Rimini, attirante cité balnéaire de l’Adriatique, très fréquentée par les touristes italiens ou étrangers durant la période estivale, sert d’écrin depuis 26 ans au Festival international du Cinéma d’Animation et de la Bande dessinée (Fumetto) Cartoon Club.
Il s’est tenu cette année du 8 au 31 juillet. Durant cette période, cet événement orchestré avec maestria par la charismatique Sabrina Zanetti, sa directrice artistique, a combiné avec brio, selon ses vœux, culture et divertissement.
Un festival dynamique, culturel et populaire
De nombreux endroits de la ville sont alors mis à contribution. Lieux prestigieux et monuments historiques, voire centre commercial ou aéroport international Federico Fellini accueillaient cette année des spectacles ou de très diverses et intéressantes expositions BD.
Ces dernières mettaient à l’honneur le 60e anniversaire des Peanuts de Charles Schulz, le roman graphique, d’Hugo Pratt en passant par Frank Miller, les 20 ans de la publication du manga Les Chevaliers du Zodiaque (Saint Seiya) en Italie, Cubana de Guido Fuga et Lele Vianello, la bande dessinée d’aviation au travers de planches de Stefano Babini, Paolo Cossi, de nouveau l’auteur de Corto Maltese et Guido Fuga, etc.
Des récompenses sont attribuées, comme le Prix du meilleur album de fumetti, les bandes dessinées italiennes.
Pourtant organisé dans un pôle touristique couru, l’accès gratuit à la plupart des manifestations de ce festival contribue à renforcer son aspect populaire. En outre, il s’étend même à toute la région de Rimini, l’Émilie-Romagne : avec, par exemple, une autre exposition dédiée aux personnages d’Hugo Pratt, de Stefano Babini, dans sa ville d’origine de Lugo di Romagna (près de Ravenne).
Pour sa partie animation, il ne se révèle pas moins pertinent, ayant tissé des liens avec tout ce que compte l’Italie et l’Europe comme festivals homologues et instances agissantes en ce domaine. Il met, entre autres, l’accent sur les courts-métrages de la jeune création, en décernant le prix Signor Rossi, baptisé d’après un personnage de Bruno Bozzetto.
Le jury réuni cette année provenait de la fine fleur des représentants du secteur de l’animation en Italie, Finlande, France, Pologne et République tchèque. Les œuvres sélectionnées démontraient l’étendue de la palette et de la vigueur des productions européennes qui, si elles étaient encore plus valorisées, pourraient damer le pion aux maîtres japonais. Pour preuves, certains courts, recourant à différentes techniques, visionnés avec les membres du jury. Citons, par exemple, d’épatants petits films finlandais ou le poétique et graphiquement très séduisant Lebensader (La Feuille de la vie, 2009) de l’Allemande Angela Steffen. Mais, pour les fans de BD ou pour ses auteurs invités, le moment fort fut ce « Pratt Day ».
Pratt et Fellini, enfants du pays
Quoi de plus naturel qu’Hugo Pratt soit fêté à Rimini puisque, si celui-ci s’enorgueillissait avant tout d’être Vénitien, il était néanmoins né sans prévenir sur une des magnifiques plages des environs, lors de vacances parentales, en 1927. En somme, un peu malgré lui enfant du pays, le père de Corto Maltese constitue l’autre gloire locale de Rimini, avec Federico Fellini. Ce dernier, originaire de l’endroit, mis à l’honneur dans certains de ses films, tâta d’ailleurs du scénario de BD dans sa jeunesse.
Car, comme nous le rappela en son temps judicieusement Francis Lacassin, le futur cinéaste poursuivit un moment à la sauce transalpine les aventures de Flash Gordon, en duo avec un dessinateur portant un nom de famille identique à celui du grand Sergio Toppi !
