Nous ne nous étions pas aperçus de l’ampleur avant que Jean-Loup Pepahune </B>de chez Backchich ne le remarque et que surtout que notre ami italien Francesco Artibani ne nous signale l’usage du petit Gaulois à des fins xénophobes par la Ligue du Nord en Italie.
Le point de départ est un procès perdu en octobre 2005 par les éditions Albert René contre Mobilix, une marque déposée par France Telecom attaquée par la maison d’édition d’Albert Uderzo. Le tribunal l’avait déboutée, considérant que « Les éditions Albert René ne sauraient se prévaloir d’aucun droit exclusif sur l’emploi du suffixe ‘ix’. »
Sarkozy le Français et Astérix la Gaulois
Dans la foulée, un blog ouvrit ses pages à toutes les parodies antisarkoziennes sous le titre « Sarkozix ». Par la suite, l’humoriste Bernard Mabille écrivit un spectacle intitulé « Sarkozix le Gaulois » joué au Théâtre des 2 Ânes en septembre 2007, quelques mois après l’élection de Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle, au moment où le président fraîchement élu visite la Vallée des Rois en Egypte en compagnie de Carla Bruni. Ce commentaire acerbe de l’actualité réunissait quelques-uns des meilleurs comédiens du boulevard parisien parmi lesquels Jean Amadou, Jacques Mailhot, Patrick Font, Florence Brunold, Michel Guidoni, Thierry Rocher, Jean-Pierre Marville ou Pierre Douglas. ‘Il comble tous nos désirs, dit alors Jean Amadou aux caméras de France 2, « il suffit d’ouvrir le journal le matin et la manne tombe, il n’y a plus qu’à choisir ! » commentant l’intarissable source de gags provoquée par le nouveau président.
« Sarkozy se prête facilement à la BD car il est lui-même une caricature ! » renchérissait dans nos colonnes Richard Malka, auteur à succès d’une Face kärchée de Nicolas Sarkozy (Vent d’Ouest) qui a été un énorme succès de librairie.
L’éditeur Guy Delcourt rebondit sur la bonne affaire en proposant Les Aventures de Sarkozix qu’il signe lui-même en compagnie de Bruno Bazile et de Wilfrid Lupano lequel déclare au micro de notre collaborateur Charles-Louis Detournay : « La caricature possède cette facilité de mettre en lumière des éléments parfois noyés dans notre quotidien. En plus de l’humour, nous avions aussi comme objectif de clarifier potentiellement certains faits politiques. Par exemple, quand Hortefix compte ses fauves pour leur faire manger des étrangers, puis se ravise devant cette cruauté, pour aller revendre les bêtes aux pays vers qui il va expulser ces immigrés. Bien sûr, il a un fond de vérité dans ce grand écart idéologique, c’est un plus pour l’intérêt de l’album, sans pour autant se donner trop d’importance. Mais pour toucher, il faut que la parodie ait du sens ! C’est donc notre angle d’attaque pour chaque gag, partir d’un fait précis, véridique et connu. »
La charge est si juste que lorsque le président français fit son esclandre avec Barroso lors du dernier sommet européen, Charb dans Charlie Hebdo titra sur le même thème.
Otage de l’extrême-droite italienne
Le détournement et la parodie sont les armes habituelles de l’humour. Le problème, c’est quand ces saillies ne sont plus prises au second degré, mais au premier, comme par exemple lorsque la Ligue du Nord utilise le petit Gaulois pour tenir un véritable discours raciste.
Avant-hier, le leader de la droite nationaliste italien et par ailleurs ministre en titre du gouvernement de Silvio Berlusconi, Umberto Bosssi, un parti connu pour ses dérapages racistes « à la Le Pen » définit les citoyens de la ville de Rome comme des porcs, transformant la sentence bien connue « Ils sont fous ces Romains » ("Sono Pazzi Questi Romani" en italien, parodie de l’acronyme SPQR figurant sur les armes des légions impériales) en un insultant "Sono Porci Questi Romani". Le lendemain, l’organe de son parti politique, La Padania reprenait le Gaulois d’Uderzo et Goscinny en Une, sans l’autorisation préalable des ayants-droits, cela va de soi.
« Comme Romain et comme lecteur d’Astérix », l’auteur de dessin animé et de bande dessinée italien Francesco Artibani s’offusque : « La Ligue du Nord entretient le mythe de la pureté celtique et toutes les occasions sont bonnes pour montrer un Gaulois boxant un Romain en infraction du droit des auteurs et de leur réel message. De nombreux amateurs de bande dessinée italiens ont protesté contre cette utilisation abusive. J’espère que les avocats d’Albert Uderzo sauront leur montrer quelle est la réalité de notre monde. »
Astérix, héros anti-raciste
Cet abus est d’autant plus injuste qu’Astérix est le contraire d’une bande dessinée raciste. Envoyant son « Français moyen » dans toute l’Europe, Albert Uderzo et René Goscinny sont des enfants d’immigrés, italiens pour le premier, polonais et russe pour le second. Ce n’est pas la première fois que l’on fait l’amalgame entre le petit Gaulois et le pouvoir, sous De Gaulle déjà, c’était le cas.
Cela mettait Goscinny en fureur qui ne supportait pas ce genre d’accusation : « Alors, ça, je n’accepte pas, je considère que c’est la plus grave des injures. Qu’on vienne me dire ça en face et c’est tout de suite la baffe sur la gueule ! Moi, raciste ! Alors qu’une bonne partie de ma famille a terminé ses jours dans les camps de concentration ! Je n’ai jamais regardé la couleur, la race, la religion des gens. Je ne dis pas "J’aime les noirs, les rouges, les jaunes". Je ne vois pas la couleur. Je suis daltonien pour ça ! Je ne vois que des hommes, c’est tout ! » [1]
De fait, l’auteur des Rivaux de Painful Gulch (un Lucky Luke ridiculisant les racistes), a toujours pris soin de décrire les particularismes locaux sans jamais heurter les populations décrites, qu’elles soient allemandes, anglaises, espagnoles, corses ou belges : « Je ne parodie que des clichés et c’est ce qui fait le succès de cette bande dessinée. En ce moment, je suis en train d’écrire les aventures d’Astérix en Belgique et je peux vous assurer que tout y passe et que je m’en donne à cœur joie. Par exemple, Wallons et Flamands se disputent une langue de sanglier, mais n’y a -t’il pas toujours un problème de langue entre eux ? Je sais que cela va me valoir un grand nombre de lettres mais je reste persuadé que l’immense majorité des Belges prendra le seul parti qu’il convient : celui d’en rire. » [2]
Finalement, on le voit dans cet exemple, l’humour est comme la langue d’Esope : « La meilleure et la pire des choses ».
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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