Osons le dire, c’était un ami. Nous nous parlions très souvent, que ce soit par téléphone, par mail ou à l’une des nombreuses occasions parisiennes comme récemment à la galerie Maghen à Paris où il venait rencontrer ses amis dessinateurs.
Car ce qui caractérise Mézières avant tout, c’était son sourire, sa gentillesse, sa modestie, lui qui a été le compagnon de route des plus grands. Son dessin est pourtant aussi puissant que celui d’Uderzo et aussi inspiré que celui de Moebius. Mais il n’a jamais dévié de sa voie de dessinateur classique. Il avait pourtant une aura internationale : George Lucas l’a regardé de près pour faire ses Star Wars, il a travaillé sur Le Cinquième Élément de Luc Besson qui adaptera plus tard son Valérian.
Une carrière dédiée à la SF
Né le 23 septembre 1938 à Paris (Saint-Mandé), c’est là qu’il rencontre un jour de 1944, alors que lui et sa famille sont réfugiés dans une cave pour échapper aux bombardements, le futur journaliste et scénariste de BD Pierre Christin. Une amitié se scelle entre les deux hommes, pour la vie entière.
Ils sont l’un et l’autre fans de BD et de SF. Mézières s’abreuve aux grands classiques de la BD belge : Tintin, Spirou, mais aussi aux séries Lucky Luke et Jerry Spring qu’il appércie comme fan de western mais aussi d’équitation, sport qu’il a pratiqué jusque dans les ranchs américains. Comme Morris, Gérald Forton ou Michel Blanc-Dumont, il savait comment dessiner un cheval…
Sa voie le mène au dessin. Intégrant en 1954 les Arts appliqués à Paris dans la section « Tissus et papiers peints » pour rassurer les parents, il se lie d’amitiés avec Pat Mallet et un certain Jean Giraud. Ils se retrouveront bientôt tous les trois dans Pilote. En attendant, ils font chacun leurs débuts : Cœurs Vaillants pour Mézières et la presse Marijac pour Giraud (l’un et l’autre font un western) tandis que Pat Mallet verse dans le dessin d’humour. En 1957, Pat Mallet et lui vont rendre visite à Franquin à Bruxelles qui leur conseille d’aller voir Joseph Gillain alias Jijé qui habite à ce moment là dans la région parisienne. Jean Giraud est de l’expédition. Seul ce dernier deviendra l’assistant du dessinateur belge, Jijé réservant au jeune Mézières des propos un peu vachards.
Mais le lien entre ces hommes ne sera jamais rompu : en 1963, il devient assistant-photographe dans le studio de publicité de Benoît Gillain, l’un des fils de Jijé, quelquefois scénariste pour son père.
1965 est l’année de l’équipée américaine de Mézières : il traverse tout les États-Unis et rejoint son ami Pierre Christin qui, entretemps, enseigne le Surréalisme et la « Nouvelle Vague » du cinéma français en pays mormon à l’université de Salt-Lake City. C’est là qu’il rencontre son épouse Linda, élève de Pierre Christin. La jonction avec Christin est productive : tout en pratiquant le métier de cow-boy dans l’Utah, Mézières dessine ses premières planches qui sont acceptées par l’hebdomadaire Pilote, dont Jean-Michel Charlier, le scénariste de Jean Giraud sur Blueberry, est le rédacteur en chef.
Une troisième histoire courte pour Pilote, sur scénario de Fred lui permet d’envisager un projet plus ambitieux et plus durable : ce seront les premières aventures de Valérian et Laureline qui paraissent le 9 novembre 1967, dans Pilote. Les agents spatio-temporels de Galaxity sillonneront l’espace-temps et deviendront en l’espace de 25 aventures une référence de la BD de science-fiction, traduite en une vingtaine de langues, y compris au Japon. La plupart des ses couleurs seront faites par sa sœur Évelyne Tranlé.
Attaché à sa série, comme Charon, le batelier des enfers, à ses rames, il est de pourtant toutes les révolutions de son époque, dessinant aussi bien, mais de façon éphémère et quasiment en spectateur, pour Le Trombone illustré, que pour Métal Hurlant, Fluide Glacial ou (A Suivre). Élu à l’Académie des Grands Prix à Angoulême en 1984, il reste très attaché au milieu de la bande dessinée qu’il aime et qui le lui rend bien. Le grand Will Eisner, membre de l’académie comme lui (Mézières est un des rares qui parle couramment l’anglais), ne venant en France qu’une année sur deux lui confie personnellement son vote.
Mézières et le cinéma
Sa collaboration avec le cinéma tient du rendez-vous manqué. S’il dessine les décors et les costumes pour Un Dieu rebelle de Peter Fleischmann (1986) et pour Le Cinquième Élément de Luc Besson (1997), George Lucas emprunte plusieurs éléments de l’univers de Valérian sans que Christin et lui en profitent. Sa série Valérian et Laureline est adaptée en dessins animés au Japon (2007) mais le résultat est aussi décevant que le film de Luc Besson, La Cité des mille planètes (2017), en dépit de ses 197 millions d’euros de budget de production. Espérons qu’un jour le bel univers profond et complexe de Christin et Mézières trouve un jour son bonheur à l’écran.
Mézières a été multicélébré par le monde. Outre son Prix d’Angoulême, il avait reçu le Inkpot Award pour son œuvre au ComicCon de San Diego en 2006, le Prix Haxtur en Espagne en 2011, le Prix Adamson en Suède en 2014, le Max und Moritz au salon d’Erlangen en Allemagne et le Prix Saint-Michel à Bruxelles en 2018. Le réalisateur Avril Tembouret lui a consacré un très beau documentaire, L’Histoire de la page 52, qui retrace la conception d’une planche d’une aventure de Valérian et Laureline.
Sa dernière publication était le beau livre L’Art de Mézières publié en septembre 2021 aux éditions Dargaud, une célébration qui nous permet de nous plonger dans son travail, beau et puissant. On peut ajouter : généreux et sympathique, à l’image de cet homme que nous aimions beaucoup.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon : Jean-Claude Mézières. Photo de Charles-Louis Detournay.
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