Il y fut amené par l’interdiction mussolinienne des comics (1938), consécutive à la dégradation des relations italo-américaines, envenimées par la guerre d’Abyssinie (auj. Éthiopie), autre contrée d’élection pour Hugo Pratt, cadre de son adolescence…
Le « Pratt Day »
Cependant, c’est donc sur le « Maestro » que se focalisa l’attention ce samedi 24 juillet, sous la grande structure en toile du Riminicomix. Elle était située, comme il se doit, Piazzale Federico Fellini, en centre-ville et presque en bord de mer. Les échanges fructueux qui s’y concentraient entre éditeurs, libraires et amateurs de fumetti s’y sont quasiment interrompus quelques heures. Tandis que l’auditorium aménagé là a fait salle comble.
Le plateau des auteurs réunis ce jour pour un débat, animé par Egisto Quinti Seriacopi, lui-même éditeur BD et membre-organisateur du festival du Cartoon Club, comptait dans ses rangs la chaleureuse « garde rapprochée » des fidèles amis et disciples vénitiens d’Hugo Pratt : Stelio Fenzo, Guido Fuga et Lele Vianello. Elle était renforcée par l’appui du non moins sympathique Stefano Babini, autre élève du père du marin à la boucle d’oreille, venu en voisin depuis Lugo. Les critiques BD Gianni Brunoro, auteur du livre Corto comme un roman (Casterman) et Salvatore Oliva, collaborateur de la remarquable revue Fumo di China, prêtèrent également leurs concours. Le rédacteur de ces lignes était invité en leur compagnie à parler notamment de son ouvrage Hugo Pratt ou le sens de la fable (Belin). Bien que non encore traduit en italien, celui-ci semble susciter déjà un vif intérêt dans la Péninsule.
Chacun y est allé de ses anecdotes et de ses souvenirs concernant les contacts personnels entretenus avec le « Maestro » ou à propos de son travail et de son œuvre, visiblement pour le plus grand plaisir de l’assistance.
Coulisses du « Pratt Day »
Le débat de l’après-midi à l’auditorium du Riminicomix avait été précédé d’un repas extrêmement convivial. Organisé pour les auteurs invités, dans un de ces restaurants de cachet nichés dans les collines, entre Rimini et Saint-Marin, il réunissait les intervenants et leurs compagnes. Parmi elles, Loredana, l’épouse scénariste BD du dessinateur vénitien Stelio Fenzo peut à juste titre être également considérée comme une héritière d’Hugo Pratt, qui lui prodigua ses conseils en ce domaine.
La journée s’est ensuite conclue en apothéose, le soir venu, par une performance graphique (performance di fumetti) à laquelle se livrèrent Stefano Babini et Lele Vianello. Celle-ci détourna même un moment de leur passion première les adeptes les plus mordus de la 6th Cosplay Convention, qui se tenait à répétition sur une grande scène proche !
En référence à son récit relaté dans l’après-midi, lors du débat, d’un voyage de recherche documentaire effectué en 1991, en Afrique du Sud, pour le compte d’Hugo Pratt, le disciple vénitien du « Maestro » dessina en effet un guerrier zoulou. Ce farouche sicaire semblait tout droit issu des régiments (impi) des rois Shaka ou Cetshwayo.
Son irruption sur la toile nous rappela que, malheureusement, la continuation de la série Cato Zoulou est demeurée inédite après la mort du grand auteur italien en 1995.
Néanmoins, cette mémorable journée de commémoration a entretenu son souvenir bien vivace. Certains parmi ceux qui ont à cœur de perpétuer ce dernier n’ayant pas ménagé leurs efforts pour rendre sa flamme immarcescible.
(par Florian Rubis)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Remerciements à Sabrina Zanetti, Egisto Quinti Seriacopi, Valentina Semprini, Carla Monti, Roberto Sardo et à toute l’équipe du Cartoon Club.
En médaillon : affiche du « Pratt Day » © Stefano Babini, 2010.
Sur le Festival de Rimini/Cartoon Club et ses prix (en italien et en anglais)
Sur le « Pratt Day » (en anglais)
Le dernier livre de Stefano Babini, sur archivespratt.com (en français)
Visiter le site de son éditeur Dada Editore (en italien)
Visiter le site officiel de Lele Vianello (en italien)
Lectures pour aller plus loin :
Corto comme un roman – Par Gianni Brunoro – Casterman - 303 pages, 27 euros
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Hugo Pratt ou le sens de la fable – Par Florian Rubis – Belin - 366 pages, 23 euros
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