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Le dessinateur de "Rahan", André Chéret, est décédé

Par Jaime Bonkowski de Passos le 5 mars 2020                      Lien  
Une crinière blonde, cinq griffes de tigre à dents de sabre autour du cou et une sagacité rare pour son époque : en peu de traits on reconnaît bien vite Rahan le fils des âges farouches. On pleure aujourd'hui son créateur André Chéret, décédé ce jeudi 5 mars à l'âge de 82 ans.
Le dessinateur de "Rahan", André Chéret, est décédé
© André Chéret, Roger Lécureux / Ed. Soleil

«  Avec Rahan, j’ai trouvé une série à ma convenance, qui met en valeur l’anatomie humaine et animale, la nature à l’état brut » avait-il déclaré au fanzine de référence Hop ! en 2005.

Merveilleuse synthèse de ce qui faisait la qualité de son travail : une nature luxuriante, fantastique et préhistorique, envahissante et puissante, dans laquelle des hommes luttent en exacerbant toutes leurs qualités : la vigueur et la force bien sûr, mais aussi pour Rahan, surtout l’intellect, car au final, ce qui différencie le fils de Craô de ses pairs, c’est son intelligence aiguë.

Des Américains, Chéret avait retenu une emphase graphique qu’il était l’un des rares à pratiquer de ce côté-ci de l’Atlantique. Publié en 1969 dans l’hebdomadaire Pif-Gadget avant de vivre ses aventures dans une publication portant son nom, Rahan avait pour scénariste Roger Lécureux, un ouvrier-imprimeur à l’origine, pilier de l’équipe du journal à qui on devait notamment Les Pionniers de l’Espérance dessiné par Raymond Poïvet.

Bien que Rahan fut un tarzanoïde obéissant aux clichés de son époque (les ennemis du blond héros avaient très souvent une apparence simiesque), cette BD avait pour vertu de proposer des histoires éminemment éducatives toujours soucieuses de mettre en avant les valeurs progressistes. Rahan était sa principale série, aujourd’hui disponible en intégrale aux éditions Soleil.

Mais en dehors de cette figure incontournable de l’histoire de la BD française, Chéret avait beaucoup produit comme illustrateur et auteur de BD. Après un court passage dans la presse catholique (Fripounet et Marisette), il entre en 1962 dans Pif où il réalise une série dans un monde plus proche du nôtre avec sa reprise de Bob Mallard, l’aviateur tête brûlée certes plus habillé que Rahan, mais avec qui il partage nombre de qualités.

Il en va de même pour Domino qu’il dessine sur un scénario de Jean Van Hamme qui se passe sous la Régence et qui ne laissa pas un souvenir iméprissable au scénariste de XIII et de Largo Winch. Ces grands écarts temporels démontrent le talent du dessinateur capable de passer d’un registre à un autre dans le domaine de l’aventure. Il s’en servira d’ailleurs pour faire de magnifiques panoramas qui surgissent au détour de toutes ses pages, comme une signature.

© André Chéret, Roger Lécureux / Ed. Soleil
© André Chéret, Roger Lécureux / Ed. Soleil

"Domino", une série de cape et d'épée aux éditions du Lombard sur un scénario de Jean Van Hamme.On retrouve dans chacune de ses séries un dynamisme rare, une énergie tant dans le mouvement que dans le rythme, et que beaucoup lui envient : dans une interview qu’il nous donnait en 2015, il nous apprend que le dessinateur de Tarzan Burne Hogarth lui-même avait paru impressionné par le dynamisme de son dessin. Sa maîtrise de l’anatomie stupéfiait d’autant plus quand on le savait autodidacte.

Il nous avait livré cette anecdote sur son parcours en 2015 : « Je me souviens un jour être allé à un cours de dessin. Une femme posait nue, ce qui ne m’inspirait pas vraiment. J’ai commencé mon dessin par le doigt de pied et remonté mon trait, ce qui me semblait une façon correcte de faire... Le professeur qui se trouvait derrière moi m’a indiqué la porte !...  »

Il aura fallu près de 4 000 pages aux éditions Soleil pour réunir en 26 volumes l’intégrale des aventures de Rahan. Une œuvre colossale, qui a marqué durablement nombre de lecteurs et qui a véritablement porté Pif Gadget, le périodique dans lequel elles étaient publiées à l’origine en étant sa série principale.

Il avait été élevé au rang de Chevalier des arts et des lettres en 2004, distinction qui saluait l’immense travail d’un drand de la bande dessinée.

André Chéret en 2002.
© Laurent Mélikian.

(par Jaime Bonkowski de Passos)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782877647748

 
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14 Messages :
  • Formidable dessinateur qui savait exalter l’anatomie et le mouvement ! Sans parler des effets de matière à couper le souffle. Immense dessinateur que maître Chéret ! Ces dernières années il a connu la reconnaissance de son œuvre et de son art. Une part du 9 em art lui doit énormément. Lecureux et Chéret duo mythique pour une série emblématique !

