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Le ministre des finances paie le loyer du CBBD

Par Nicolas Anspach Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 23 octobre 2005                      Lien  
Une véritable bouffée d'oxygène vient d'être offerte au Centre Belge de la Bande Dessinée par Didier Reynders, le ministre belge des finances, balayant ainsi une grande partie des problèmes financiers du centre, et une polémique vieille de seize ans.

En septembre dernier, le Centre Belge de la Bande Dessinée réunissait les journalistes pour présenter ses projets, mais aussi pour leur faire part de son inquiétude devant la baisse des subventions que recevait cette institution, vitrine de la BD belge. Jean Auquier, le directeur de la communication du Centre Belge de la Bande Dessinée (CBBD), s’était déjà exprimé sur ces questions dans nos pages lors de la fermeture du Musée Jijé.

Depuis seize ans, les pouvoirs publics belges ont peu été sollicités par un Centre Belge géré par une ASBL [1] dont le montant des subsides correspond à moins de 5% des ses frais de fonctionnement. C’est surprenant, maid c’est comme cela. Ainsi, pour le dernier exercice fiscal, si l’on en croit M. Auquier, le Centre aurait reçu seulement 44.000 € de la part de la Communauté Française, de la Loterie Nationale et de la Cocof et 30.000 € de la Communauté Flamande. La région Bruxelles Capitale, dans laquelle est située le Centre qui occupe une fonction muséale permanente, ne verse plus quant à elle aucun subside depuis 1997 !

Une mission de promotion et de préservation

Ces sommes sont dérisoires, comparées aux frais de fonctionnement globaux du Centre (de l’ordre de 1.470.000 € par an). Une institution sur laquelle repose pourtant la mission de promouvoir l’un des arts les plus vivaces du plat pays, dont le rayonnement est international, au point que c’est à Bruxelles qu’Albert Uderzo est venu lancer le dernier Astérix.

Le Centre a également une autre mission cardinale : celle de sauvegarder et de mettre en valeur son bâtiment, un chef-d’œuvre de l’Art Nouveau dessiné par l’architecte Victor Horta. Un architecte et un mouvement célébrés avec faste cette année par les mêmes instances culturelles belges, sans que cela profite pour autant au bâtiment de la rue des Sables.

Une situation devenue précaire

Le Centre doit beaucoup à l’impulsion originelle de Guy Dessicy [2] qui en a repris la présidence (un temps assurée par Jean Van Hamme), tandis que, parité linguistique oblige, le dessinateur flamand Ferry Van Vosselen (alias Ferry) en assure la vice-présidence.

L’équipe qui dirige le centre était à bout de souffle. Pour assurer la pérennité des vingt emplois qu’elle occupe, le chiffre d’affaires courant ne suffisait plus. Pourtant, sa situation est saine : 50% des recettes proviennent des entrées visiteurs ; 10% sont le résultat de la location de l’espace librairie (Slumberland) et de la brasserie ; 15% proviennent des prêts et locations de l’espace à des fins privées (cocktails, séminaires, etc.) et enfin 20% sont liés à des produits d’édition ou à la réalisation d’expositions pour des clients institutionnels extérieurs. Le solde étant donc assuré par les instances politiques belges.

Payer le loyer...

Mais une épée de Damoclès pesait ostensiblement sur ce bilan : le bâtiment qui abrite le Centre Belge, les anciens magasins Waucquez, sont la propriété de la Régie des Bâtiments de l’Etat belge qui ne concédait pas les lieux gratuitement. Cet organisme a, en effet, acquis l’immeuble en 1985 et, dans un but de préservation du patrimoine, réalisé les travaux de rénovation. Après les trois premières années de location concédées gratuitement, le CBBD se devait de payer depuis plusieurs années un loyer de 100.000 € par an. Une charge irréaliste et insupportable pour la fragile ASBL belge.

En mars 2005, Jean Auquier confiait au quotidien belge Le Soir [3] : « Nous vivons des fins de mois difficiles pratiquement depuis l’inauguration, en 1989. Nous avons toujours réglé nos dettes. Sauf une : celle envers la Régie des Bâtiments de l’Etat, propriétaire des lieux. Nous ne payons tout simplement pas notre loyer. Nous serions bien incapables de le faire et nous ne l’avons du reste jamais fait  ».

Imbroglio politique

Nous soulignions récemment que la dette cumulée du Centre vis-à-vis de l’Etat belge atteignait désormais le montant de 1.600.000 €. On pourrait se dire qu’il aurait suffi d’un petit coup de plume politique pour réduire cette dette à zéro. C’était sans compter avec les complications de l’imbroglio politique belge. En effet, une structure fédérale telle que la Régie des Bâtiments ne peut statutairement pas financer des projets culturels. Les Communautés Française et Flamande, compétentes pour ce type de dossier, n’ont quant à elles aucune volonté d’endosser une créance due aux instances fédérales ! On voit souvent ce genre de situation en Belgique : les différentes parties se regardant en chiens de faïence pendant que le bateau coule...

La situation était kafkaïenne : des huissiers débarquaient de temps à autre dans le Centre pour réclamer le paiement du loyer. Et repartaient bredouilles. Car, dans la situation qui était la sienne, le Centre évitait soigneusement d’être propriétaire des originaux et autres documents qui sont proposés au public. Il préfère les prendre en dépôt de manière à ce que les collections ne puissent pas être saisies par la justice.

