "Le portail « Presse en Stock » veut favoriser la rencontre virtuelle des lecteurs, nombreux, amateurs ou passionnés avec les héros mis en scène par Hergé, nous explique Jean-Louis Tilleuil, chercheur à l’UCL. Chacun pourra exprimer ses points de vue sur l’œuvre de Hergé, par l’échange d’informations sur celle-ci, de commentaires ou d’analyses fouillées. Mais ce portail a un second objectif. Il vous invite à participer à l’alimentation d’une base de données qui vise à rassembler toutes les informations, faites de texte et/ou d’image, qui ont été diffusées dans la presse écrite francophone (1960-aujourd’hui) et qui s’appuient sur l’œuvre de Hergé pour « voir » le monde et/ou en « parler ». En d’autres mots, il s’agit d’observer comment les aventures des héros hergéens nourrissent l’imaginaire de ce média et, au-delà, contribuent à alimenter notre imaginaire collectif."

Cette base de données vient d’être inaugurée, et compte déjà toute une série d’articles et de coupures de presse qui ont donc utilisé à un moment ou l’autre l’imaginaire d’Hergé pour illustrer une certaine vision du monde.

La page d’accueil de "Presse en Stock"

Cette heureuse initiative permettrait de recenser de perles d’humour ou de témoignages qui dorment, oubliés de la majorité des lecteurs. Mais comme ce nouveau portait bénéficie du soutien (incontournable) de Moulinsart, nous demandons si cet outil ne permettra pas à la société qui gère les droits d’Hergé de traquer toutes les fraudeurs en herbe. Jean-Louis Tilleuil nous assure que ce n’est pas du tout l’esprit du partenariat. Puis il nous glisse à mot couvert que la politique de Moulinsart pourrait prochainement changer à ce propos. S’il avait pu imaginer à quel point ?!

Propos recueillis par Charles-Louis Detournay

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Jusqu’au 31 juillet 2015, l’exposition "Hommage à Raymond Leblanc, fondateur du Journal Tintin", au Musée Hergé, Rue du Labrador, 26 1348 Louvain-la-Neuve (Belgique)
T. + 32 10 48 84 21
www.museeherge.com

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Toutes les photos sont CL Detournay, sauf la photo en médaillon : JJ Procureur.

 
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