Écrivant au père Édouard Neut, Hergé parle de sa découverte de la culture chinoise grâce à Tchang, un jeune étudiant aux Beaux Arts de Bruxelles qui a exactement son âge : « C’est très très intéressant, aussi bien par la forme qui rappelle celle d’un poème, d’un chant, que par les aperçus qu’il donne sur la famille chinoise. Tout cela, joint à la collaboration de M. Chang, me permettra sans doute d’éviter beaucoup d’erreurs ou de maladresses de nature à blesser ou à indisposer les Chinois vivant en Belgique. Je pense surtout aux étudiants qui –Monsieur l’abbé Gosset, de Louvain, m’en a averti dès l’annonce du voyage de Tintin en Chine- sont souvent choqués par la façon superficielle, ironique et en tout cas incompréhensive dont on parle de ce pays… »
C’est le premier effet de Tchang sur l’œuvre d’Hergé : il prend conscience de l’extraordinaire pouvoir de la bande dessinée, du média qu’elle constitue : « Depuis quelques temps déjà, en préparant mes histoires, j’ai été étonné de constater les idées fausses que j’avais, et que les lectures m’ont fait réviser. Je me découvre ainsi, petit à petit, une réelle sympathie et une réelle admiration pour ce peuple, et un vif désir de le comprendre et de l’aimer. »
La missive date du 16 mai 1934. Tchang est déjà un artiste accompli, ayant fait de longues études artistiques, maître de son art. Il était venu à Bruxelles se perfectionner sur les conseils de sa tante. Né dans un milieu catholique à Shanghaï, il a 27 ans, le même âge qu’Hergé, quant à lui parfait autodidacte. Autant dire que l’auteur de Tintin est subjugué. Il trouve rapidement tout le parti qu’il peut tirer des conseils du jeune Chinois : cela fera de lui le chef de file de la bande dessinée franco-belge.
Le Chinois s’éclipse, la guerre les sépare. On sait avec quelle émotion il se retrouveront cinquante ans plus tard. Cet artiste extrêmement talentueux qui avait calligraphié à même les planches d’Hergé les symboles chinois dans Le Lotus bleu et sculpté l’une des statues qui décore la façade du Palais du Heyzel à Bruxelles et qui était retourné dans son pays vivant parfois des heures difficiles, notamment lors de la Révolution Culturelle, méritait que son œuvre soit confrontée au maître de Bruxelles.
Cette confrontation-là, absolument merveilleuse, le Musée Hergé la propose à ses visiteurs jusque mi-février 2010. Ceux qui en ont l’occasion pourront aussi admirer le buste d’Hergé par Tchang, haut d’1m20, qui se situe à Angoulême dans la rue qui porte le nom du Bruxellois.
Les deux artistes ont disparu, mais ils continuent à dialoguer ensemble. On les écoute volontiers dans le recueillement.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Jusqu’au 14.02.2010
Hergé Museum
Rue du Labrador 26
B-1348 Louvain-la-Neuve
Ma › di 10:00 - 18:00
Fermé les 25.12.2009 et 1er janvier 2010.
Le site du musée
Participez à la discussion