Le ministre fédéral belge des Finances , Didier Reynders, paie la note

Le ministre belge des finances vient de promettre, ce mercredi 19 octobre, de prendre les mesures nécessaires afin que, pour le passé, l’Etat Belge renonce à la réclamation des loyers impayés et qu’à l’avenir, le bâtiment concerné soit mis gratuitement à disposition de l’ASBL gérant le CBBD. Autrement dit, la dette de 1.600.000 € envers la Régie des Bâtiments est effacée grâce à la bonne volonté de l’état. Si on en croit le site Internet officiel du ministre, celui-ci apprécie le neuvième art (Alix, Canardo, Natacha, Le Chat, Les Passagers du vent, etc.). Et en particulier les bandes dessinées dont le sujet rejoint ses compétences : Largo Winch et IR$ ! Serait-ce donc cette passion qui a motivé le Ministre à se pencher sur ce dossier, devenu si poussiéreux après tant d’années ?

Le ministre des finances paie le loyer du CBBD
Didier Reynders au CBBD
Photo (c) Daniel Fouss.

Le Centre Belge de la BD a également appris avec ravissement que le Conseil des Ministres a décidé de proposer à la signature du Chef de l’État [4] un subside exceptionnel d’un million d’euros, à prélever sur la caisse de la Loterie Nationale [5], pour le CBBD, ce qui est de nature à donner une impulsion nouvelle à ses activités !

Une heureuse nouvelle donc, qui soulage à moyen terme le Centre. Mais ce n’est sûrement pas une solution à long terme pour promouvoir la bande dessinée de manière dynamique en Belgique.

Rejoignant semble-il cette analyse, Didier Reynders, lors de la conférence de presse qui a suivi sa visite au CBBD, a appellé les autorités compétentes (régionales, cette fois) à assumer leurs responsabilités pour l’octroi de subventions plus conséquentes en faveur de cette institution bruxelloise.

Une discrétion étonnante des autres tutelles

Car, en effet, alors que ces derniers mois plusieurs événements avaient été organisés à Bruxelles autour de la BD, la participation des responsables du CBBD était particuliérement discrète, pour ne pas dire absente. Depuis le début de l’année, la ville de Bruxelles a généreusement contribué à deux manifestations dont on ne peut nier qu’elles avaient in fine une vocation commerciale : le Festival Tintin (en juillet dernier) et l’exposition Le Monde Miroir d’Astérix en septembre et actuellement. Or l’engagement de la Ville sur ces deux événements a été total, et pour des sommes que l’on devine importantes.

À propos de l’engagement de la ville dans ces actions, les dents n’ont d’ailleurs pas manqué de grincer. Est-ce le rôle, objecte-t-on dans certains milieux culturels, des autorités culturelles et touristiques communales bruxelloises [6] que de soutenir des « marques » déjà largement connues ? Oui, sans doute. L’impact positif sur l’image de la ville le justifie largement.

Une citadelle assiégée ?

Il faudrait que le Centre Belge sorte du cycle infernal de l’endettement effacé par des aides ponctuelles. Il semblerait normal, en raison de sa dimension pérenne et muséale qui fait défaut aux événements précités, que cette institution reçoive des subventions permanentes de la part des institutions régionales comme fédérales. Comment expliquer l’absence de subsides des ministères de la Culture et de l’Education ? Il y a là une anomalie.

Par ailleurs, est-il normal que la Région Bruxelles Capitale finance un Festival de la Bd de la Région Bruxelles-Capitale, à Saint-Gilles, une commune faisant partie de l’agglomération bruxelloise qui jouxte le gare du midi et les Marolles, soutenu par un ministre-président de la région, Charles Picqué (PS), tout en se désintéressant de la plus ancienne et de la plus légitime institution BD bruxelloise ? Nous affirmons que non.

Il nous semble que le Centre Belge de la Bande Dessinée est devenu une sorte de citadelle assiégée qui paye aujourd’hui une indépendance longtemps voulue envers et contre tout.

Exposition temporaire : « Les dessinateurs de la démocratie espagnole »

En attendant que les autorités compétentes se saisissent du problème du financement du Centre, on peut admirer la nouvelle exposition provisoire consacrée aux dessinateurs de la démocratie espagnole. Une rétrospective [7] qui met l’accent sur l’émergence de la bande dessinée adulte en Espagne après la mort de Franco. On peut y admirer des planches de Carlos Gimenez, Daniel Torrès, Mixelangelo Prado et Ruben Pellejero. Mais également des travaux d’autres auteurs qui ne sont pas encore publiés dans nos contrées.

(par Nicolas Anspach)

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

La photo de Didier Reynders est (c) Daniel Fouss.

[1Association Sans But Lucratif, comparable aux associations Loi 1901 en France.

[2Ami et ancien coloriste d’Hergé, il anima pendant plusieurs décennies l’agence de publicité Publiart, propriété de Raymond Leblanc, le patron des éditions du Lombard. Les studios de Publiart commandèrent bon nombre de travaux aux artistes du Journal Tintin tout au long des année cinquante à soixante-dix.

[3Le Soir du 2 mars 2005

[4Le Roi des Belges.

[5En 2004, la Loterie Nationale Belge a octroyé, par voie de subsides, un montant de 210.191.000 € à la coopération au développement, à des projets sociaux, à la culture, à la science et au sport. Cet argent provient des profits obtenus grâce aux jeux émis par la Loterie. Seuls 50% des sommes jouées reviennent aux gagnants ! La Loterie Nationale Belge axe généralement ses compagnes publicitaires sur son rôle de mécénat, déculpabilisant ainsi les joueurs qui dépensent leur argent.

[6Une alliance PS-Écolo

[7Visible jusqu’au 11 décembre 2005 au CBBD - Rue des Sables 20 - 1000 Bruxelles

 
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