Il fait comme les autres, Jean. Il perruque. En clair, il vole des pièces dans les ateliers pour se fabriquer des babioles à domicile. Cela se passe à Saint-Etienne, à la Manufacture des armes, plus grande usine du genre en France. On y construit aussi des vélos d’ailleurs.
Chaque jour, le rituel recommence, entre la pointeuse des matins froids et les discussions sur les mérites respectifs du fusil machin et du char truc. On y débine les chefs d’atelier et, parfois même, on désespère de constater qu’on fabrique à la fois des armes lourdes en même temps que leur parade au combat. Absurde non ?
Tout est gris, ou noir, dans les pages impressionnantes de Baptiste Deyrail, lui-même issu de la région stéphanoise. Avec une grande précision, il tire les fils d’une intrigue à laquelle seule la conclusion donne un peu d’air. Pour cela, il utilise la technique du monotype sur zinc, une forme de gravure qui donne du poids aux couleurs sombres, et de l’épaisseur aux scènes. On naviguerait presque entre néo-réalisme et cinéma expressionniste allemand. Il en ressort une atmosphère souvent oppressante mais aussi pas mal de poésie, surtout dans les paysages de nuit.
Avec sa forme singulière et ce noir et blanc affirmé, Le Pas de la Manu (en jargon stéphanois, cela veut dire "sans se presser") dévoile un pan d’histoire industrielle de la France en rendant hommage également à ces ouvriers qualifiés dont la mémoire s’est dissoute dans les brumes des anciennes mines de charbon.
(par David TAUGIS)
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