Comment un auteur tel que Guido Buzzelli, dont les histoires comme les dessins sont d’une force rare, peut-il rester oublié de si longues années par les éditeurs ? Alors que ses principales œuvres ont paru dans les années 1970 dans les revues majeures de bandes dessinées de l’époque, elles n’avaient jusque-là jamais été rééditées et devenaient donc de plus en plus difficiles à trouver. Les Cahiers Dessinées réparent cet oubli en éditant une anthologie en plusieurs volumes des récits du dessinateur italien.
Il faut lire, ou relire, les bandes dessinées de Guido Buzzelli pour tenter de comprendre. Elles ne sont pas anecdotiques ; elles sont au contraire inclassables et dérangent l’ordre établi, quel qu’il soit. Son trait est d’un élégant classicisme - sa maîtrise de la peinture figurative n’y est pas pour rien - mais ses compositions sont d’une audace encore étonnante aujourd’hui. Ses histoires, entre science-fiction, fantastique et onirisme, sont d’un sombre pessimisme, mais laissent la primauté à l’individu : rien de ce qui est humain n’était étranger à Guido Buzzelli, et il semble bien qu’il le savait.
Né en 1927 à Rome, où il a grandi, Guido Buzzelli a connu le fascisme et les Années de plomb. Ses bandes dessinées ne font certes pas directement référence aux drames de l’histoire contemporaine de l’Italie, mais sa vision de la société montre qu’il a été un observateur soucieux de la vie politique et sociale de son époque. La lutte des faibles contre les puissants et l’impossible victoire contre une machine écrasante pourrait presque faire penser au marxisme, si le dessinateur n’avait pas le souci de donner à ses personnages une volonté qui, même si elle est souvent vaine, les anime et les distingue en tant qu’êtres humains.
Guido Buzzelli a commencé très tôt sa carrière. Ses premiers dessins sont publiés alors qu’il n’a que dix-neuf ans. Il étudie, en parallèle, à l’Académie d’art de San Luca, à Rome. Cette double expérience originelle le marque et se retrouve ensuite dans toutes ses œuvres. Il a le trait sûr d’un peintre académique - sa maîtrise de l’anatomie humaine et animale est impressionnante - mais reste attaché aux supports populaires, en particulier la bande dessinée.
Il travaille au Royaume-Uni dès les années 1950, avant d’exposer des peintures en Italie. Mais il ne peut échapper à la bande dessinée... La Révolte des ratés (1966) ne rencontre pas vraiment le succès. C’est finalement en France qu’il trouve les conditions pour développer son art. Sa rencontre avec Georges Wolinski, en 1970, est décisive. [1] Guido Buzzelli publie ensuite, seul ou en collaboration avec un scénariste (Alexis Kostandi, Gourmelen...), dans Charlie Mensuel, mais aussi Circus, Pilote, L’Écho des savanes ou encore Métal Hurlant.
Le dessinateur doit, dans les années 1980, diversifier ses activités : à l’époque déjà, peindre et dessiner ne donne que rarement de quoi vivre. Il travaille pour la presse et la télévision. Fatigué par toutes ces tâches et par la maladie, il meurt en 1992.
Depuis, ses bandes dessinées ont été négligées. Les Cahiers Dessinées pallient le manque. Deux gros ouvrages ont ainsi déjà été édités, le premier - en lice dans la sélection Patrimoine du FIBD 2019 - en janvier 2018, le second en janvier 2019.
Le premier volume regroupe quatre récits longs : Le Labyrinthe, Zil Zelub, Annalisa et le Diable, L’Interview ; le second rassemble des histoires plus courtes : L’Agnion, L’Auberge, Un Type angélique, La Révolte des laids, Au Dernier étage, Le Métier de Mario, Les Vacances, c’est aussi l’aventure, Coup d’État, Place du peuple et La Guerre vidéologique. Notons que certains titres ont évolué depuis la première édition sous l’effet d’une nouvelle traduction. Ainsi, La Révolte des ratés devient La Révolte des laids et L’Agnone devient L’Agnion. Chaque tome contient également une préface, une notice biographique et surtout des documents, tels que des esquisses et croquis de Guido Buzzelli, rappelant sous une autre forme sa virtuosité, son sens du mouvement et l’expressivité de ses portraits.
L’âpreté de ses récits, qui ne se terminent jamais directement sur une note positive, la variété de leur taille même, éloignée des canons éditoriaux, et le malaise que peuvent provoquer parfois ses dessins par leur intensité expliquent peut-être cette longue parenthèse subie par les bandes dessinées de Guido Buzzelli. Mais elle est maintenant refermée, et c’est finalement une heureuse ouverture vers la redécouverte de son œuvre.
(par Frédéric HOJLO)
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Œuvres I - Par Guido Buzzelli - Les Cahier Dessinés - préface de Frédéric Pajak - traduit de l’italien - 24 x 30 cm - 224 pages en noir & blanc - couverture cartonnée - parution le 4 janvier 2018.
Œuvres II - Par Guido Buzzelli - Les Cahier Dessinés - préface de Jean-Noël Orengo - traduit de l’italien par Christophe Mileschi - 24 x 30 cm - 240 pages en noir & blanc - couverture cartonnée - parution le 10 janvier 2019.
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[1] Angoulême, à deux reprises, lui a consacré une exposition.
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