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Le marché francophone est entré dans un âge d’or du comic book

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 29 mars 2014                      Lien  
Dans le domaine de la bande dessinée anglo-saxonne, nous vivons ces derniers temps un étonnant et singulier âge d'or. Accompagnant deux expositions majeures accrochées aux cimaises parisiennes ([L'Art des super-héros Marvel au Musée d'Art ludique->art15998] et l'exposition ["Super-héros : L’art d’Alex Ross" au Mona Bismarck American Center->art16051]), les éditeurs mettent les bouchées doubles. Une incroyable bibliothèque se constitue.

Lorsque les premiers clubs de bande dessinée se constituent en France, au début des années 1960, c’est surtout la bande dessinée américaine que ses fans ont en ligne de mire. Leurs membres ont en mémoire les magnifiques comic strips d’Harold Foster, d’Alex Raymond, ou de Burne Hogarth qu’ils avaient découverts dans les grands journaux d’avant-guerre : Mickey, Robinson, Hop-Là... et les plus jeunes d’entre eux (notamment un certain Jean-Pierre Dionnet) se rendent compte de la richesse des comic-books contemporains (qui paradoxalement aboutissent quasi simultanément en France à travers leur succédané artistique : le Pop-Art...) alors même que sa diffusion dans l’hexagone est entravée par la Commission de censure de la Loi de 1949.

Le marché francophone est entré dans un âge d'or du comic book
"Des Comics et des artistes - Portraits" par Christopher Irving et Seth Kushner (Ed. Muttpop). Financé grâce au crowdfunding.

Dans les années 1970, ces barrières s’effacent progressivement pour créer, grâce aux éditions Lug à Lyon, une "génération Strange" qui place définitivement Marvel sur le pavois.

Parallèlement, le travail de l’éditeur Fershid Barucha qui travaille depuis des années, soit seul, soit au travers d’opérateurs comme Glénat, pour mettre les grands auteurs de comics en librairie, trouve un relais auprès de jeunes éditeurs comme par exemple Doug Headline (avec le label Zenda) ou Guy Delcourt qui popularisent des auteurs comme Alan Moore ou Frank Miller sur le marché francophone.

La fin des années 1990 se signale par un léger déclin du comic book en France, juste avant l’arrivée sur le marché du label Panini Comics qui prolonge le travail de Strange et des éditions Lug/Semic en kiosque, mais qui surtout change la nature du marché en maintenant le comic book en librairie, ce qui a pour effet de lui constituer un patrimoine disponible en permanence sous la main des nouveaux lecteurs intéressés par ces univers. Une culture du comic book est en train de se construire...

Quand arrive la déferlante des films de super-héros et des séries TV tirées des comics au début des années 2000, le public francophone a les bases suffisantes pour en appréhender la sophistication, presque au même niveau que le lecteur de comic book US moyen. La génération Star Wars peut se constituer sa bibliothèque grâce au label Delcourt US cornaqué par Thierry Mornet, précédemment éditeur de Semic. Elle sera bientôt relayée par la génération Walking Dead. Les comics, jusqu’ici invisibles en librairie, seulement réservés aux aficionados, gagnent des facings dans les FNAC, au même titre que les mangas, et sans doute aussi grâce à eux.

La Continuity des comic books s’est désormais installée dans les salles de cinéma, entraînant un mouvement culturel de grande ampleur. On commence à s’intéresser de plus en plus aux créateurs de ces grands mythes modernes. Les festivals français invitent très tôt les grands auteurs américains de comics : Will Eisner, Harvey Kurtzman, Burne Hogarth, Chris Claremont et d’autres font le voyage d’Angoulême. Des salons dédiés, les Comic Con, font leur apparition dans le milieu des années 2000, dans le sillage des mangas. Des expositions, comme De Superman au Chat du rabbin en 2007, contribuent à donner aux comics une valeur culturelle accrue.

"BD, Comics, Mangas… : Les lignes bougent…" écrivions-nous en juillet 2011 au moment où Dargaud lance le label Urban Comics. À l’époque, les observateurs ne donnent pas cher de ce nouveau label qui fait alliance avec DC Comics (une division de Warner). Mais l’Inprint de Dargaud réussit son pari grâce à une publication volontariste d’ouvrages très bien édités et exploités régulièrement en librairie, alors que, de son côté, le management des éditions Panini, en particulier dans sa communication, s’avère nettement plus fantasque. Peut-être le rachat de Marvel par Disney jette-t-il aussi un flou sur l’avenir de la marque aux figurines... Toujours est-il que Urban Comics est devenu l’un des acteurs majeurs du comics en France et que sa progression depuis deux ans est patente.

