C’était un rituel : vers le 30 décembre de chaque année, Gilles Ratier remettait son « rapport » : un inventaire de la production de la bande dessinée dans l’espace francophone.
Abondamment commenté et même critiqué, il a marqué les imaginations en soulignant, année après année, le phénomène qui frappe la bande dessinée francophone : une augmentation exponentielle du nombre de titres publiés. C’était à la fois la preuve de la bonne santé d’un métier qui se distinguait par son dynamisme et sa diversité, et une source d’inquiétude, sinon de colère de la part d’auteurs, de plus en plus nombreux eux aussi, dont la situation s’avérait chaque année plus précaire.
Publié bénévolement chaque année juste avant Angoulême, le rapport Ratier publié par l’ACBD dont l’auteur a été pendant longtemps le secrétaire général, là encore bénévole, était largement diffusé auprès d’un millier de médias de par le monde : une vitrine essentielle pour la BD francophone. Bibliothécaire de son métier, Ratier compilait comme un bénédictin les publications de l’année.
« Le premier à avoir comptabilisé les publications, c’est Stan Barets, le créateur de L’Année de la BD qui a réalisé ce premier décompte avec Jean-Luc Fromental et José-Louis Bocquet (81-82 et 82-83), se souvient l’historien Patrick Gaumer, l’auteur du Larousse de la BD, puis je m’y suis collé à partir de Janvier 1983 avec Stan et Sophie Barets. Ensuite, il y a eu Thierry Groensteen pour les "Cahiers de la BD" jusqu’à ce qu’en 1999, ce soit Gilles qui s’en occupe. »
Précaire
Avec dévouement et générosité car il offrait chaque année le fruit de son travail à l’ACBD qui trouvait là une bien opportune fenêtre pour apparaître dans la lumière une fois par an, Gilles égrenait ses chiffres récoltés auprès des professionnels et des nouveautés, souvent acquises par la Bibliothèque de Limoges, l’une des plus riches collections de BD de France. Ces dernières années, quelques membres de l’ACBD lui ont prêté main forte, mais il était le seul principalement à supporter cet énorme boulot. Car si à la fin des années 1990, la production était d’environ 1000 titres, elle a été multipliée par cinq depuis !
Un peu usé par ce travail de bénédictin, et sans vraiment une perspective de support pérenne, le généreux Ratier envisage d’arrêter. Fin 2017, l’ACBD se débrouillera comme elle le pourra, mais elle ne disposera plus de ses chiffres.
On ne peut pas dire que l’on n’avait pas vu la chose venir. C’est un peu le propre de ce milieu que de laisser ses acteurs dans leur jus, que ce soient les auteurs ou les organisateurs de festivals, d’expositions et autres animations culturelles, tout en profitant du travail accompli –on pense en particulier aux politiques- sans parfois même qu’une once de subside ne soit donnée en contrepartie, alors que des sommes conséquentes sont gaspillées par ailleurs.
Ainsi, depuis le temps que Gilles Ratier fait ce travail, on se demande pourquoi aucun organisme public, que ce soit le Ministère de la culture, le Centre National du Livre, la section BD du Syndicat National de l’Edition, ou encore la Cité de la BD d’Angoulême n’a pas essayé de soutenir ce travail à travers une structure pérenne, un « Observatoire économique de la bande dessinée » qui permettrait d’évaluer la situation économique de la profession pour mieux en dégager les objectifs.
La faiblesse culturelle de l’Europe apparaît de jour en jour. Pendant ce temps-là, les Comics US, les mangas et les autres créations asiatiques continuent à envahir consciencieusement le monde…
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)
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