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Le Printemps des Quais - Par Pascal Génot, Bruno Pradelle et Olivier Thomas - Quadrants

Par Vincent GAUTHIER le 4 mars 2014                      Lien  
Paul Carpita, cinéaste engagé et militant, a vécu et tourné pour décrire les combats de son époque. Censuré par le pouvoir en place, il eut une reconnaissance tardive après plus d'un quart de siècle d'oubli.

Entre documentaire et fiction, Pascal Génot, Bruno Pradelle et Olivier Thomas nous livrent un portrait du réalisateur Paul Carpita. À l’image de son film fétiche, le Rendez-Vous des quais, aux frontières des deux genres, le trio, qui a déjà collaboré sur la trilogie Sans Pitié sortie entre 2005 et 2008, conjugue son talent pour narrer la destinée de l’œuvre maîtresse de la cinématographie militante marseillaise.

Censuré pendant trente-cinq ans, ce film de Séraphin Carpita dit Paul, son nom de résistant, fut interdit dès sa sortie pour n’être redécouvert par le grand public que dans les années 1980.

Après la saisie des bobines en 1955 et leur oubli total durant deux décennies, il deviendra à la faveur d’une projection à la Cinémathèque française sous l’égide de Jean Rouch, lors des commémorations du bicentenaire de la Révolution française, le chaînon manquant entre le néoréalisme de Jean Renoir et la Nouvelle Vague de Godard et Truffaut.

Le Printemps des Quais - Par Pascal Génot, Bruno Pradelle et Olivier Thomas - Quadrants
Le Printemps des Quais
Pascal Génot, Bruno Pradelle et Olivier Thomas - Quadrants ©

Œuvre collective mêlant des images documentaires et des scènes de fiction, le film met en scène un jeune couple, Robert, un jeune docker, et Marcelle, une ouvrière, qui peinent à trouver un logement et à vivre dans des conditions dépassant la précarité. Confrontés à la réalité des années 1950, celle des guerres coloniales, de la Guerre froide et des grandes grèves des dockers, ils devront lutter pour trouver leur place dans cette société qui fait tout pour les mettre au pas.

Le récit filmé par Carpita va se rapprocher du destin de cet instituteur qui verra son œuvre saisie sous prétexte de "menace à l’ordre public", tandis qu’il sera lui-même incarcéré. Film anticolonialiste, alors que la guerre d’Indochine est perdue et que les « événements » d’Algérie se déroulent en plein chaos sur fond de propagande officielle, et, qui plus est, prenant comme sujets principaux des dockers marseillais communistes, c’en était trop pour les institutions et le pouvoir.

C’est seulement en 1981 lors d’une visite à Port-de-Bouc de Jack Lang, alors ministre de la culture, que des dockers et une mobilisation populaire soulèvent la question du devenir du film. Il est retrouvé aux Archives du film et commence à être projeté en 1983 dans les Maison des Jeunes et de la Culture.

Paul Carpita
DR

Au début des années 1950, Paul Carpita, modeste instituteur marseillais, ancien FTP, décide vivre pleinement sa passion du cinéma. Il commence par créer Ciné-Pax en 1948 qui propose des sujets de contre-actualité et souhaite porter sur le devant de la scène les problèmes sociaux et les préoccupations des gens du peuple. Il milite pour l’expression populaire dans un cinéma engagé. « Dès que j’ai su me servir de la caméra, je l’ai tournée du côté des millions de gens qui ressemblent à papa et à maman, les gens humiliés, méprisés » dira-t-il plus tard.

Humaniste et militant, il souhaite tourner un film qui prendrait pour trame la grève des dockers de mars 1950. Celle-ci suivait divers mouvements de contestation qui s’étaient déroulés l’année écoulée, notamment le refus d’embarquer du matériel de guerre pour l’Indochine et avait provoqué l’immobilisation du "Pasteur". Encarté au PCF depuis 1943, il glane la pellicule au parti, filme de vrais CRS et emprunte la salle de doublage au franchement droitier Marcel Pagnol. C’est à coup de petites débrouilles que le film se verra achevé en 1955 malgré le manque d’enthousiasme de la direction du parti et les contraintes d’un tel projet.

Les quais de Marseille
Paul Carpita ©

Le travail réalisé par les auteurs dénote un soin particulier porté à la reconstitution historique, notamment sur le Marseille de l’époque dessiné par Olivier Thomas, en mêlant archives et éléments fictionnels tirés des films de Carpita. On ressent à la lecture un respect et une admiration portés à ce cinéaste militant qui ne s’est jamais avoué vaincu.

Ce travail extrêmement bien documenté s’avère parfois légèrement frileux. Au-delà des sourires que font naître les circonstances (l’affrontement entre dockers et CRS), l’esthétique un peu froide de l’ensemble (réalisme socialiste ?), a du mal à faire revivre pleinement l’engagement du militant politique et réalisateur. Le dessin, à la qualité variable, du très bon au passable, avec son image de couverture banale et ratée et la froideur de la page, dans sa confection mat et glissante, ne rendent pas idéalement les affrontements capitaux de cette période de l’histoire et la destinée presque romantique de son personnage central. L’album offre heureusement un cahier documentaire précis et de grande qualité qui permet de mieux comprendre cette vie singulière nichée en plein cœur de Marseille.

Le Printemps des Quais
Pascal Génot, Bruno Pradelle et Olivier Thomas - Quadrants ©


À une époque où le combat ouvrier et la fraternité n’étaient pas encore des devises oubliées dans le consumérisme globalisé, Paul Carpita est une figure à (re-)découvrir "Je ne suis pas un cinéaste, je suis le fils d’un docker et d’une poissonnière. Un instituteur passionné de cinéma, c’est tout" dit-il. Cet album nous permet de découvrir qu’il fut bien plus que cela.

(par Vincent GAUTHIER)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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