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Le Retour inattendu et fracassant de Fabrice Neaud

Par Vincent GAUTHIER le 6 février 2012                      Lien  
Une couverture qui donne de l'émotion, c'est rare et pourtant en voici une. Ce personnage et ce nom : un sergent à la carrure massive et Fabrice Neaud. Quel plaisir de retrouver l'auteur du "Journal" paru chez Ego comme X, l'une des bandes dessinées les plus importantes des deux dernières décennies. On a envie d'ouvrir cet album et de le dévorer d'emblée. Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'on n'est pas déçu, le résultat est à la hauteur de l'attente.

Un monde post-apocalyptique dans un futur proche, nous sommes en 2050. Un cataclysme volcanique a dévasté la moitié des États-Unis, retourné depuis à l’âge de pierre. La pandémie du sida a décimé l’Afrique : les habitants du continent sont devenus une espèce protégée. Le fossé inégalitaire s’est creusé en Europe, l’extrême-droite est en plein essor et les individus sont partout sous contrôle. Un contexte géopolitique potentiellement profond qui ne demande qu’à être dérivé. L’intrigue, pour l’instant distribuée par bribes, devrait s’avérer extrêmement complète : un complot d’obscurs complices liés aux cercles élevés du pouvoir, des expériences scientifiques pour remodeler des êtres humains en surhommes et l’existence de mystérieux passages spatio-temporels...

Le Retour inattendu et fracassant de Fabrice Neaud
Nu-Men – Tome 1 : Guerre Urbaine
© Fabrice Neaud – Quadrants

Les scènes de destruction urbaine et les vues d’ensemble sur les paysages citadins sont impressionnantes. Le trait est élégant et trouve sa plénitude dans les paysages panoramiques. On retrouve un concept de représentation architecturale présent dans les œuvres précédentes de l’auteur. Les scènes s’enchaînent sans nous laisser le temps de souffler, avec un grand sens du rythme et des variations d’intensité et de tempo particulièrement bien menés. Le dessin vif dans les scènes d’action est soutenu par une mise en couleur la plupart du temps réussie. Malgré tout, on peut regretter un léger relâchement dans la finition de temps à autre.

Nu-Men – Tome 1 : Guerre Urbaine
Fabrice Neaud – Quadrants ©

Cette série ambitieuse assume la vulgarité et la crudité de son propos : entre les pauvres qui n’ont plus qu’à numéroter leurs abatis et la présentatrice du journal télévisé, grande abbesse du porno trans-genre, notre société du futur est terriblement réaliste.

Les peuples affamés en révolte contre l’injustice des puissants sont réprimés. Dans un pays où le front néo-fasciste est crédité de 27 % d’intentions de vote (ça ne vous rappelle rien ?), les questions ne manquent pas. Le contrôle des populations, la répression des sans-papiers, la montée du fascisme, le lavage de cerveaux d’individus connectés en permanence, l’auteur confronte dans cette dystopie des interrogations bien accrochées à notre temps. Il fait également entrer dans son propos une critique acerbe du système médiatique et de la crédulité des peuples : « Si c’est pas mignon !, les gens aiment les clichés de base, ça les aide à voter ».

Dans une Europe où les services publics sont en voie de disparition, où la sécurité de l’État est allouée à des mercenaires au service de compagnies privées, où le choix se résume à la bourse ou la vie, où chômage, discrimination et immigration sont les trois piliers d’une politique du tout sécuritaire, où une « Goebbels lookée chez Chano-Cacarel » est en route vers le second tour des élections, le scénario fait le choix de la confrontation et de la provocation.

Dans un esprit insurrectionnel pétri d’un militantisme anti-discriminatoire, l’auteur développe un récit intense qui déploie une esthétique chaotique au sein d’un monde violent et hostile. Les ruptures dans la fluidité du récit permettent de faire traverser aux différents corps le courant d’un même temps pour les lier tous. La disjonction entre l’unité de lieu et l’unité temporelle jouent sur la perception de l’héroïsme modeste de l’anonyme, puissance corporelle forte mais presque invisible. Loin du conformisme moderne, l’ambivalence transgressive du trait fait ressortir une fièvre inquiète portée à son paroxysme face aux progrès de cette monstrueuse société d’enfants perdus.

