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Le grand Jean-Claude Mézières, le fabuleux dessinateur de "Valérian et Laureline", est mort

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 23 janvier 2022                      Lien  
Compagnon de route de Jean Giraud / Moebius, il était l'un des initiateurs de la bande dessinée de science-fiction en France avec la série "Valérian et Laureline" qu’il dessinait sur le scénario de son ami de jeunesse Pierre Christin. Mézières était l’un des dessinateurs français les plus solides et les plus influents de sa génération, tant en France qu’à l’international. Il vient de décéder, aujourd’hui le 23 janvier à l’âge de 83 ans. Nous vous l'annoncions il y a deux heures : nous revenons un peu plus longtemps sur la carrière de ce grand dessinateur.

Osons le dire, c’était un ami. Nous nous parlions très souvent, que ce soit par téléphone, par mail ou à l’une des nombreuses occasions parisiennes comme récemment à la galerie Maghen à Paris où il venait rencontrer ses amis dessinateurs.

Car ce qui caractérise Mézières avant tout, c’était son sourire, sa gentillesse, sa modestie, lui qui a été le compagnon de route des plus grands. Son dessin est pourtant aussi puissant que celui d’Uderzo et aussi inspiré que celui de Moebius. Mais il n’a jamais dévié de sa voie de dessinateur classique. Il avait pourtant une aura internationale : George Lucas l’a regardé de près pour faire ses Star Wars, il a travaillé sur Le Cinquième Élément de Luc Besson qui adaptera plus tard son Valérian.

Le grand Jean-Claude Mézières, le fabuleux dessinateur de "Valérian et Laureline", est mort
Laureline et Valérian - Dessin de Jean-Claude Mézières
© Ed. Dargaud

Une carrière dédiée à la SF

Né le 23 septembre 1938 à Paris (Saint-Mandé), c’est là qu’il rencontre un jour de 1944, alors que lui et sa famille sont réfugiés dans une cave pour échapper aux bombardements, le futur journaliste et scénariste de BD Pierre Christin. Une amitié se scelle entre les deux hommes, pour la vie entière.

Ils sont l’un et l’autre fans de BD et de SF. Mézières s’abreuve aux grands classiques de la BD belge : Tintin, Spirou, mais aussi aux séries Lucky Luke et Jerry Spring qu’il appércie comme fan de western mais aussi d’équitation, sport qu’il a pratiqué jusque dans les ranchs américains. Comme Morris, Gérald Forton ou Michel Blanc-Dumont, il savait comment dessiner un cheval…

Sa voie le mène au dessin. Intégrant en 1954 les Arts appliqués à Paris dans la section « Tissus et papiers peints » pour rassurer les parents, il se lie d’amitiés avec Pat Mallet et un certain Jean Giraud. Ils se retrouveront bientôt tous les trois dans Pilote. En attendant, ils font chacun leurs débuts : Cœurs Vaillants pour Mézières et la presse Marijac pour Giraud (l’un et l’autre font un western) tandis que Pat Mallet verse dans le dessin d’humour. En 1957, Pat Mallet et lui vont rendre visite à Franquin à Bruxelles qui leur conseille d’aller voir Joseph Gillain alias Jijé qui habite à ce moment là dans la région parisienne. Jean Giraud est de l’expédition. Seul ce dernier deviendra l’assistant du dessinateur belge, Jijé réservant au jeune Mézières des propos un peu vachards.

Jean-Claude Mézières et Jean Giraud / Moebius en janvier 2010
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Mais le lien entre ces hommes ne sera jamais rompu : en 1963, il devient assistant-photographe dans le studio de publicité de Benoît Gillain, l’un des fils de Jijé, quelquefois scénariste pour son père.

1965 est l’année de l’équipée américaine de Mézières : il traverse tout les États-Unis et rejoint son ami Pierre Christin qui, entretemps, enseigne le Surréalisme et la « Nouvelle Vague » du cinéma français en pays mormon à l’université de Salt-Lake City. C’est là qu’il rencontre son épouse Linda, élève de Pierre Christin. La jonction avec Christin est productive : tout en pratiquant le métier de cow-boy dans l’Utah, Mézières dessine ses premières planches qui sont acceptées par l’hebdomadaire Pilote, dont Jean-Michel Charlier, le scénariste de Jean Giraud sur Blueberry, est le rédacteur en chef.

Pierre Christin et Jean-Claude Mézières au Japon en 2010.
Photo DR

Une troisième histoire courte pour Pilote, sur scénario de Fred lui permet d’envisager un projet plus ambitieux et plus durable : ce seront les premières aventures de Valérian et Laureline qui paraissent le 9 novembre 1967, dans Pilote. Les agents spatio-temporels de Galaxity sillonneront l’espace-temps et deviendront en l’espace de 25 aventures une référence de la BD de science-fiction, traduite en une vingtaine de langues, y compris au Japon. La plupart des ses couleurs seront faites par sa sœur Évelyne Tranlé.

Valérian et Laureline dans Pilote

Attaché à sa série, comme Charon, le batelier des enfers, à ses rames, il est de pourtant toutes les révolutions de son époque, dessinant aussi bien, mais de façon éphémère et quasiment en spectateur, pour Le Trombone illustré, que pour Métal Hurlant, Fluide Glacial ou (A Suivre). Élu à l’Académie des Grands Prix à Angoulême en 1984, il reste très attaché au milieu de la bande dessinée qu’il aime et qui le lui rend bien. Le grand Will Eisner, membre de l’académie comme lui (Mézières est un des rares qui parle couramment l’anglais), ne venant en France qu’une année sur deux lui confie personnellement son vote.

