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Le magazine satirique turc Penguen ferme ses portes à son tour

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 24 avril 2017                      Lien  
Le magazine Penguen annonce sa fermeture d’ici quatre numéros. La raison avancée est financière. Mais cette explication cache une réalité bien plus concrète : la disparition d’une presse satirique libre dans le pays de M. Recep Tayyip Erdoğan.

Pour les historiens de la caricature, la couverture blanche qui adorne le dernier numéro de Penguen évoque immanquablement la page caviardée de La Lune Rousse critiquant Napoléon III ou encore la couverture « responsable » de Charb pour Charlie Hebdo. Des moments où soit un pouvoir autocratique, soit un courant majoritaire d’opinion étouffe la liberté de conscience et d’expression…

Le magazine satirique turc Penguen ferme ses portes à son tour
Dans un tweet du 21 avril 2017, Penguen annonce sa fin prochaine.
Photo DR

Quelques semaines à peine après l’auto-sabordage de Gırgır par un éditeur effrayé des poursuites judiciaires qu’il risquait d’encourir pour un dessin critique vis-à-vis de Moïse (vraiment pas de quoi fouetter un chat !), c’est au tour de Penguen d’annoncer son retrait des kiosques.

Penguen était un journal satirique qui avait été fondé le 25 septembre 2002 par une équipe dissidente du fameux magazine LeMan, le « Charlie Hebdo turc » toujours en activité, composée de quelques-uns des meilleurs talents de l’hebdomadaire, notamment Metin Üstündağ, Bahadır Baruter, Selçuk Erdem et Erdil Yaşaroğlu.

Comme ses collègues LeMan, Uykusuz et (un peu moins) Gırgır, le journal était impertinent avec le pouvoir et affichait une laïcité militante. Elle n’avait pas hésité à afficher, comme les autres journaux satiriques turcs, leur solidarité pour les dessinateurs de Charlie Hebdo assassinés en janvier 2015.

Mais depuis les événements de Gezi (mai-juin 2013), l’étau se resserrait autour de la presse d’opinion turque. Déjà en mars 2015, deux artistes de Penguen, Özer Aydoğan et Bahadir Baruter, avaient été condamnés à la prison pour avoir publié un dessin offensant pour le président islamo-conservateur Recep Tayyip Erdoğan.

Depuis, les caricaturistes sont à la fois persécutés par le pouvoir, comme par exemple la saisie par la police du « Spécial Coup d’État » de LeMan au lendemain du putsch raté de juillet 2016, mais aussi par une certaine « société civile » qui profère menaces de mort et harcèlements divers sur les réseaux sociaux. Sur sa page Facebook, où un chat remplace désormais sa photo de profil, Seyfi Sahin, l’auteur de la fameuse caricature de Moïse, écrit : « Quand tous les journaux satiriques auront fermé, quand le dernier trait d’humour aura été prononcé, quand toute opposition sera anéantie, alors le citoyen se dira qu’il a peut-être merdé… »

Cette fermeture de Penguen au moment-même où Erdoğan a obtenu par référendum des pouvoirs de gouvernement étendus en dit long sur l’espoir du maintien en Turquie d’une presse libre.

Au XIXe siècle déjà, les journaux satiriques étaient en butte avec la censure, comme dans ce dessin d’André Gill montrant Victor Hugo face à l’aigle terrassé de Napoléon III.
Ce dessin devant paraître dans La Lune rousse du 7 octobre 1877 a été interdit. A la place, le journal publie ce placard : « Notre dessin refusé avait trait au nouveau livre de Victor Hugo. Il représentait le Maître en robe de juge, écrivant son œuvre sur un bronze où se lisait : Le crime du deux décembre, et mesurant du regard l’aigle de l’Empire étendu à ses pieds. La censure n’a pas voulu tolérer ce croquis dépourvu d’enthousiasme pour l’oiseau bonapartiste. C’est pourquoi nos lecteurs devront se contenter, pour aujourd’hui, d’une réclame à l’Eau Bazana, où la République, d’ailleurs, montre de belles dents. Amen ! --- La Lune rousse. »
Le dessin censuré (à droite) a cependant été publié dans un tiré à part.
Plus proche de nous, Charb ironisait sur une presse satirique "responsable"...
© Charb / Charlie Hebdo

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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4 Messages :
  • Un journal qui "ferme ses portes" ? Houla... Pas obligé d’employer d’expression imagée pour parler de dessin, hein. Un lieu "ferme ses portes", certes, mais pas une publication. Elle cesse de paraître...

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    • Répondu par Sergio Salma le 25 avril 2017 à  12:14 :

      Houlà ! Voilà quelqu’un qui n’intègre pas le sens figuré, magnifique . Fermer ses portes évoque bien pourtant la triste réalité et est donc une expression parfaitement adéquate. Et tant qu’à faire le magazine c’est aussi l’entreprise et pas seulement les quelques feuilles de papier imprimées. Dans ce cas le figuré dévie vers la figure de rhétorique appelée métonymie. Exemple "je bois un verre". Ou comment papoter futile ( j’en remets une couche ) alors que l’article évoque la gravité de la situation.

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      • Répondu par Samuel le 25 avril 2017 à  21:12 :

        "Mettre la clé sous la porte" ? :)

        Pareil pour le chapô, dire qu’un journal va "fermer", c’est incorrect.

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  • A propos de Charb, on a appris en France depuis l’attentat qu’il était plus proche de certaines grosses légumes qu’il voulait le dire, en particulier que F. Hollande lui avait suggéré une idée pour renflouer "Charlie-Hebdo" au bord de la faillite.

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