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  • Lire et relire Rahan pendant toute son enfance, quel bonheur !
    C’était le moteur de Pif Gadget et je suis content d’avoir connu ça (avec Corto Maltese entre autres...)
    Bravo André Chéret !

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  • Le dessinateur de "Rahan", André Chéret, est décédé
    6 mars 2020 10:10, par Riton les gamelles

    Bonjour
    Est-ce la nostalgie ? Je préfère lorsque ces histoires sont en N&B.
    La couleur n’apporte rien de plus. Comme précédemment souligné par Vincent, André Chéret maîtrisait le décor, simplement avec des traits, il osait aussi cadrer avec de sacrés points de vue. Je me souviens d’une histoire où l’on voit une vignette qui correspond à la totalité du champ visuel de Rahan.

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    • Répondu par Eric B. le 6 mars 2020 à  19:41 :

      Laquelle de vignette SVP ? Quelle histoire ? Il osait de sacré cadrages ! Epoustouflant ce dessinateur !

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    • Répondu par Michel Grant le 10 mars 2020 à  13:20 :

      Pour admirer le pinceau dans toute sa finesse, il faut replonger dans les Pif de l’époque, très bien imprimés. Encore aujourd’hui, c’est ce qui se rapproche le plus de la planche originale.

      Bien des rééditions ont été faites à partir de ces imprimés et non de la planche originale, sans doute difficiles à colliger. Ce qui n’était évidemment pas le problème de Pif pour qui elles étaient créées.

      Condoléances à la famille.

      Michel Grant

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  • Grande tristesse que d’apprendre le décès de André Chéret !! … À cet instant également, je ne peux oublier Raphaël Marcello et son inoubliable Docteur Justice. C’est deux virtuoses du dessin étaient absolument incontournables dans les pages de l’ hebdomadaire de notre enfance !

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    • Répondu par Michel Dartay le 6 mars 2020 à  21:12 :

      Oui, c’étaient les deux vedettes du Pif-Gadget période rouge, dirigé par le regretté Richard Médioni. D’autres séries importantes y avaient cours en noir et blanc (Corto Maltese, les Pionniers), mais Doc Justice et surtout Rahan avaient les préfèrences du public !

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  • Le dessinateur de "Rahan", André Chéret, est décédé
    8 mars 2020 01:39, par La Plume Occulte

    On vient de perdre le meilleur, pas le plus grand,le meilleur !
    Parce ce que si dessiner c’est bien raconter c’est mieux,quand on fait de la BD.

    On vient de perdre un titan,le Tarzan du pinceau, un concepteur visuel aux capacités hors norme ,un artiste naît pour raconter,en images.
    Parce qu’il semblait fait pour la BD ,à moins que ce soit la BD qui soit faîte pour lui.Un génie.
    Un génie qui s’ ignorait, pur intuitif,à la mémoire visuelle exceptionnelle, pas hableur pour deux sous : il faisait, point !

    Parler ,d’autres le faisaient,pour vendre leur soupe.Lui les lecteurs il les alpaguait,irrémédiablement emportés,éternellement reconnaissants, marqués au fer rouge.Maestro.

    Pas le plus grand dessinateur, au sens académique du terme,mais l’académisme on l’emmerde ,surtout si c’est pour dessiner comme si on avait un balai dans le train, la BD n’est pas du dessin, ou si peu.

    Lui il était la BD ,un sacré coco,la BD telle qu’elle était et qu’elle n’est plus,ou si peu,gangrenée par les bobos,ces gens de gauche.
    Mais l’heure n’est pas à rire,d’autant que ces bobos,version "fils de l’ambassadeur", réécrivent l’Histoire quand d’autre se la " réapproprient",sans vergogne .Ils imposent leurs représentations et les largesses de leurs porte-monnaies, le pire des racismes quand des millions de gens défilent des mois durant pour gagner 100 euros de pouvoir d’achat.

    Lui était la BD,parce ce que pur autodidacte, pour une BD longtemps temple de l’autodidaxie,herbe folle,ce qu’on lui a longtemps reproché jusqu’à la contraindre,avant d’être enseignée dans des écoles, fréquentées par des fils à papa.La pente était enclenchée,savonneuse.

    Alors où est Rahan,le héros le plus humaniste et émancipateur qui soit, alors qu’on est cerné par les barbus de tous poils ? Hipsters,ayatollahs ,hygiénistes camouflés en progressistes comme ces féministes qui autrefois avaient des poils sur les guiboles et qui ,aujourd’hui, pour faire genre et rester dans le tempo on une barbe,longue comme ça, un vrai concours de beat !
    Tous ces "Je suis Charlie " qui sont en fait des charlots.

