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Le Soleil Levant de Catherine Meurisse

Par Philippe LEBAS le 1er novembre 2021                      Lien  
Après son retour sur ses terres deux-sévriennes, dans Les grands espaces, Catherine Meurisse prend le large, au Japon, terre lointaine, géographiquement et culturellement. Il s'agit de sa première incursion (graphique) en dehors d'Europe dans le but de "peindre la nature" et de renouveler sa "banque d'images mentales par trop occidentales". Une très belle réussite !

Le nouvel album de Catherine Meurisse est une fable philosophique, fruit de plusieurs mois de résidence artistique au Japon (à la villa Kujoyama à Kyoto puis dans une île) et librement inspirée du roman de Sôseki, Oreiller d’herbes.

Comme le peintre de cet ouvrage, dont elle fait un personnage-clé de son album, Meurisse a décidé de s’éloigner du monde pour se renouveler. Tous deux sont en quête, lui de l’impassibilité nécessaire à la peinture (et qui dans l’immédiat ne lui permet que d’écrire des haïkus), elle de beauté esthétique, la seule à même de tenir à distance les traumatismes inhérents à la condition humaine, ce qui est particulièrement vrai pour cette autrice qui a échappé de peu aux attentats de Charlie Hebdo (même si, comme elle le dit elle-même [1], elle ne veut pas faire de ce vécu tragique ni son fonds de commerce, ni le point focal de son existence auquel il faudrait tout ramener). À son insu néanmoins, il lui faut dessiner, peindre, pour ne rien perdre de la beauté du monde. Le Japon, dont on sait le rapport tout à fait singulier qu’il entretient avec la nature, était l’endroit tout désigné pour ce faire.

Le Soleil Levant de Catherine Meurisse

Comme le rapportent tous les observateurs, le Japon fait rapidement perdre tous leurs repères aux étrangers de passage. Il y a bien sûr l’obstacle de la langue (Lost in translation ?), mais aussi et peut-être surtout, les façons de vivre et d’envisager la vie. Catherine Meurisse en fait vite l’expérience quand elle découvre que le studio pour sa résidence d’auteur est tourné non pas vers la mer, mais sur une paroi montagneuse qui coupe tout horizon.

Avec son bagage réduit de quelques mots (ce qui nous vaut quelques scènes très drôles où elle les aligne tous en guise de réponse systématique), la rencontre de ce nouvel environnement ne sera pas simple. Heureusement, Tanuki est là ! Ce dernier est un yokai, un esprit, farceur en l’occurrence, qui oppose une ironie mordante aux questions existentielles que peut se poser Catherine Meurisse. Tanuki sera un très bon guide pour elle, lui faisant découvrir l’ambiguïté de la nature japonaise, muse d’un côté, danger absolu de l’autre. Catherine Meurisse s’est d’ailleurs elle-même retrouvée confrontée à un typhon lors de son second séjour (dans une île cette fois), d’où les véritables murailles de béton construites pour s’en protéger.

On retrouve dans ce bel album ce qui nous plaît tant chez Meurisse. En premier lieu, ce mélange de caricatures et de dessins soignés, ce qui nous vaut de splendides planches, inspirées des estampes japonaises.

Les références aux maîtres d’hier ou d’aujourd’hui, écrivains, dessinateurs, cinéastes, sont elles aussi toujours bien présentes, que ces maîtres soient européens (Millais et son célèbre tableau, Ophélie...) ou japonais bien sûr, comme Takahata, Miyazaki, Hokusai. Dans la foulée de ceux-ci, mais avec les moyens propres à la BD et à la caricature, Meurisse s’emploie à capter l’évanescence, la beauté fugace, le temps qui passe. Elle nous donne à réfléchir en décalant notre regard (et le sien).

Par exemple, au Japon, à la différence de l’obsession française (européenne même) de la protection du patrimoine, il n’est pas rare que l’on préfère reconstruire régulièrement un monument en bois, plutôt que de le rénover et le maintenir en état en utilisant du béton pour le faire résister au temps.


On sort apaisé de la lecture de cet album qui prend son temps, celui de la contemplation, sans pour autant verser dans un optimisme béat et naïf. L’humour constant, la caricature et le décalage de manière plus générale, offrent un contrepoint permanent à cette quête de beauté et de nature [2], à la fois profonde et légère donc, marque de fabrique de Catherine Meurisse en somme.

(par Philippe LEBAS)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782205089691

La jeune femme et la mer - Par Catherine Meurisse - Dargaud

[1Visionnez le bel échange entre C. Meurisse et François Busnel, lors de l’émission La Grande Librairie du 27 octobre 2021, en replay sur le site de La 5.