À cela s’ajoute un déploiement culturel. Des ouvrages d’une incroyable sophistication apparaissent sur le marché. Nous en citerons deux, qui nous semblent les plus réussis publiés ces derniers mois : Des Comics et des artistes - Portraits par Christopher Irving et Seth Kushner (Ed. Muttpop), publié l’année dernière, et surtout le premier volume de Jack Kirby, le super-héros de la bande dessinée par Jean Depelley (Neofelis) paru en janvier 2014.

"Jack Kirby, le super-héros de la bande dessinée" par Jean Depelley (Neofelis)
Tirée à seulement 1000 exemplaires, elle est la biographie de Kirby la plus complète à ce jour.

Des comics et des artistes est un petit joyau. Avec à chaque fois en frontispice un magnifique portrait photographique de l’artiste, l’ouvrage nous fait connaître les grandes figures du comic book, dont certaines nous sont peu connues. Si nous sommes habitués de lire des choses sur Will Eisner, Jack Kirby, Stan Lee, Neal Adams, Frank Miller voire Joe Quesada, il est moins courant d’en apprendre sur Joe Simon (le scénariste de Captain America), Jerry Robinson (le créateur de Robin, le comparse de Batman, et du Joker), Joe Kubert, Jules Feiffer, Gene Colan, Dennis O’Neil, l’éditeur Paul Levitz, Walt Simonson, Larry Hama,... mais aussi des auteurs plus "modernes" comme Peter Bagge, Scott McCloud, Jim Lee, Grant Morrison, Neil Gaiman, Alex Ross, Brian Michael Bendis, Chris Ware, Paul Pope, Brian Azzarello, Jessica Abel, Dash Shaw et bien d’autres. Un formidable instantané de la culture du comics d’hier et d’aujourd’hui, illustré avec soin et truffé d’informations inédites. On notera que cet ouvrage a pu exister grâce au financement participatif. C’est en effet la plateforme de crowdfunding Ulule qui a permis à ce volume magnifique d’arriver en librairie. Merci, les fans !

La biographie de Jean Depelley à propos de Jack Kirby est sans aucun doute la plus fouillée à ce jour, même par rapport aux ouvrages du même genre publiés aux États-Unis. Journaliste et éditeur, Depelley contribue depuis des années au Jack Kirby Collector et est probablement un des spécialistes de Kirby les plus pointus au monde. Cela se voit dans ce fort volume rempli jusqu’à la gueule d’illustrations qui constitue la biographie la plus complète à ce jour du dessinateur et co-créateur de X-Men, Hulk, Thor, Iron Man, des 4 fantastiques, du Captain America et de combien d’autres. C’est un maître-ouvrage qui recouvre les premières années de création du jeune Kirby (1917-1965), celles qui le voient, justement, jeter les fondations de sa légende. Incontournable.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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8 Messages :
  • Quelle est la musique qui accompagne le livre, dans la vidéo ?

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  • Je voulais juste signaler à nos amis suisses qu’ils ne seront pas oubliés. En avril commencera une importante exposition sur le sujet à Yverdon.

    Coté présence en kiosques, il faut aussi signaler une collection consacrée aux super-héros Marvel en kiosques. Editée par Hachette-Collections, la série de soixante volumes cartonnés propose en quelque sorte le meilleur de Marvel, même si le choix est discutable (on parle plus de sagas que d’artistes !) et s’il s’agit de la traduction d’une anthologie déjà publiée en Angleterre, Australie et Afrique du Sud.

    Quoi qu’il en soit, cela met en évidence un important coup de canif au contrat d’exclusivité qui liait Panini (ancienne filiale de Marvel, devenue autonome par la grâce d’un LBO (leverage buy-out) réalisé par ses cadres dirigeants) à la Maison des Idées, quand elle manquait de trésorerie. Hachette-Collections va contribuer à populariser cet univers, n’hésitant pas à réimprimer des histoires mythiques épuisées depuis longtemps.

    Captain America figure sur l’affiche de l’expo Art Ludique que l’on trouve dans le métro parisien. Le second film est meilleur qu’attendu, les séquences de combats physique sont bien rendues, même si elles lorgnent par moment vers les jeux-vidéos d’infiltration, les poursuites automobiles sont spectaculaires, et Robert Redford y fait une apparition importante et inattendue, en costume-cravate. Scarlet est impeccable, et il y a une micro-apparition de Stan Lee, habillé en gardien. Un bon film d’action qui interroge indirectement sur l’a surveillance satellitaire du type NSA.