Dessin de Jean-Claude Mézières extrait de "L’Art de Mézières"
© Dargaud

Mézières et le cinéma

Sa collaboration avec le cinéma tient du rendez-vous manqué. S’il dessine les décors et les costumes pour Un Dieu rebelle de Peter Fleischmann (1986) et pour Le Cinquième Élément de Luc Besson (1997), George Lucas emprunte plusieurs éléments de l’univers de Valérian sans que Christin et lui en profitent. Sa série Valérian et Laureline est adaptée en dessins animés au Japon (2007) mais le résultat est aussi décevant que le film de Luc Besson, La Cité des mille planètes (2017), en dépit de ses 197 millions d’euros de budget de production. Espérons qu’un jour le bel univers profond et complexe de Christin et Mézières trouve un jour son bonheur à l’écran.

Jean-Claude Mézières, Luc Besson et Pierre Christin
Photo DR - Europacorp distribution.

Mézières a été multicélébré par le monde. Outre son Prix d’Angoulême, il avait reçu le Inkpot Award pour son œuvre au ComicCon de San Diego en 2006, le Prix Haxtur en Espagne en 2011, le Prix Adamson en Suède en 2014, le Max und Moritz au salon d’Erlangen en Allemagne et le Prix Saint-Michel à Bruxelles en 2018. Le réalisateur Avril Tembouret lui a consacré un très beau documentaire, L’Histoire de la page 52, qui retrace la conception d’une planche d’une aventure de Valérian et Laureline.

Jean-Pierre Gibrat et Mézières en décembre 2021.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Sa dernière publication était le beau livre L’Art de Mézières publié en septembre 2021 aux éditions Dargaud, une célébration qui nous permet de nous plonger dans son travail, beau et puissant. On peut ajouter : généreux et sympathique, à l’image de cet homme que nous aimions beaucoup.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

En médaillon : Jean-Claude Mézières. Photo de Charles-Louis Detournay.

Valérian et Laureline France
 
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4 Messages :
  • C’est une nouvelle qui rend très triste.
    Il aura surtout été l’homme de l’ambitieuse série de SF Valérian, le fidèle complice de son ami Pierre Christin.
    Ayant pu l’approcher ou l’entendre en conférences,j’ai toujours été étonné par sa simplicité, sa gentillesse et son humilité.
    Toutes mes condoléances à ses proches !

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  • Much sympathy to the family from fans in North America. C’est avec une immense tristesse que nous avons appris le décès de Mézières aujourd’hui. Si sympathique, si gentil. A vrai dire, it’s hard to take in the sad news. C’était un des plus grands.

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  • L’appel à l’imaginaire de Jean Claude Mézières ne peut pas disparaître avec son décès . Combien de Laureline et de Valérian vont pleurer le départ d’un des créateurs de leur prénom. Avec la disparition de Jean Claude Mézières, ce sont des albums qui nous ont fait vibrer : d’Alflolol à Lady Polaris, de son aide à Canal Choc ou bien encore avec son Dieu Mafioso dans « Les foudres d’Hypsis » ils restent notamment dans ma mémoire . Avec son scénariste Christin il a aussi abordé la question environnementale, coloniale, l’égalité homme femme ou femme homme. En quelques mois la Bande Dessinée a perdu des acteurs essentiels de cet art : Mandryka, Cauvin … ils nous manquent déjà. Le transmuteur Grognon, les Shingouz vont devoir retrouver Jean Claude dans « Les habitants du ciel »

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  • Les portes de l’univers viennent de se refermer.

    Pour on ne sait quelle raison mystérieuse, nous avions eu accès au cosmos grâce aux fabuleux dessins de Jean-Claude Mézières. L’imaginaire sans faille du dessinateur de Valérian nous avait permis, mieux que n’importe quel télescope spatial, de contempler la galaxie et bien au-delà. Il était possible par la création de Mézières et Christin ( son égal en tous points) d’avoir une idée de ce que sera le monde de demain, non pas le monde, mais l’ensemble du monde. L’imaginaire trace des cartes que le réel dessine, à travers la technique, bien plus tard. Mézières était un prophète rassurant. Grâce à lui et à Christin, l’avenir devenait non pas inquiétant mais supportable, presque souhaitable. Car il a réussi par je ne sais quel miracle à nous faire sentir l’univers et l’ensemble de ses créations comme gentils, abordables, aimables. Le dessin est le sismographe de l’âme. L’âme de Mézières était belle car, passant par sa main qui transposait les visions du dessinateur sur le papier, il nous donnait à percevoir une sensation agréable de l’infiniment grand et des créatures qui l’habitent. Puisant dans les ressources du minuscule, il avait trouvé une synthèse qui rejoignait les deux mondes, l’infiniment petit et l’infiniment grand, a priori inconciliables pour la physique contemporaine, et il nous les donnait à vivre dans ce monde-ci. Nous pouvions accéder au cosmos, nous y promener, le ressentir, presque l’entendre…et sa musique était belle et puissante comme du Beethoven ou du Pink Floyd.
    Désormais nous sommes sourds. Les portes de l’univers viennent de se refermer. Heureusement il nous reste une petite consolation dans la lecture de ses livres pour contempler ce que nous pouvons qualifier, en paraphrasant Leibniz, le meilleur des cosmos possibles.

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