Le scénario est donc très dense, plusieurs lectures étant nécessaires pour tout comprendre de cette BD à l’amplitude et à l’ambition bienvenues. Fabrice Neaud nous présente une épopée cadencée très bien tournée sur la déliquescence du monde à l’orée des possibilités du virtuel.

Cet album, l’un des plus importants de l’année, est à découvrir obligatoirement.

(par Vincent GAUTHIER)

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Nu-Men – Tome 1 : Guerre Urbaine – Par Fabrice Neaud – Quadrants

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9 Messages :
  • Le contrôle des populations, la répression des sans-papiers, la montée du fascisme,

    Claude Guéant va demander des droits d’auteur...

    J’ai lu dans l’Immanquable, je reproche des textes écrits trop petits dans certaines pages.

    Répondre à ce message

  • Le Retour inattendu et fracassant de Fabrice Neaud
    7 février 2012 05:02, par termontyl

    je ne sais pas ce qu’en pensent les gens, mais moi je trouve que ce gars est un très grand auteur de BD.

    Répondre à ce message

  • Le tome 2 est paru il y a 2 ans, la série est-elle finie ou pas ?

    Répondre à ce message

    • Répondu par sebso le 11 mai 2015 à  12:11 :

      Malheureusement, aux dernières nouvelles, l’éditeur avait arrêté la série. Fabrice Neaud, au contraire, était bien motivé pour continuer et avait plein d’idées... Si un autre éditeur souhaitait reprendre la série, ce serait super !

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      • Répondu par Olive le 11 mai 2015 à  22:59 :

        Mais quelle honte ! Arrêter une série pareille, quel gâchis, les éditeurs ne font plus leur boulot. Imaginez que les éditeurs aient stoppé après 2 tomes Blueberry, Aquablue, La Quête de l’odt, XIII, B&M... à côté de combien de chefs d’oeuvres passe-t-on avec cette politique éditoriale à court terme ? Si les éditeurs n’ont pas les reins pour soutenir une série, qu’ils ne fassent plus que des one-shots, mais on perd là ce qui fait la spécificité de la BD.

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        • Répondu par Evariste Blanchet (BANANAS) le 12 mai 2015 à  11:53 :

          Je partage ce point de vue et le mot "honte" me paraît particulièrement judicieux. Un éditeur digne de ce nom ne devrait pas hésiter à garder un Fabrice Neaud dans son catalogue même s’il doit financer 3 ou 4 de ses albums à perte. Après tout, ne passe-t-il pas son temps à éditer majoritairement des livres qui ne se vendent pas ?
          Concernant la reprise de la série par un autre éditeur, c’est malheureusement assez improbable à court terme car, au moment où les commerciaux feraient la tournée des libraires, ces derniers ne manqueraient pas de baser leurs futures commandes sur les chiffres de ventes des deux premiers tomes qui sont assez bas.
          Il n’y a donc pas d’autre solution que d’attendre le rebond de Fabrice Neaud avec une nouvelle série qui connaisse le succès pour espérer voir se raviver l’intérêt des éditeurs, des libraires et des journalistes pour cet auteur cher à mon coeur. J’ai trouvé les deux premiers volumes de NU-MEN passionnants et je ne désespère pas un jour de lire la suite. Si les éditeurs consentaient à éditer un peu moins de merdes, les bons livres auraient sans doute plus de chance de trouver leur public. Car j’estime que celui de NU-MEN est, potentiellement, aussi important que UNIVERSAL WAR ONE / TWO de Denis Bajram, pour citer une série de qualité comparable.

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  • Pour répondre à Sebso, Olive et Evariste Blanchet, Christophe Bec et Fabrice Neaud préparent “Labyrinthus”, diptyque à paraître chez Glénat.

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    • Répondu le 15 mai 2015 à  10:23 :

      Labyrinthus permettra de profiter du dessin de Fabrice Neaud dans une autre aventure SF. Mais cela ne remplacera nullement Nu Men, série pour laquelle Fabrice Neaud avait commencé à élaborer un univers foisonnant et passionnant.

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      • Répondu par Vincent le 15 mai 2015 à  20:55 :

        C’est dommage tuer dans l’oeuf une telle oeuvre.

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