Il y a quelque chose d’halluciné dans les BD de Chantal Montellier. Son trait est figé, ingrat. Son texte est théâtral et démonstratif, pesant parfois. Mais il pose les vraies questions. Il est à mille lieues de ces albums qui produisent à l’envi des entrechats graphiques au service de textes-prétextes sans enjeu. Chez Montellier, le propos, sa gravité, prime, domine tout le reste. Il y a une volonté d’appréhender le monde, d’en mesurer le chaos, d’en dénoncer la violence, la mécanique écrasante. Dans Shelter déjà, une histoire qui figure dans le recueil Social Fiction et qu’elle avait créée pour Métal Hurlant , elle imagine une population de citoyens lambda enfermés dans un supermarché, obligés de recréer une société en miniature en attendant qu’à l’extérieur, l’air pollué par une bombe atomique redevienne respirable. Cet arche de Noé consumériste devient vite le jouet de quelque Big Brother moderne, une effrayante dictature en vase clos.
Un nihilisme désespéré
Vingt ans plus tard, Les Damnés de Nanterre interrogent un fait divers. Que s’est-il réellement passé le 4 octobre 1994, lorsque les télés et les radios rapportent une sombre histoire de prise d’otages consécutive à un casse dans laquelle un taxi menacé par des ravisseurs percute volontairement une voiture de police ? Il s’en suit une fusillade qui fera cinq morts et cinq blessés en une demi-heure. Les responsables sont deux jeunes paumés qui ont trouvé dans la cause libertaire un moyen d’échapper au nivellement d’une société qui ne leur offre pas d’issue. Les médias s’intéressent à ce fait divers, mais pour le comparer un peu trop facilement au film Tueurs nés d’Oliver Stone, qui vient de sortir en salle. Le discours politique est escamoté en faveur d’un « fait de société » digeste et consommable. En rouvrant le dossier, Montellier nous interpelle. Elle contextualise le propos, nous rappelle ce qu’était cette France en crise gouvernée par Balladur et Pasqua. Elle montre que le nihilisme désespéré de ces deux jeunes gens n’est rien d’autre qu’un romantisme. On a du mal parfois à suivre le fil de la pensée de l’auteure, mais elle touche le lecteur, sans aucun doute. Esthétiquement, un appel de notes à des slogans et à des graphismes soixante-huitards rend le livre agréable et curieux, unique en tout cas. Un travail qui vaut largement celui de quelques indépendants bobos, quadras en perdition qui se la pètent en prétendant avoir inventé l’eau tiède.
Un bon écrivain
Profitant du retour de cette figure de la BD des années 80, la société d’édition Les Impressions nouvelles de Bruxelles (dirigée par Benoit Peeters) publie du même auteur TGV, conversations ferroviaires où l’auteure nous mène en train. Elle y assiste à des conversations qu’elle retranscrit avec minutie, l’oeil en coin. Le texte virevolte, dessine. Les personnages sont croqués avec gourmandise. "Tout est en ordre, écrit-elle. Les contrôleurs contrôlent, les conducteurs conduisent, les voyageurs voyagent. La France, vue de mon siège n°48, voiture 15, dans le TGV 8609, semble bien tenue... Mais... "Où donc se crient les cris ? Où donc se pleurent les pleurs ?" Giraudoux avait remarqué déjà la poésie de ces conversations piquées au hasard. Elles sont l’occasion pour le lecteur de constater que Chantal Montellier n’est pas seulement un bon auteur de BD ; elle est aussi un bon écrivain.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon : Chantal Montellier - Photo : D. Pasamonik
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