    Le livre de Jean Dupelley est un formidable hommage au King, mais je crois que son tirage est de l’ordre de 1000 exemplaires, donc on le trouve uniquement dans quelques bonnes librairies spécialisées (mais heureusement, on peut sans doute le commander par correspondance.)

    Ce livre complète les nombreux articles parus depuis plus de trente ans dans la presse fanzine : Scarce (qui est toujours vivant, même s’il a réduit sa périodicité !)en premier, mais aussi SWOF, Back-Up, sans oublier la revue consacrée par Daniel Tesmoingt en Belgique à l’oeuvre du King.

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    • Répondu par Capitaine Kérozène le 31 mars 2014 à  03:31 :

      Merci pour cet article.
      Si le livre de Depelley est effectivement indispensable, il n’en est pas de même à mon avis pour "Des comics et des artistes". Le livre est certes beau encore que d’un format petit, les photos très réussies mais le texte est inintéressant au possible, les propos sont très superficiels et la traduction est déplorable et bourrée de fautes.
      Habitant à l’étranger, je me rends compte à quel point le marché français de la BD est ouvert et pas seulement celui de la BD, d’ailleurs, c’est la même chose avec le cinéma.
      On peut voir en France des productions du monde entier. Essayez de trouver des BD francophones traduites aux USA ou au Japon où j’habite, vous m’en direz des nouvelles.
      Les auteurs français traduits dans l’archipel se comptent sur les doigts d’une main, et c’est pareil pour les comics, ce qui est rassurant en soi : Marvel pas plus que DC n’arrivent à percer sur le marché japonais malgré les blockbusters largement distribués au cinéma.
      Côté marché US, c’est la même chose, les auteurs français brillent par leur absence.
      Comme toujours quand il s’agit de culture, il semble que les productions françaises n’intéressent qu’un marché de niche composé d’amateurs éclairés et de professionnels des arts visuels qui vont s’inspirer de nos auteurs, voire les piller sans vergogne.

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      • Répondu par Nicolas F le 1er avril 2014 à  09:59 :

        @capitaine kacroza
        Je suis l’éditeur de des comics et des artistes
        et je suis surpris par vos propos aussi définitifs, qui ne donnent aucun exemple pour justifier de notre traduction déplorable (que vous êtes le premier à nous signaler de cette manière)
        Dire que le propos est superficiel, je laisse ça à votre seul jugement mais si vous pouviez nous donner quelques exemples d’erreurs de traduction, je vous en saurai gré afin de nous permettre de les corriger un jour.
        merci
        nicolas

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        • Répondu par Capitaine Kérozène le 2 avril 2014 à  04:19 :

          Capitaine Kérosène (le site ne prend pas les accents dans les titres).
          Le terme "déplorable" est exagéré et un peu injuste, j’en conviens. J’ai d’ailleurs regretté son emploi après avoir posté le message.

          Disons plutôt que je trouve la traduction scolaire. On sent à de nombreux endroits qu’elle colle de trop près au langage parlé américain et "sonne faux" à la lecture.

          Quant aux fautes d’orthographe et de grammaire, j’en ai comptées plusieurs. Mais, je suis incapable de vous en donner le détail car je ne les ai pas notées (à quoi cela aurait-il bien pu servir ?) et je n’ai pas très envie de relire ce texte très superficiel dans lequel on n’apprend pas grand chose. C’est une approche typiquement américaine pour ce genre d’ouvrage, vous n’y êtes pour rien.

          En dépit de son petit format, la présentation du livre est ambitieuse. Les photos, parfois émouvantes, sont magnifiques, de même que la couverture, la qualité du papier et de la mise en page. L’imprimeur chinois a fait du bon travail.

          Cependant, cela n’a pas suffit à me contenter et j’ai, au final, regretté l’achat de ce bel écrin vide.

          Je conseillerais donc ce livre plutôt à ceux qui n’ont pas une connaissance très étendue des comics mais qui sont intéressés par un survol général du genre. A eux de creuser ensuite un peu plus le sujet par d’autres lectures.

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    • Répondu par Jean miX.L. le 31 mars 2014 à  14:12 :

      Concernant la collection Hachette, elle a été faite avec l’aval et la participation de Panini qui a toujours l’exclusivité sur la publication des comics Marvel en France.

      A propos de Scarce, sa périodicité a été ralentie involontairement car son rédacteur en chef a été en convalescence plusieurs mois suite à un accident. Sans parler du fait que ses intervenants ont de nombreuses activités à côté (notamment en travaillant pour des éditeurs de comics VF par exemple).

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