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Le phénomène Sarkozix

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 29 septembre 2010                      Lien  
L’image d’Astérix est à ce point liée à celle de la France que son usage par une chaîne de fast-food est devenu un scandale. Il y a pire : la désapprobation internationale de la politique menée par le gouvernement Fillon sous la houlette du président Sarkozy à propos des Roms a provoqué un rencontre malencontreuse entre le patronyme du président et le petit personnage Gaulois. Un amalgame profondément injuste pour le petit Gaulois.
Le phénomène Sarkozix
La Une de Charlie Hebdo cette semaine
Dessin de Charb

Nous ne nous étions pas aperçus de l’ampleur avant que Jean-Loup Pepahune </B>de chez Backchich ne le remarque et que surtout que notre ami italien Francesco Artibani ne nous signale l’usage du petit Gaulois à des fins xénophobes par la Ligue du Nord en Italie.

Le point de départ est un procès perdu en octobre 2005 par les éditions Albert René contre Mobilix, une marque déposée par France Telecom attaquée par la maison d’édition d’Albert Uderzo. Le tribunal l’avait déboutée, considérant que « Les éditions Albert René ne sauraient se prévaloir d’aucun droit exclusif sur l’emploi du suffixe ‘ix’.  »

Sarkozy le Français et Astérix la Gaulois

Dès septembre 2007 au Théâtre des 2 Ânes

Dans la foulée, un blog ouvrit ses pages à toutes les parodies antisarkoziennes sous le titre « Sarkozix ». Par la suite, l’humoriste Bernard Mabille écrivit un spectacle intitulé « Sarkozix le Gaulois » joué au Théâtre des 2 Ânes en septembre 2007, quelques mois après l’élection de Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle, au moment où le président fraîchement élu visite la Vallée des Rois en Egypte en compagnie de Carla Bruni. Ce commentaire acerbe de l’actualité réunissait quelques-uns des meilleurs comédiens du boulevard parisien parmi lesquels Jean Amadou, Jacques Mailhot, Patrick Font, Florence Brunold, Michel Guidoni, Thierry Rocher, Jean-Pierre Marville ou Pierre Douglas. ‘Il comble tous nos désirs, dit alors Jean Amadou aux caméras de France 2, « il suffit d’ouvrir le journal le matin et la manne tombe, il n’y a plus qu’à choisir ! » commentant l’intarissable source de gags provoquée par le nouveau président.

Sarkozix au éditions Delcourt (Avril 2010)

« Sarkozy se prête facilement à la BD car il est lui-même une caricature ! » renchérissait dans nos colonnes Richard Malka, auteur à succès d’une Face kärchée de Nicolas Sarkozy (Vent d’Ouest) qui a été un énorme succès de librairie.

L’éditeur Guy Delcourt rebondit sur la bonne affaire en proposant Les Aventures de Sarkozix qu’il signe lui-même en compagnie de Bruno Bazile et de Wilfrid Lupano lequel déclare au micro de notre collaborateur Charles-Louis Detournay : « La caricature possède cette facilité de mettre en lumière des éléments parfois noyés dans notre quotidien. En plus de l’humour, nous avions aussi comme objectif de clarifier potentiellement certains faits politiques. Par exemple, quand Hortefix compte ses fauves pour leur faire manger des étrangers, puis se ravise devant cette cruauté, pour aller revendre les bêtes aux pays vers qui il va expulser ces immigrés. Bien sûr, il a un fond de vérité dans ce grand écart idéologique, c’est un plus pour l’intérêt de l’album, sans pour autant se donner trop d’importance. Mais pour toucher, il faut que la parodie ait du sens ! C’est donc notre angle d’attaque pour chaque gag, partir d’un fait précis, véridique et connu. »

La charge est si juste que lorsque le président français fit son esclandre avec Barroso lors du dernier sommet européen, Charb dans Charlie Hebdo titra sur le même thème.

La Une de La Padania, organe de la Ligue du Nord, hier.
DR

Otage de l’extrême-droite italienne

Le détournement et la parodie sont les armes habituelles de l’humour. Le problème, c’est quand ces saillies ne sont plus prises au second degré, mais au premier, comme par exemple lorsque la Ligue du Nord utilise le petit Gaulois pour tenir un véritable discours raciste.

Avant-hier, le leader de la droite nationaliste italien et par ailleurs ministre en titre du gouvernement de Silvio Berlusconi, Umberto Bosssi, un parti connu pour ses dérapages racistes « à la Le Pen » définit les citoyens de la ville de Rome comme des porcs, transformant la sentence bien connue « Ils sont fous ces Romains » ("Sono Pazzi Questi Romani" en italien, parodie de l’acronyme SPQR figurant sur les armes des légions impériales) en un insultant "Sono Porci Questi Romani". Le lendemain, l’organe de son parti politique, La Padania reprenait le Gaulois d’Uderzo et Goscinny en Une, sans l’autorisation préalable des ayants-droits, cela va de soi.

« Comme Romain et comme lecteur d’Astérix », l’auteur de dessin animé et de bande dessinée italien Francesco Artibani s’offusque : « La Ligue du Nord entretient le mythe de la pureté celtique et toutes les occasions sont bonnes pour montrer un Gaulois boxant un Romain en infraction du droit des auteurs et de leur réel message. De nombreux amateurs de bande dessinée italiens ont protesté contre cette utilisation abusive. J’espère que les avocats d’Albert Uderzo sauront leur montrer quelle est la réalité de notre monde. »

Il devient Xenophobix sous la plume du dessinateur sud-africain Zapiro
Source : Backchih.com

Astérix, héros anti-raciste

Cet abus est d’autant plus injuste qu’Astérix est le contraire d’une bande dessinée raciste. Envoyant son « Français moyen » dans toute l’Europe, Albert Uderzo et René Goscinny sont des enfants d’immigrés, italiens pour le premier, polonais et russe pour le second. Ce n’est pas la première fois que l’on fait l’amalgame entre le petit Gaulois et le pouvoir, sous De Gaulle déjà, c’était le cas.