[2Catherine Meurisse, dans l’entretien cité dans la note précédente, s’excuse d’utiliser ce mot de nature en citant Philippe Descola. Comme l’a montré ce fameux anthropologue, ce mot, pas vraiment traduisible dans la plupart des langues, dont le japonais, reflète surtout l’idée occidentale d’une sorte de cadre "naturel" sur lequel s’inscrirait l’action humaine, un décor en somme, approprié à sa guise par les Humains pour en faire ce qu’ils veulent, pour le meilleur et le pire. Sur toutes ces questions, en dehors des travaux de Descola, lire les adaptations en BD qu’en a faites l’excellent Alessandro Pignocchi.

Dargaud ✍ Catherine Meurisse ✏️ Catherine Meurisse à partir de 13 ans Tranche de vie France
 
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13 Messages :
  • Et la coloriste ?
    1er novembre 2021 09:37, par rémi

    Dommage de ne pas saluer le travail de la talentueuse coloriste Isabelle Merlet, trop souvent oubliée, et qui est au moins à 50% responsable de la beauté de cet album, si ce n’est plus.

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    • Répondu le 1er novembre 2021 à  16:15 :

      Vous délirez, c’est Catherine Meurisse qui a fait la couleur, on reconnaît bien sa patte !

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      • Répondu par Frédéric HOJLO le 1er novembre 2021 à  16:44 :

        C’est bien Isabelle Merlet la coloriste, même si Catherine Meurisse a eu son mot à dire. C’est précisé dans le livre et sur le site de l’éditeur. Toutes deux travaillent ensemble depuis un bon moment et Catherine Meurisse souligne la qualité du travail d’Isabelle Merlet dès qu’elle en a la possibilité (ce qui est plus rarement le cas des éditeurs et des journalistes).

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      • Répondu par rémi le 1er novembre 2021 à  16:46 :

        Merci de faire vos recherches AVANT de m’accuser de "délirer".

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        • Répondu le 2 novembre 2021 à  00:33 :

          Oui. Isabelle Merlet, il faut vraiment la citer, parce qu’elle a travaillé sur plein de grandes BD et elle reste injustement dans l’ombre.

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      • Répondu par isabelle merlet le 19 mars 2022 à  20:20 :

        C’est vraiment très drôle ! Même si je regrette qu’une fois de plus l’article montre des images en couleur sans mention du coloriste.
        Ça ne semble pas prêt de changer !

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  • Le Soleil Levant de Catherine Meurisse
    1er novembre 2021 11:10, par Milles Sabords

    Clairement, ce nouveau Meurisse, c’est plus l’influence Brétécher. Cet album paraît plus abouti que ces précédentes productions BD, plus adulte et moins Sempé dans le style graphique.

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    • Répondu le 1er novembre 2021 à  13:51 :

      Comme d’habitude vous commentez et prétendez avoir un avis savant sans avoir ouvert le livre, et sur la seule foi des quelques images extraites et mises en ligne dans l’article.

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      • Répondu par Milles Sabords le 2 novembre 2021 à  07:51 :

        Je "prétends avoir un avis savant"... c’est votre interprétation. Je donne juste mon avis. Et si vous m’aviez mieux lu, vous auriez compris que je connais parfaitement la biblio de Meurisse et son travail.

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    • Répondu par rémi le 1er novembre 2021 à  16:47 :

      Tiens, Mille sabords, je croyais que vous aviez décidé de couper internet. Dommage...

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      • Répondu par Milles Sabords le 2 novembre 2021 à  07:46 :

        Cher rémi, vous parlez régulièrement de ma personne plus que de mes messages, c’est trop d’honneur de votre part. Dans le sujet "Christophe Blain et Jean-Marc Jancovici imaginent le monde sans fin qui est le nôtre", mes propos étaient ceux-ci : "Notre utilisation d’internet n’est pas non plus anodine.". Comme moi, votre utilisation d’internet pollue aussi la planète. Libre à vous maintenant de couper ce que vous voulez...

        Répondre à ce message

  • "Par exemple, au Japon, à la différence de l’obsession française (européenne même) de la protection du patrimoine, il n’est pas rare que l’on préfère reconstruire régulièrement un monument en bois, plutôt que de le rénover et le maintenir en état en utilisant du béton pour le faire résister au temps."

    Pas rare, je dirai même plus, c’est un principe culturel !
    Ils n’ont pas le même rapport à la ruine que nous. Qu’est-ce qu’une architecture originale ? Chez eux, c’est le concept architectural qui prédomine alors que chez nous, c’est le bâti, plutôt l’inverse.

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  • Encore ?!
    2 novembre 2021 13:57

    Qui n’a pas encore commis son album sur le Japon ?
    Ça devient lassant cette mode parmi les auteurs de BD.
    Quel sera le prochain à s’y coller ?

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