Pour les historiens de la caricature, la couverture blanche qui adorne le dernier numéro de Penguen évoque immanquablement la page caviardée de La Lune Rousse critiquant Napoléon III ou encore la couverture « responsable » de Charb pour Charlie Hebdo. Des moments où soit un pouvoir autocratique, soit un courant majoritaire d’opinion étouffe la liberté de conscience et d’expression…
Quelques semaines à peine après l’auto-sabordage de Gırgır par un éditeur effrayé des poursuites judiciaires qu’il risquait d’encourir pour un dessin critique vis-à-vis de Moïse (vraiment pas de quoi fouetter un chat !), c’est au tour de Penguen d’annoncer son retrait des kiosques.
Penguen était un journal satirique qui avait été fondé le 25 septembre 2002 par une équipe dissidente du fameux magazine LeMan, le « Charlie Hebdo turc » toujours en activité, composée de quelques-uns des meilleurs talents de l’hebdomadaire, notamment Metin Üstündağ, Bahadır Baruter, Selçuk Erdem et Erdil Yaşaroğlu.
Comme ses collègues LeMan, Uykusuz et (un peu moins) Gırgır, le journal était impertinent avec le pouvoir et affichait une laïcité militante. Elle n’avait pas hésité à afficher, comme les autres journaux satiriques turcs, leur solidarité pour les dessinateurs de Charlie Hebdo assassinés en janvier 2015.
Mais depuis les événements de Gezi (mai-juin 2013), l’étau se resserrait autour de la presse d’opinion turque. Déjà en mars 2015, deux artistes de Penguen, Özer Aydoğan et Bahadir Baruter, avaient été condamnés à la prison pour avoir publié un dessin offensant pour le président islamo-conservateur Recep Tayyip Erdoğan.
Depuis, les caricaturistes sont à la fois persécutés par le pouvoir, comme par exemple la saisie par la police du « Spécial Coup d’État » de LeMan au lendemain du putsch raté de juillet 2016, mais aussi par une certaine « société civile » qui profère menaces de mort et harcèlements divers sur les réseaux sociaux. Sur sa page Facebook, où un chat remplace désormais sa photo de profil, Seyfi Sahin, l’auteur de la fameuse caricature de Moïse, écrit : « Quand tous les journaux satiriques auront fermé, quand le dernier trait d’humour aura été prononcé, quand toute opposition sera anéantie, alors le citoyen se dira qu’il a peut-être merdé… »
Cette fermeture de Penguen au moment-même où Erdoğan a obtenu par référendum des pouvoirs de gouvernement étendus en dit long sur l’espoir du maintien en Turquie d’une presse libre.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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