    Le dessin d’André chéret est pétillant de vie,bondissant, unique, sa narration incomparable,mais ce n’est pas le Franquin du dessin réaliste ,Franquin dont la caricature était très réaliste quand le dessin de Chéret n’a rien de réaliste, au sens strict du terme,l’académisme toujours.
    Le Franquin du réalisme est John Buscema,quand il s’ encre lui-même, une brute,un tueur , le Michelangelo des comics, celui surnommé "le dessin le plus naturel du monde".

    Buscema et Chéret étaient du même bois,de la même école, celle du dessin 100% de mémoire, quand beaucoup ont du mal à exister en réalisme sans références photos.
    Buscema comme d’autres,des balaises, s’ est essayé au tarzanide avec Tarzan,Ka-zar.c’est remarquable, éblouissant. Mais regardez,comparez,objectivement .........Chéret est meilleur.

    Chéret est meilleur que les meilleurs !!!!! Un titan !

    C’est peut-être pour ça qu’ André Chéret a longtemps été un punching Ball pour ses confrères ,qui prenaient un malin plaisir à démolir en groupe son travail,souvent en sa présence, ce qui contrariait son sourire désarmant. On a pas des millions de lecteurs impunément.

    Mais il avait Chantal,sa coloriste de femme,qui était là pour le protéger de tous les cons ,et connes,de la Terre.Bec et ongles.

    (......)

    Alors il est parti,sur la pointe des pieds,paradoxal pour un géant.

    La maladie l’avait contraint à arrêter le dessin,il devait respirer moins bien,déjà que Chantal avait eu la mauvaise idée de nous quitter en 2017.

    C’est l’a fin d’une époque, maintenant c’est sûr.

    Merci pour tout monsieur Chéret.

    Merci André.

    Tristesse immense.

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    • Répondu par kyle william le 8 mars 2020 à  10:06 :

      C’est un bel hommage, hormis l’habituel et désolant couplet anti-bobos définitivement hors-sujet. Le rapprochement avec Buscema est bien vu, même puissance hors-norme, même énergie dans le trait.

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    • Répondu le 8 mars 2020 à  14:53 :

      "le Tarzan du pinceau"

      Quel compliment !

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    • Répondu par CHRIS le 8 mars 2020 à  16:32 :

      La BD, ce n’est pas du dessin ?? assurément, aujourd’hui… dans l’exception culturelle et rigolote franchouillarde !

      Ouvrez les ouvrages "How to draw comics the marvel way" et "Sektchbook" vous comprendrez ce qu’est la notion "académisme" ! John Buscema est loin de "chier" sur l’académisme !!

      Pour apprendre à dessiner et étudier sur les bases de l’académisme, Big John fréquentait régulièrement le Brooklyn Museum !!! Il voulait être peintre illustrateur. Les pulp’s avaient le vent en poupe à cette époque. Il n’était malheureusement pas de taille pour rivaliser avec les grandes signatures de l’illustration du Golden-Silver âge.

      Dans les comics de western, d’aventure et de romance des 60’s, Big John le "Michelangelo des comics" s’éduque à dessiner, à mettre en scène et en action LE PERSONNAGE dans les exigences du réalisme et de l’esthétique visuelle !!

      Michelangelo était un authentique dessinateur (académique) avant d’être LE sculpteur de la Renaissance !!!

      Big John, c’est Conan, Silver surfer, Méphisto et créatures diverses, Wolverine, Punisher, et tous les autres, et dans tous les genres…

      Indiscutablement, Chéret, c’est Rahan. Rahan, c’est Chéret, c’est absolument magnifique !

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      • Répondu le 10 mars 2020 à  17:28 :

        La BD, ce n’est pas QUE du dessin.

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        • Répondu le 10 mars 2020 à  22:24 :

          … Pour un film, un spectacle, un concert, on ne se déplace pas pour visualiser un script !

          Un scénariste écrit (virtuellement) un scénar, le dessinateur met en forme, matérialise les images et raconte l’histoire.

          Comme un réalisateur de cinéma, André Chéret illustre parfaitement cette dynamique.
          Son Rahan est un spectacle vivant !!!

          En BD, si le dessinateur devient l’esclave d’un script envahissant et se réduit par obligation à une explication de texte, on s’oriente sur du roman ou bien de la littérature !!!

          Actuellement, le roman graphique permettant de dématérialiser l’image est un hybride fabriqué au km entre bd et littérature !

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          • Répondu le 11 mars 2020 à  11:40 :

            Je n’ai pas écrit qu’il y avait d’un côté le script et de l’autre le dessin à son service, j’ai écrit que la BD n’est pas QUE du dessin. Je n’ai pas écrit que le récit est plus important que le dessin parce que je ne le pense pas. Je veux simplement dire qu’il faut penser la BD en ne séparant pas le dessin de l’écriture.

            "Actuellement, le roman graphique permettant de dématérialiser l’image est un hybride fabriqué au km entre bd et littérature !"

            Cette phrase n’a aucun sens.

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