On attendait donc beaucoup de cette nouvelle édition, commentée qui plus est par Hugues Dayez -auteur d’une remarquable biographie de Peyo en 2003, à propos d’une œuvre qui a encore connu récemment des appropriations politiques, montrant que le message de Peyo traverse les époques.
Cependant, on apprend peu d’éléments qui n’aient déjà été mentionnés par ailleurs, ce qui est grandement décevant quand l’occasion est enfin donnée de commenter un album complet. La présente édition offre davantage une chronique de la vie de Peyo et du Journal de Spirou au moment de la prépublication de l’épisode dans l’hebdomadaire, de septembre 1964 à mai 1965, qu’un véritable commentaire "planche par planche" comme l’indique le quatrième de couverture. Au lieu de ça, quelques (demi-) pages se perdent en anecdotes qui n’ont pas grand chose à voir avec l’histoire, comme l’origine du bleu des Schtroumpfs ou la publicité pour les chocolateries belges Kwatta...
Dans un album aussi riche, il y avait pourtant beaucoup à dire sur la façon dont la politique est représentée en BD, notamment lors des campagnes électorales. Lucky Luke contre Joss Jamon est à plusieurs reprises mobilisé en guise de comparaison, mais on aurait aimé la référence à Ruée sur l’Oklahoma, dans lequel la description de la campagne municipale, avec les utilisations absurdes du mot « inique », que personne ne comprend, est un grand moment de finesse davantage comparable à la fameuse allocution du Schtroumpfissime-candidat, usant et abusant du langage « schtroumpf » pour prononcer un discours que chacun peut comprendre à sa convenance. À travers la futilité et l’hypocrisie du programme électoral, c’est en fait la versatilité des électeurs que Peyo brocarde : le maintien du Schtroumpfissime dépend de la capacité à détourner les contestations et à chercher leur alliance : le Schtroumpf Costaud se révolte et met en péril l’autorité du Schtroumpfissime ? Qu’à cela ne tienne, il devient « grand capitaine en chef des services de protection de la légalité Schtroumpf » ! Pas besoin d’aller chercher bien loin pour illustrer la contemporanéité des retournements de veste...
En revanche, on appréciera les éclairantes remarques sur le graphique et les effets que produit le style de Peyo tels que la perspective « ras du sol », les « chutes de pages » pour entretenir le suspens chez les lecteurs de Spirou d’une semaine sur l’autre, et le découpage du scénario sur cinq bandes au moment de l’abandon du format du mini-récit, créant des planches très denses dans lesquelles les gags abondent, notamment lors de l’hilarante expédition punitive organisée en forêt par le Schtroumpfissime pour combattre les insoumis.
Au final, les amateurs lointains des Schtroumpfs et de la bande dessinée y trouveront de quoi satisfaire leur curiosité ; les autres resteront sur leur faim.
(par Damien Boone)
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