Cela mettait Goscinny en fureur qui ne supportait pas ce genre d’accusation : « Alors, ça, je n’accepte pas, je considère que c’est la plus grave des injures. Qu’on vienne me dire ça en face et c’est tout de suite la baffe sur la gueule ! Moi, raciste ! Alors qu’une bonne partie de ma famille a terminé ses jours dans les camps de concentration ! Je n’ai jamais regardé la couleur, la race, la religion des gens. Je ne dis pas "J’aime les noirs, les rouges, les jaunes". Je ne vois pas la couleur. Je suis daltonien pour ça ! Je ne vois que des hommes, c’est tout ! » [1]

Sous la plume d’Escaro dans Le Canard enchaîné
Source : Backchih

De fait, l’auteur des Rivaux de Painful Gulch (un Lucky Luke ridiculisant les racistes), a toujours pris soin de décrire les particularismes locaux sans jamais heurter les populations décrites, qu’elles soient allemandes, anglaises, espagnoles, corses ou belges : « Je ne parodie que des clichés et c’est ce qui fait le succès de cette bande dessinée. En ce moment, je suis en train d’écrire les aventures d’Astérix en Belgique et je peux vous assurer que tout y passe et que je m’en donne à cœur joie. Par exemple, Wallons et Flamands se disputent une langue de sanglier, mais n’y a -t’il pas toujours un problème de langue entre eux ? Je sais que cela va me valoir un grand nombre de lettres mais je reste persuadé que l’immense majorité des Belges prendra le seul parti qu’il convient : celui d’en rire. » [2]

Finalement, on le voit dans cet exemple, l’humour est comme la langue d’Esope : « La meilleure et la pire des choses ».

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

En médaillon : Dessin de Charb extrait de la Une de Charlie Hebdo. DR.

[1Entretien avec René Gosciny in Les Cahiers de la bande dessinée N°22, 1973. - Propos recueillis par Numa Sadoul et Jacques Glénat.

[2Article dans Le Matin, 1977 - Propos recueillis par Frédéric Dupré.

 
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6 Messages :
  • Le phénomène Sarkozix
    29 septembre 2010 10:11, par serpicoo

    Moi je préfère l’utilisation d’Astérix et des irréductibles gaulois pour parler des luttes exemplaire à Plogoff.( par exemple !)
    Il y était question de bretons d’armorique, de retour à la vision celte, de l’anti centralisation, de la population unie du grand père à l’ado contre les CRS et même l’armée française,une époque ou le marxisme rencontrait la poésie de nos bardes, bref....un peu la vie comme dans un village bien connu !!!
    Est ce que les petits fachos qui adorent piquer les signes gaulois, Astérix, croix celtique, triskell, sont au courant du caractère progressiste de beaucoup de codes gaulois ?
    Il y a même un nombre important d’historiens qui explique le lien entre les mouvements anarco-régionalistes et l’essence même d’une culture gauloise irrationnelle, profondément individualiste, onirique, planante parfois ! mixte, dont l’organisation était basée sur une structure organique, avec élection pour les rois de clans, et vote des femmes ???
    Ils sont fous ses fachos !!!
    BANG !!

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    • Répondu le 29 septembre 2010 à  17:12 :

      A lire a ce sujet les différents livres de Jean Markale, notamment "la femme celte" ou l’on découvre que celle ci n’avait rien a envier a la femme moderne . A noter aussi que ces gens- la nous ont inventé la barrique sans laquelle la partie du monde buveuse de vin ne serait pas ce qu’elle est...

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  • Le phénomène Sarkozix
    29 septembre 2010 12:44, par Gérard Mantor

    Rectification :

    bonjour,
    Le blog "Sarkozix" auquel vous faites référence dans votre article, n’est pas né en 2007 comme vous l’écrivez, mais en 2005...Ceci étant, je ne réclamerai aucun droit de paternité !
    Cordialement,

    Gérard Mantor
    http://sarkozix.canalblog.com

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  • Le phénomène Sarkozix
    29 septembre 2010 14:15, par Michel Lebailly

    Merci d’avoir rappelé combien Astérix est anti-raciste, tout comme ses auteurs bien entendu.

    Cela confirme à quel point le mauvais procès "Mobilix" était une erreur. Il eut été préférable de se consacrer aux véritables atteintes à l’image d’Astérix.

    Peut-être un raccourci à corriger dans cet excellent article : ce n’est pas tant l’amalgame entre Astérix et le pouvoir qui mettait Goscinny en fureur (il trouvait simplement cela grotesque) que l’accusation de racisme.

    Pour reprendre l’interview citée, à la remarque "on a fait de vous un nationaliste forcené...", Goscinny répond : "Un nationaliste xénophobe et ultra-chauvin, oui. Encore une fois, ayant toujours vécu à l’étranger, je connais bien le chauvinisme et la xénophobie... Il y a mieux : je suis un affreux raciste ! Alors, ça, je n’accepte pas... (etc.)"

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  • Le phénomène Sarkozix
    1er octobre 2010 19:31

    Il me semble que, quitte à aller chercher un héros goscinnien, il aurait mieux valut se rapprocher d’Iznogoud... Sakorziznogoud ça sonne moins bien mais c’est plus juste. D’ailleurs n’a-t-il pas traité son predecesseur de roi feneant a l’instar d’haroun el poussah ?

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    • Répondu le 2 octobre 2010 à  17:30 :

      De roi fainéant, pardon pour la fote d’aurthograf...

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