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Le phénomène webtoon s’installe en France

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 23 mars 2021                      Lien  
Avec le lancement de la plateforme Verytoon par le Groupe Delcourt, faisant suite à ceux de Delitoon (2016), Webtoon Factory (2018), Webtoon (Naver - Line Webtoon au Japon et aux USA, 2019 en France), Toomics (2020), sans parler des outsiders encore non traduits en français et qui piaffent d’impatience, c'est un nouveau marché qui s'offre à nous et qui, comme cela a été le cas pour les mangas, est très ouvert aux productions étrangères en dépit d’une production autochtone très riche.

ActuaBD est sans doute le site le mieux renseigné sur la BD franco-belge, tout en touchant la balle sur les mangas et les comics, des produits disponibles en librairie. Bien que nous ayons toujours été intéressés par les phénomènes numériques et les usages de la BD sur les écrans (Ciné, TV, jeux vidéo…), cela n’avait jusqu’ici jamais été notre principal focus. Or, s’il y a un phénomène qui est en train de complètement changer la donne, c’est celui du Webtoon.

Qu’est-ce que le webtoon ? C’est un format de lecture (le mot est forgé à partir des vocables « web » et « cartoon ») dédié aux écrans, en particulier ceux des smartphones. Chacune de ces BD compte entre 40 et 80 épisodes. On l’a vu avec Izneo ou avec Comixology (qui d’ailleurs diffusent des webtoons), si le format numérique de la BD et des comics traditionnels a ses avantages (notamment celui d’éviter de transporter sa collection de BD quand on voyage), il a aussi ses limites quand il s’agit de BD créées pour le support papier : la narration, qui fait l’essentiel des qualités d’une bande dessinée, est bousculée par ce changement de support, les auteurs se montrant d’entrée rétifs à voir leurs œuvres saccagées par un support qui change complètement l’expérience de lecture qu’ils avaient initialement élaborée.

La romance est le genre le plus apprécié des webtoons

Déjà, Scott McCloud dans Zot ! (1984-1991) avait exploré les différentes expériences de scrolling (latéraux comme verticaux) qu’offrait l’univers numérique sur PC. Il est un peu l’ancêtre de ces nouvelles expériences de lecture. Mais les Coréens, les Japonais et les Chinois, plus pragmatiques, avaient vite compris que le support émergent du moment, le smartphone, nécessitait un usage simple (le scrolling vertical) et surtout une production dédiée. La création asiatique (mangas, manwhas, manhas…), avec son schématisme simple inspiré du dessin animé, était mieux armée que la bande dessinée et le comics, enfants des beaux-arts, pour s’épanouir sur ce format.

C’est pourquoi, dès 2003, le portail sud-coréen Daum se mit à produire des œuvres originales susceptibles de concurrencer les mangas japonais sur un terrain où ils n’avaient pas encore percé : la lecture scrollée en couleurs. Il est immédiatement suivi par Naver Webtoon (2004) qui offre d’entrée gratuitement ses webtoons à ses lecteurs dans le but de populariser son portail. Les modèles payants arriveront plus tard.

Une nouvelle norme commerciale

Jusqu’ici, les BD numériques étaient des images scannées en noir et blanc issues de BD destinées au kiosque et à la librairie. Le webtoon renverse la table. À ses débuts, le développement du numérique permit d’imaginer des récits existants enrichis de séquences en Flash (une technique qui finit par être écartée par Apple et bientôt abandonnée) et par des sons (musique et dialogues). Mais ces techniques compliquées -sans parler du casse-tête juridique que cela implique- ont tôt fait d’être abandonnées par une lecture originale, silencieuse en scrolling qui peut être lue dans les lieux publics sans déranger personne.

En 2014, Naver sous le label Line Webtoon puis Webtoon à l’international, lance sa traduction anglaise. Aujourd’hui, elle est disponible en chinois (en Chine, dont Hong Kong, mais aussi à Taïwan), en français (depuis 2019, géré directement depuis Séoul), en espagnol, en indonésien et en thaï. Le groupe prend une position de leader devant le Japonais Comico et les coréens Toomics, Lezhin et Kakao. Plusieurs de ces opérateurs sont associés dans leurs pays respectifs pour diffuser des productions locales qui sont ensuite traduites systématiquement dans les langues des partenaires, ce qui offre une assiette d’amortissement d’entrée plus grande.

Le phénomène webtoon s'installe en France

« Glocal Culture »

Le cœur de cette stratégie est la « Global Culture ». Créer des plateformes qui englobent des créateurs locaux dans un projet global lesquels, par hybridation, font passer le projet du local au transnational, sans pour autant renoncer à l’identité nationale. Les mangas nous avaient indiqué le chemin. Il en résulte une création que certains universitaires désignent comme une « Glocal Culture. » [1]
Mais ce projet va bien au-delà du simple support de la BD : la technologie, la musique (comme la K-Pop ou la musique électronique), les jeux vidéo, le dessin animé, les Dramas (séries TV), la cuisine, la décoration, le design sont parties prenantes de cette stratégie, puissamment soutenue par les états. Ainsi, au festival d’Angoulême, la Corée, la Chine ou Taïwan sont très présents, tandis que Japan Expo déploie toute la palette de ce « soft power » asiatique.

Didier Borg. En 2016, cet ancien éditeur de Casterman (il y révéla Bastien Vivès), a aidé, en créant Delitoon, à introduire le webtoon en France. Il a quitté la maison depuis.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Un modèle économique optimisé

Ce qui titille d’autant plus les éditeurs occidentaux, c’est que les webtoons ont réussi à rendre le modèle économiquement rentable. Sur le modèle du Fremium qui consiste à offrir les premiers épisodes pour « donner à goûter » au futur lecteur, s’ensuit une offre d’abonnement modeste pour continuer à lire un feuilleton souvent addictif.

Même si le modèle en Occident est loin d’être rentable, en Asie, le modèle l’est complètement : 750 M€ de chiffres d’affaires en 2019 pour la seule Corée (dont 5% seulement sont des livres). Rappelons que le chiffre d’affaire de la BD en France dépasse à peine les 600 M€. Au niveau mondial en 2020, dans 100 pays : 1Md €, en progression de +20% par rapport à l’année précédente.

Les acteurs franco-belges s’y mettent

Depuis 2011, Delitoon, développée par la société Wosmu SAS (devenue Delitoon SAS) contrôlée majoritairement par un actionnaire coréen, est apparue en pionnier sur le marché français (déjà initié par des traductions pirates), fondée et dirigée par Didier Borg, ancien éditeur de Casterman, qui a depuis quitté la structure aujourd’hui dirigée par Hyung-Rae Kim. La plateforme, qui annonce avoir 600 000 abonnés (avec un important public féminin) avec un chiffre d’affaires qui a explosé en 2020. Les achats sont payés avec une monnaie virtuelle, ce qui permet de faire gagner des « coins » aux abonnés à travers des concours. Le Groupe TF1 et d’autres investisseurs avaient rejoint Delitoon en 2019 pour soutenir son développement.

Le groupe Media-Participations (Dargaud, Dupuis, Le Lombard, Kana, Le Seuil...), au travers de sa filiale Dupuis, lance Webtoon Factory en janvier 2019 avec une création 100% « made in Marcinelle ». «  La bande dessinée numérique n’est pas nécessairement l’ennemi de la bande dessinée dite traditionnelle, nous expliquait Vincent Savi dans nos pages, mais c’est une évolution du 9e Art qui devrait permettre à de nouvelles formes de narration et de dessin de se développer. Il est donc intéressant de voir de grands éditeurs s’y atteler. La musique a Spotify et Deezer, le monde du cinéma et des séries voit se développer de nombreuses plateformes de streaming (Netflix, Disney+, DC Universe, Amazon Prime...), le monde la bande dessinée devrait logiquement suivre. Sera-ce là l’un des futurs du 9e Art ? »

Le Coréen Webtoon arrive, discrètement, lui aussi avec sa plateforme traduite en plusieurs langues, histoire d’occuper le terrain et peut-être de chercher des partenariats français.

Enfin, depuis décembre dernier, c’est au tour du Groupe Delcourt, avec VeryToon, d’entrer sur le marché français. Son mantra : proposer des webtoons coréens mais aussi japonais et chinois, aux côtés d’une production « maison » qui sera ensuite déclinée dans une collection de livres, les « K-Books ». Dans son interview, Guy Delcourt en explique les tenants et les aboutissants. Ce faisant, il applique à la lettre le projet de « Glocal Culture » qui s’initie en Asie.

Une initiative qui a du sens quand on voit l’intérêt subit qu’a le Webtoon auprès d’une population de plus en plus large. Les statistiques des moteurs de recherche montrent bien l’envolée mondiale du phénomène. En France, depuis décembre 2020, les recherches Google pour le mot « webtoon » ont été multipliées par dix. Plus qu’une vague, c’est un tsunami.

Le nombre de requêtes sur le mot "webtoon" dans le moteur de recherche Google.
© Google.

Voir en ligne : LIRE L’INTERVIEW DE GUY DELCOURT (VERYTOON)

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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En médaillon, la romance à succès "True Beauty". © Webtoons.

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3 Messages :
  • Correctif - Le phénomène webtoon s’installe en France
    23 mars 2021 16:04, par Didiier Borg

    Merci pour la photo et pour la mémoire, mais je n’ai ni "aidé", ni "cornaqué" delitoon, je l’ai créé. J’ai fondé delitoon en 2010, créé et déposé la marque, puis poussé le projet au plus haut avec de nouveaux associés de 2015 à 2020, dans le cadre de la société Wosmu, désormais Delitoon SAS. J’ai décidé de quitter delitoon avec un bilan "pas dégueulasse" puisque l’app était classé dans le Top 10 des applications les plus rentables aux côtés de Vivendi, Le Monde etc.
    Ravi de voir que 10 ans après, ceux qui n’y croyaient pas débarquent dans le sillage. - Didier Borg - Président Fondateur de delitoon de 2010 à 2020

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